dimanche 8 novembre 2015

Chine, cette décision qui pourrait (presque) tout changer #31

Le 11 Décembre 2001, la Chine fait son entrée à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en tant que 143ème pays membre de l'organisation. Presque 15 ans plus tard, une promesse faite à l'époque pourrait bien avoir des conséquences importantes sur la paysage économique.


Lors de son entrée à l'OMC en 2001, la Chine s'était vue promettre l'octroi automatique du titre d'économie de marché après quinze années, et ce sous réserve de réformes intérieures dans un pays jugé trop étatisé. Si ce dernier lui a été attribué par des pays comme la Nouvelle-Zélande, Singapour ou encore la Malaisie, les grandes puissances parmi lesquelles les Etats-Unis et l'Union Européenne ont jusque là passé leur tour. Cette information est revenue au devant de la scène avec la publication d'une étude américaine chiffrant les conséquences d'une telle décision sur l'emploi au sein de l'UE.  

La transition chinoise

La Chine, parlons en justement : le pays est actuellement dans une phase de transition comme il en a rarement connu sur le plan économique. Si les dix dernières années l'ont consacrée en tant que "atelier du monde" avec des exportations et une croissance à deux chiffres qui ont tiré le reste du monde et accompagné notamment l'essor des pays émergeants, le pays est en train de vivre une transition spectaculaire dont les contours commencent à être identifiés. 
L'augmentation des salaires des ouvriers (plus de 10% sur les dix dernières années) qui rend l'économie chinoise bien moins compétitive aux dépens de ses voisins d'Asie du sud-est, l'instabilité des bourses de Shanghai et de Shenzhen, l'exode rural massif (environ 20 millions de chinois émigrent chaque année vers la ville) qui rend les ressources humaines plus rares que par le passé, la surcapacité de production dans des secteurs comme l'acier et l'automobile (investissements massifs alors que la demande faiblit) et le facteur exogène du ralentissement du commerce mondial ont participé à la chute spectaculaire des importations et des exportations chinoises avec une baisse combinée de 8,1 % sur les neuf premiers mois de l'année. Ces chiffres se sont répercutés dans la croissance du pays qui s'est affichée au plus bas depuis 2009, atteignant en rythme annualisé 6,9 % au troisième trimestre selon les sources officielles mais plutôt entre 2 et 4 % selon la plupart des analystes.
Le pays vit une transformation de son modèle, en partie voulue, passant d'une économie tirée par les exportations à une économie plus équilibrée s'appuyant sur la consommation intérieure avec une classe moyenne en pleine expansion qui devrait atteindre 109 millions de personnes à la fin de l'année. Cependant, cette consommation intérieure ne représente aujourd'hui en Chine que 36 % de la création de richesse contre 55 à 70 % dans les pays occidentaux : il y a encore du chemin à parcourir.

Ces transformations ne sont pas neutres pour le reste du monde : le prix des matières premières a lourdement chuté (après avoir commencé à décliner en 2012) devant la faiblesse des importations de celui qui est le premier pays importateur de matières premières au monde avec des niveaux assez hallucinants sur certaines d'entre elles (50 % sur l'aluminium, le cuivre par exemple), le pétrole n'ayant pas échappé à cette règle avec une baisse des cours de 60 % sur un an, à $45 le baril.
Ces répercussions séparent le monde en deux catégories de pays, celle des pays qui importent principalement ces matières premières comme la France et dont la facture est fortement allégée et celle des producteurs et exportateurs, dont la plupart des pays émergeants et qui se retrouvent dans une situation très difficile en voyant le principal moteur de leur économie affecté. L'époque d'une Chine qui produit pour le reste du monde qui lui consomme en s'endettant de manière massive semble avoir fait son temps.

Xi Jinping, véritable ambassadeur de la Chine s'est rendu au Royaume-Uni le mois dernier

Une crise en vue ?

L'empire du milieu vit donc une réelle transition, et voit se former des bulles immobilières et financières laissant craindre un atterrissage brutal (hard landing) qui aurait des conséquences désastreuses pour le reste du monde. C'était la signification du mini-krach boursier de cet été qui a vu les indices boursiers chinois baisser de manière très brutale devant le manque de confiance des investisseurs quant à la capacité du pays à faire face à ce changement de modèle : la bourse de Shanghai a perdu en un jour 8,49 % soit la baisse la plus forte depuis 8 ans. En trois semaines, ce sont ainsi $2,4 trillons qui se sont volatilisés, ce qui représente tout de même en valeur 10 fois le PIB de la Grèce !

Les marchés financiers ont été mis en avant par le pouvoir communiste au cours de la dernière décennie ou 75 millions de chinois (comme vous et moi) ont été incités à s'endetter pour acheter des actions (part de sociétés) qui leur accorderaient un retour sur investissement intéressant, ce qui ne s'est toujours pas produit. Au total, la Chine compte 90 millions d'investisseurs en bourse dont…99 % de particuliers ! Un spécialiste du domaine expliquait que ces chinois investissaient toutes leurs économies en bourse comme il le feraient "au casino", sans réelle notion du risque mais plutôt considérant cela comme un jeu qui pourrait rapporter gros. On aurait plutôt tendance à nommer cela la roulette russe.
L'accumulation de ces dettes contribue a l'exposition globale (privée et publique) de la dette chinoise qui a atteint l'année dernière 283 % de son PIB, devant les Etats-Unis (269 % de leur PIB) et la France (215 % du PIB). Ce n'est pas simplement le montant mais également le rythme d'évolution qui devient alarmant avec une augmentation de cette dette qui s'est faite trois fois plus rapidement que celle du PIB (et donc que la création de richesse) sur les quinze dernières années.

On parle donc de bulle financière mais également de bulle immobilière puisque pendant des années, le pays a fait construire des infrastructures importantes (routes, ponts, aéroports) et a beaucoup investi dans l'immobilier en injectant massivement de l'argent pour soutenir ces projets. Si cela a fonctionné pendant quelques temps, on remarque aujourd'hui que la demande intérieure ne peut plus absorber l'offre, constituant la définition parfaite du création de bulle. Cela se traduit très concrètement par une surcapacité de production et des industries qui tournent à blanc ou encore dans le secteur de la construction (15% du PIB) par un nombre de logements neufs restant vacants qui s'élève à 20 % ! 

Toute ces bulles (crédit, immobilier, investissement) risquent bel et bien d'exploser et d'entrainer l'effondrement de ces secteurs qui sera seul capable de réajuster l'équilibre du marché entre l'offre et la demande.

L'atout de la Chine

Bien sûr, la république populaire de Chine reste sur le plan économique une puissance majeure (18 % du PIB mondial) et un des principaux partenaires des autres grandes nations. Evidemment, la puissance exportatrice du pays reste impressionnante même si les chiffres de 2015 viennent ternir ce tableau.
Ceci étant, les excédants cumulés de la balance commerciale chinoise (exportations > importations) leur a permis de constituer une réserve de changes qui atteint des sommets ; après un passage à près de $4 000 milliards l'année dernière, cette dernière se situe actuellement autour de $3 500 milliards. Ces réserves de devises étrangères permettent à un pays de jouer sur son taux de change et de rassurer sur sa solidité. 
Prenons l'exemple de la Chine qui a une balance courante (constituée principalement de la balance commerciale) très positive du fait de ses exportations importantes ; ces dernières sont réalisées en Yuan (puis converties) ce qui augmente la demande en monnaie locale (Yuan) qui s'apprécie automatiquement. Hors une appréciation signifie que votre monnaie coûte plus cher qu'auparavant ce qui va pénaliser vos exportations. Pour éviter cela, la Chine utilise ses réserves de change (principalement libellées en dollar) pour racheter des bons du trésor américain par exemple et ainsi augmenter la demande de cette monnaie (le dollar) : l'effet est ainsi inverse, le Yuan est en proportion moins demandé que le dollar et il se déprécie. La banque centrale de Chine peut également imprimer des Yuan, les vendre pour acheter des dollars et ainsi augmenter la demande de la devise américaine, c'est le même principe ! C'est au passage la raison pour laquelle la dette américaine est principalement détenue par la Chine. Complexe mais au combien essentiel et intéressant ! 

Le rôle du politique

Le gouvernement chinois a dès lors un rôle crucial a jouer dans la stabilisation du pays et l'accompagnement de sa transition comme l'explique très bien Pierre Sabatier : 


"Cela fait des années qu'il y a un deal implicite entre population et gouvernement : j'assure une croissance suffisante pour que chacun sur mon territoire puisse espérer un jour en profiter en échange de la paix sociale" 
Pierre Sabatier, président de Prime View


Le président Xi Jinping essaye donc par tous les moyens de soutenir son économie qui vise bien évidemment le leadership mondial dans ce qui ressemble à une guerre à distance avec les Etats-Unis, d'autant plus que cette paix sociale promise pourrait être mise en péril si le peuple chinois ne perçoit pas les fruits des promesses faites par le parti communiste. 
Ce dernier a semblé dans un premier temps déstabilisé face à ces changements et leur traduction concrète dans les évènements boursiers de cet été et l'a manifesté en injectant sur les mois de juillet et août 900 milliards de Yuan dans l'économie. Il a également cette année par la banque centrale  (Public Bank of China ou PBOC) a plusieurs reprises dévalué sa monnaie sans vouloir l'admettre, la rendant moins chère et facilitant ainsi les exportations, abaissant également les taux d'interêt et le taux de réserves obligatoires (ex : avoir 50 Yuan en réserves pour en prêter 100) des banques afin de fluidifier l'économie.
De la même manière, la fin de la politique de l'enfant unique relayée par tous les médias occidentaux ne fait que traduire une prise de conscience du vieillissement de la population chinoise et du rapport de plus en déséquilibré entre ceux qui sont en âge de travailler et ceux qui ne le sont plus : en 2050, 30 % des chinois auront plus de 60 ans.

Et ce statut alors ?

Devant les problématiques bien complexes du développement économique chinois, on voit bien que l'attribution du titre d'économie de marché n'est pas une décision banale. Si la Commission Européenne va se pencher sur le sujet en fin d'année prochaine, elle semble estimer que la Chine ne remplit aujourd'hui qu'un des cinq critères qui caractérisent une économie de marché. Comme nous l'avons vu, il existe tout d'abord un manque de transparence évident dans l'économie chinoise avec des marchés financiers pour le moins opaque : les économistes peinent à se mettre d'accord avec précision sur les principaux indicateurs économiques, toutes les données provenant de Pékin devant être prises avec des pincettes : le chiffre du PIB est par exemple publié quelques jours après la fin du trimestre quand les Etats-Unis et les autres économies développées ont habituellement besoin de plusieurs mois pour pouvoir le déterminer de manière précise. 
De plus, l'économie reste très administrée avec des subventions importantes qui faussent forcément la comparaison et la compétition internationale. C'est le gouvernement chinois qui a injecté cet été plus de 100 milliards de dollars dans son économie, qui a interdit aux gros actionnaires de vendre leurs actions au moment du krach du mois de juillet. On rappellera que le pays est tout de même classé au 139 ème rang de l'index de la liberté économique avec des notes de 2/10 pour les droits de l'homme, de 3/10 pour la liberté financière et de 4/10 pour la corruption.
Si le gouvernement a entrepris un grand plan de lutte contre la corruption, véritable fléau, on ne peut pas dire que la liberté soit l'adjectif qui décrive le mieux l'Empire du Milieu. 

Jusqu'à présent, l'Union Européenne pouvait se prémunir faces à ces mesures de dumping de la Chine en imposant des barrières commerciales (taxes, barrières douanières), mais si cette dernière venait à obtenir le statut d'Economie de Marché, ses pratiques seraient ainsi légitimées et l'Europe serait dans l'impossibilité d'opposer quelque argument que ce soit comme elle l'a fait sur le dossier bien connu du photovoltaïque en 2013. Selon une étude du thing-thank américain Economic Policy Institute, les répercussions en terme d'emplois se monteraient entre 1,7 et 3,5 millions pour l'Europe et entre 180 000 et 360 000 pour la France ! S'il s'agit de relativiser tout de suite ces chiffres qui semblent pour le moins subjectifs et difficiles à confirmer, il semble nécessaire de regarder cette question avec beaucoup d'attention.

Les chinois comme nous l'avons vu bénéficient d'une puissance financière hors-norme, de part notamment leurs réserves de devises, leur permettant de racheter n'importe quelle entreprise, n'importe quelle dette, de transformer des industries complètes s'ils le souhaitent. Ils disposent d'une force de frappe importante et d'un sens des négociations redoutable en vue d'aborder des discussions qui semblent bien déséquilibrées sur le papier. Réputés comme très malins et travaillant dans l'ombre, notamment par une force de lobbying importante, l'Europe fragmentée que nous connaissons devra néanmoins faire valoir ses arguments et notamment ceux de la réciprocité avec la Chine où, comme nous l'avons vu, les conditions pour faire des affaires sont loin d'être optimales et en particulier pour nos entreprises. Il faudra exiger des contreparties. 
A ce stade, les discussions officielles n'ont pas encore débuté et bien avisé celui qui pourra prévoir l'évolution des situations macro-économiques des deux mastodontes que constituent l'Union Européenne ($16 billions PIB) et la Chine ($6 billions PIB) d'ici le mois de décembre 2016, date à laquelle ce statut devra être débattu.

Un énorme chantier en prévision

Pour en revenir à la situation intérieure de la Chine, l'enjeu majeur pour elle sera donc de réussir à transférer les 48 % du PIB consacrés à l'investissement en consommation intérieure qui ne représente que 36 % de la richesse nationale comme nous l'avons vu. Cet ajustement ne se fera pas sans passer par une augmentation significative des salaires. On observe dans toutes les économies développées une corrélation entre la masse salariale (en % du PIB) et le niveau de la consommation intérieure (en % du PIB) qui sont généralement au même niveau. Si elle souhaite vraiment trouver le moteur de sa croissance chez elle, la Chine devra donc faire augmenter cette masse salariale qui se situe aujourd'hui à 40 % du PIB.
Sans cela, il n'y aura semble-t-il pas de salut d'autant plus que nous semblons nous diriger vers un monde où la croissance se fait rare, nous échappe, au plein coeur d'une révolution numérique qui peine à apporter de réels gains de productivité et des perspectives tangibles de développement, sinon technologique. Ces considérations sont également à mettre en perspective avec le changement climatique dont la Chine est un des principaux acteurs et qui constitue un problème existentiel.

Economie de marché ou non ? Cette question offre à l'Union Européenne une occasion de se fédérer et d'enfin avancer autour d'un projet commun, tellement absent depuis sa fondation. Elle devra se positionner avec force et détermination au risque de se voir réduire à jouer les seconds rôles d'une pièce dont les principaux protagonistes seront les Etats-Unis et…la Chine.


[Le point éco]

Prenons l'exemple de l'Euro (€) face au dollar ($) :
- L'euro s'apprécie face au dollar (il est plus fort) : 1€ = 1,40$ 
=> Nos exportations deviennent plus chères, nos importations deviennent moins onéreuses.
- L'euro se déprécie face au dollar (il est plus faible) : 1€ = 1,10$
=> Nos exportations deviennent moins chères, nos importations deviennent plus onéreuses.

Si une monnaie s'apprécie, cela signifie que sa demande est élevée. En ce moment, les Etats-Unis montrent des indicateurs plutôt solides par rapport à l'Union Européenne, c'est la raison pour laquelle le dollar est plus fort aujourd'hui (1€ = 1,07$) qu'il y a un an (1€ = 1,24$).

La création monétaire déprécie la valeur de la monnaie. C'est la raison pour laquelle la "planche à billet" ou la politique "non conventionnelle" de la BCE contribue à la dépréciation de l'Euro.

Les monnaies sont donc liées entre elles : si la Chine dévalue sa monnaie, les pays asiatiques se verront dans l'obligation de faire quelque chose pour aligner leur compétitivité.

samedi 10 octobre 2015

Volkswagen, le serpent qui se mort la queue #30

Un séisme, Volkswagen, le premier constructeur mondial de voitures est actuellement pris dans un scandale de moteurs truqués. L'entreprise a reconnu avoir triché pour pouvoir accéder au marché américain : une affaire révélatrice des limites du système financier mondial.


Le scandale de l'année a éclaté de l'autre côté du Rhin : le groupe allemand Volkswagen qui détient notamment les marques Audi, Seat, Porsche et bien sûr Volkswagen a triché. Brisant le mythe jusque là intact de la rigueur, de la droiture allemande, l'entreprise dont le nom signifie littéralement "la voiture du peuple" a surpris son monde : elle aurait délibérément installé un logiciel dans ses modèles diesel afin de tromper les test anti-pollution aux Etats-Unis qui sont deux fois plus exigeants qu'en Europe. 

Le dilemme des constructeurs automobiles

A un moment que nous ignorons, Volkswagen s'est retrouvé devant un choix important : fabriquer des voitures qui polluent moins mais qui consomment beaucoup ou bien faire des modèles qui consomment moins mais qui polluent beaucoup. Et en la matière, le choix a été dicté par la volonté du consommateur de consommer moins (et donc de payer moins) entrainant cette décision invraisemblable de tricher. 
Si l'on sait que les tests européens sont "plus que légers" et menés dans des conditions peu en phase avec la réalité, le scandale a ici une autre ampleur puisqu'il concerne 8 millions de véhicules.

Là où l'affaire Volkswagen est tout à fait intéressante, c'est dans la stratégie qui se cache derrière cette triche. L'entreprise avait pour unique objectif de devenir le premier constructeur mondial (ce qu'elle a réalisé en Février aux dépends de Toyota) et elle a donc tout fait pour l'atteindre. 
Cette décision, elle n'émanait certainement pas des salariés qui ont d'ailleurs touché une prime de 5 900€ grâce aux bons résultats de l'entreprise en 2014, mais plus certainement de la direction ou des actionnaires du groupe : "entrez aux Etats-Unis quelqu'en soit la manière !".  
Une soif de domination, de pouvoir, de rentabilité dont on voit à quel point ses conséquences sont dommageables : 
- conséquence sur l'environnement avec des émissions réelles de CO2 bien supérieures à celles annoncées,
- conséquence sur la santé financière du groupe dont l'action a perdu 40% en deux semaines, 
- conséquence sur les 600 000 salariés de part le monde avec des plans de licenciement à venir,
conséquence sur la confiance du consommateur dans les grands groupes, 
- conséquence sur la valeur des véhiculés truqués (que personne ne voudra plus acheter) et donc in fine sur les consommateurs.

VW, plus qu'un symbole ?

A l'instar de Volkswagen, c'est le système financier global qui semble perdre les pédales, j'aimerais ici attirer votre attention sur ce capitalisme dérégulé qui sera le dépositaire de la prochaine crise mondiale qui pourrait, cette fois-ci secouer sérieusement la planète.
Mon propos n'est pas ici d'être anti-capitaliste, ni d'en faire les louanges ; à l'exemple du conflit gauche-droite sur le terrain politique français, il me semble qu'il est temps de sortir de ces cloisonnements idéologiques, de mettre des mots sur ce que d'aucuns n'osent dénoncer, particulièrement quand ils bénéficient de ce système en question. 

Philippe Dessertine,
Economiste et professeur de finance
Je partirais du constat suivant, forcément un peu provoquant : il n'y a plus de logique économique à l'échelle mondiale aujourd'hui.
On observe actuellement des éléments étrangement semblables à ceux qui ont précédé la crise de 2008 avec la formation de bulles spéculatives un peu partout dans le monde qui menacent d'éclater comme sur les marchés asiatiques cet été, avec un niveau de dette qui a explosé (actuellement $57.000 milliards supérieur à son niveau d'avant-crise) avec une injection massive d'argent des banques centrales dans le système monétaire. Avec toutes ces conditions, l'économie mondiale devient paradoxalement de plus en plus fragile, tributaire de ces injections d'argents auxquelles elle devient très dépendante, voir accro. Complètement déréglée, la finance n'arrive plus à déterminer la valeur des biens comme l'explique bien Philippe Dessertine,  :

"L'action des Banques Centrales a comme conséquence d'avoir dérégulé l'ensemble des actifs mondiaux : les actions, le marché des dettes et notamment des dettes souveraines (des Etats donc), l'immobilier, les devises et les matières premières" 
"Il n'y a plus de bon prix des actifs, de rémunération du risque. Nous ne savons plus constituer le prix de ces actifs"

On retrouve très concrètement cela avec le phénomène des taux négatifs avec lequel on vous paie pour que vous empruntiez de l'argent. C'est le cas de la France qui emprunte à ce jour à des taux inférieurs à zéro jusqu'à 2 ans ! Une situation invraisemblable quand on connait la situation économique de notre pays (chômage, croissance, dette, dépenses publiques) que nous ne rappellerons pas.

Edouard Tetreau
"Au-delà du mur de l'argent"
Le problème n'est donc pas un manque d'argent, celui-ci circule sur les marchés et de manière très importante ; ainsi, les 500 premières entreprises américaines cotées ont fait plus de 1 000 milliards de profits en 2014, profits dont elles ne savent même plus comment les redistribuer comme le rappelait Edouard Tetreau dans son (excellent) dernier livre. Si l'on met cela en parallèle avec les $240 milliards qui échappent chaque année aux recettes des Etats à cause des différents systèmes d'optimisation fiscale des multinationales, on est en droit de se demander si il existe encore un pilote dans l'avion.

Pour résumer et faire simple, ce qui se passe sur les marchés financiers est totalement (et de plus en plus) déconnecté de l'économie réelle et cela ne présage rien de bon.


Où est le chauffeur ?

La comparaison avec Volkswagen prend son sens dans la mesure où l'économie mondiale et les marchés financiers, tout comme les actionnaires du groupe allemand deviennent obsédés par cet argent, ces profits, ce "veau d'or" qu'ils sont prêts à aller conquérir en faisant abstraction de toute autre considération, qu'elle soit humaine, sociale, environnementale.
Evoquant le système financier mondial il y a de cela un mois, Philippe Dessertine résumait ainsi la situation :
"Nous sommes dans un régime totalement incroyable, inconnu, extraordinaire, aberrant du point de vue économique et financier"
Alors il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c'est qu'une crise mondiale se profile (très bientôt ?) et qu'elle aura un impact beaucoup plus important que les dernières. La bonne, c'est qu'elle permettra certainement de remettre les compteurs à zéro, de réfléchir au niveau mondial sur une finance qui serait moins folle, créatrice de vraies richesses distribuées, sur un ordre mondial capable de proposer une vraie vision économique : mettre enfin à bas ce serpent qui se mort la queue.

Et ce nouveau monde ?

J'aimerais enfin mettre en parallèle le développement du système financier avec l'arrivée de cette révolution numérique. Le sujet est inépuisable, cette révolution technologique qui nous fait entrer dans un nouveau monde, inconnu aura bien des aspects positifs même si les contreparties négatives ne manqueront pas. Grâce aux technologies notamment, la transmission des crises sera bien plus rapide et leur impact plus important.
Mais j'ai surtout envie d'évoquer quelque chose qui a été un peu laissé de côté depuis le début de cet article, quelque chose qui est également peut-être laissé de côté dans les réflexions des puissances financières de ce monde : l'humain.

Une bonne nouvelle tout d'abord, dans un rapport récent la Banque Mondiale a annoncé que l'extrême pauvreté était passée sous la barre des 10% : la mondialisation a indéniablement engendré beaucoup de retombées positives. Mais quand l'Oxfam nous apprend dans le même temps que 1% des plus riches posséderont plus que le reste de la population mondiale en 2016, comment s'en satisfaire ?
Ce ne sont pas les plus pauvres, les plus fragiles qui profitent des injections d'argent des banques centrales, des liquidités massives. Ce sont bien eux qui souffrent en Grèce des décisions politiques, économiques, ce sont bien eux qui vont pâtir de la prochaine crise aux Etats-Unis avec les subprimes (crédits pourris) qu'ils sont en train de souscrire, comme en 2008...
Au delà du système financier et de manière très concrète, ce sont eux qui souffrent en France, qui sont laissés de côté, ceux qui n'ont pas de qualification, pas de formation, pas d'emploi.

Alors oui, la révolution numérique va être formidable mais renforcera certainement la distance entre ceux qui ont, qui peuvent, qui maîtrisent, qui suivent et ceux qui ne peuvent pas. Il s'agit bien évidemment de voir le verre à moitié plein mais ce n'est qu'en adoptant cette "option préférentielle pour les pauvres", pour les petits que nous pourrons ensemble évoluer vers ce qui promet d'être une époque passionnante. 
Actionnaires de Volkswagen, décideurs politiques, économistes, banques centrales, ils ont tous une mission commune. Une chose est certaine, il faudra pour la mener à bien accepter ses propres limites.
Le pauvre n'est pas là où on le croit forcément.

samedi 26 septembre 2015

Où est passé le consentement à l'impôt ? #29

S'est-on déjà demandé à quoi ressemblerait notre société si l'impôt n'existait pas ? Ou pire, si il n'était plus recouvré par l'administration fiscale ? La manière avec laquelle il est aujourd'hui appréhendé dans notre pays pose un certain nombre de problèmes. Décryptages.


L'impôt est l'un des fondements de notre société de part la contribution qu'il représente au financement de notre pays, de nos institutions, de notre modèle social, dans la manière dont il unit les français. Seulement, il n'existe plus de réflexion globale sur l'impôt sur le revenu aujourd'hui, la taxation qui sont souvent utilisés comme des variables d'ajustements par les hommes politiques, au risque de remettre en cause leur acceptabilité par les citoyens. J'aimerais mettre en lumière mes propos avec une annonce récente du président de la République :

"La politique de baisse des impôts initiée en 2014, amplifiée cette année, sera poursuivie en 2016 : plus de 2 milliards d'euros y seront consacrés" François Hollande
François Hollande lors de sa conférence de presse, le 7 Septembre.
Il faut tout d'abord se réjouir pour les 8 millions de ménages qui vont bénéficier de cette mesure et pour le million qui va sortir de l'impôt sur le revenu. Il semble légitime dès lors d'aller un peu plus loin dans notre réflexion en se demandant par exemple dans quelle proportion cette baisse d'impôt est financée. La réponse est plutôt limpide, l'Etat français n'a pas le moindre centime pouf financer cette baisse qu'il accordera aux ménages les moins aisés. Il n'a cependant pas tardé à trouver, grâce à sa grande inventivité, deux moyens de trouver ces 2 milliards d'euros :

- report de la baisse des charges :  le pacte de responsabilité décidé par le président de la République prévoyait un allègement des charges (41 milliards au total) payées par les entreprises. Sur l'année 2016, 4,5 milliards d'euros ont été promis mais voilà que le gouvernement a subitement annoncé qu'il allait reporter les baisses de charges d'un trimestre, espérant ainsi gagner 1 milliard.
Une décision qui se fait au détriment d'une promesse qui avait été faite de ne plus toucher au pacte de responsabilité et qui fragilise un peu plus la confiance des chefs d'entreprise et leur capacité à se projeter dans un environnement stable. Dans une période où le chômage continue d'augmenter à cause d'un manque d'investissement, on ne peut pas dire que c'était la meilleure idée à sortir de son chapeau.

- la taxe télécoms : pour compenser les pertes liées à la disparition de la publicité après 20h sur France Télévision en 2009, le gouvernement de l'époque institua une "taxe télécom" ou "taxe Copé" qui ponctionne chaque année 0,9% du chiffre d'affaires des opérateurs télécoms.
Il y a quelques mois, le président s'était engagé à ne pas augmenter les prélèvements sur ces acteurs si ce n'était pas affecté à de nouveaux investissements : perdu, Fleur Pellerin a annoncé que cette taxe télécom augmenterait de 0,9 à 1,2% pour financer l'audiovisuel public, et ce sans aucune concertation avec les opérateurs. Stéphane Richard le patron d'Orange a estimé que cette augmentation de 30% aurait un coût de 100 millions pour son entreprise : "c'est le montant qu'on pensait investir pour fibrer une ville comme Nantes" a-t-il ajouté. Vous me direz, quel rapport avec le financement de la baisse de l'impôt sur le revenu ? Et bien figurez vous que seulement 1/3 des recettes de cette taxe sont destinés à financer les télécoms, le reste rentrant dans les caisses de l'Etat sans que l'on sache exactement où.
Inutile de préciser que le coût de l'augmentation de cette taxe sera in fine transféré sur le consommateur par les opérateurs télécoms qui ne manqueront pas de le mettre en évidence : la fin de la pause fiscale ?

Vous l'aurez compris, ces deux mesures qui déstabilisent un certain nombre d'acteurs et qui remettent au passage en question la parole de l'Etat devraient permettre de boucler les financement des 2 milliards promis aux ménages. Il n'est pas nécessaire d'être un grand politologue pour comprendre la visée de cette opération, 2016 étant apparemment l'année qui précède une élection politique de premier plan. Il est tout de même intéressant de remarquer à quel point on tient particulièrement à montrer que l'on baisse les impôts sur les ménages (2 milliards) alors que l'ensemble des prélèvements obligatoires pesant sur eux s'est accru de 50 à 70 milliards (soit + 40 %) depuis 2012.

Le ministère de l'économie et des finances à Bercy.

Le sens de l'impôt

Avec cette baisse de l'impôt sur le revenu prévue en 20l6, on ne fait en réalité que renforcer ses défauts.
Il est quelque chose qui est admis par tous, de droite comme de gauche mais que l'on entend que très rarement une fois arrivé aux responsabilités : le bon impôt est celui qui a l'assiette la plus large (concerne le maximum de personnes) et le taux le plus faible. En effet, plus l'impôt est large et plus il rapporte, plus son taux est bas et plus il est accepté.

Hors, nous sommes totalement en train de nous orienter dans la direction inverse, avec un taux d'imposition plus élevé concentré sur un nombre de personnes toujours plus réduit ; l'impôt sur le revenu français a toutes les caractéristiques du mauvais impôt :
   - sur 37,1 millions de contribuables, moins de la moitié (48,5%) ont payé l'impôt sur le revenu en 2014 et ce taux devrait encore baisser de deux points pour l'année en cours,
   - il rapporte très peu, 74,4 milliards d'euros (contre presque 140 milliards pour la TVA par exemple) soit l'équivalent de 3,4% du PIB quand la moyenne de l'OCDE est à 9%,
   - il est très mal vécu par ceux qui le paient : quelques chiffres, 10% des ménages paient aujourd'hui 70% de l'IR, 1% paient 30% et 0,1% paient 10%.

Attention, je ne suis pas en train de dire que tout le monde, et de surcroit les personnes gagnant le plus d'argent ne doit pas participer à sa hauteur à la contribution nationale qu'est l'impôt, bien au contraire. Seulement, ce phénomène de concentration de l'impôt sur les "CSP+" a été réalisé dans des proportions sans commune mesure et a déjà des conséquences importantes avec l'exil fiscal par exemple. En effet, le problème pour ces foyers ne réside pas uniquement dans le fait de payer beaucoup d'impôt mais dans celui de ne pas percevoir de sens dans cette action, d'observer une efficacité dans l'utilisation de cet impôt et donc dans la dépense publique. On aura du mal à leur prouver le contraire.

Pour conclure, cette simple proposition : pourquoi est-ce que chaque français ne paierait pas l'impôt sur le revenu ? A la hauteur de ses moyens certes, mais chacun devrait s'acquitter au minimum de cet euro symbolique (pour financer les frais administratifs), cette part à l'effort commun, au financement de notre si beau pays. Ne profitons nous pas tous d'un système d'éducation pour nos enfants, d'infrastructures publiques, d'une armée qui nous protège, d'un système de santé les plus performants au monde ?
Il est temps de  rendre cet impôt plus juste, de redonner du sens, de rétablir un consentement à l'impôt qui apportera une cohésion sociale à notre pays.

Retrouver du bon sens

Une chose est sûre, ce n'est pas en excluant de plus en plus les français de cet impôt que la France s'en sortira, c'est une illusion. C'est de la confiance, de l'audace, de l'inventivité dont font preuve les français au quotidien mais qui manque tant à ceux qui dirigent dont nous avons besoin.
La façon dont est gérée l'impôt est un non-sens et il a trop été utilisé comme variable d'ajustement des derniers gouvernements. La seule solution réside dans la transformation profonde de la France, dans ces réformes structurelles que l'on refuse encore d'accomplir par idéologie.

Le chômage, la pauvreté devraient être des causes nationales, des cause d'indignation. Les français ont des ressources insoupçonnées mais leurs responsables politiques sont plus des commentateurs de l'actualité que des acteurs de ce changement nécessaire. Comme le disait Raymond Barre, "la France n'est pas en déclin, elle s'accommode de sa médiocrité".


[ L'anecdote du jour ]

L'impôt sur le revenu a vu le jour en 1914 remplaçant par la même occasion quatre contributions dont l'impôt des portes et des fenêtres. A l'époque, il fait l'objet d'une grande contestation de la part de l'opposition qui le considère comme confiscatoire, décourageant le travail. En effet, son taux maximum était de…2% ! Quand on sait que la première tranche d'imposition de l'IR est aujourd'hui à 14% et que la dernière s'élève à 45%, on est en droit d'esquisser un sourire !

dimanche 16 août 2015

Google, le nouvel Alphabet ? #28

Vous vous intéressez à Google ? Vous faites partie des 95,46% de français qui l'utilisent comme moteur de recherche ? Et bien figurez-vous que Google n'existe…plus ! Bon d'accord, c'est presque vrai et nous allons voir pourquoi :  un changement bien plus qu'anodin a en effet été opéré cette semaine.


Auriez-vous récemment manqué un évènement marquant concernant la vie de l'entreprise Google ? Je fais bien référence à l'entreprise qui par sa gamme de services est omniprésente dans votre vie : boite mail Gmail, vidéos sur Youtube, GPS sur Google Maps, Android sur les smartphones, Google Adwords pour le référencement internet pour n'en citer que quelque uns !
Particuliers, il est peu probable que vous n'utilisiez pas un de ces outils ; professionnels, essayez d'imaginer vendre vos produits sans être référencé sur le moteur de recherche. Google dépendance vous avez dit ?
Et bien depuis ce lundi 10 Août 2015, Google n'existe plus ! Rassurez-vous, le moteur de recherche qui enregistre chaque jour 3,3 milliards de requêtes est bien toujours là, mais Larry Page son cofondateur a annoncé via un post de blog que le groupe allait modifier sa structure avec la naissance d'une société mère nommée : "Alphabet" !

Vous n'êtes pas sans savoir que l'entreprise Google principalement connue pour son moteur de recherche est en outre présente sur d'autres secteurs. Les projets les plus connus du grand public sont  les lunettes connectées "Google Glass" (qui ont d'ailleurs été arrêtées en début d'année) et la "Google Car", voiture complètement autonome dont les premiers modèles sillonnent déjà les routes californiennes.
En réalité, ces projets aussi fous soient-ils ne sont que la face émergée de l'iceberg. Google investit, et ce depuis des années, dans tous les projets qui seront demain au coeur de nos vies : objets connectés, robotique, intelligence artificielle. Il a ainsi racheté discrètement les meilleures entreprises de ces secteurs et a débauché les plus grands scientifiques pour travailler sur ces projets.
De part sa puissance financière, Google se révèle être un acteur ultra-puissant, presque inarrêtable : en 2014, son chiffre d'affaires ($66 milliards) était par exemple supérieur au PIB du…Luxembourg !

Contrôler un mastodonte ?

Sundar Pichai, nouveau dirigeant de Google
Google est donc un acteur surpuissant et cela ne plait pas à tout le monde. Avec son portfolio d'activités, il se positionne sur différents marchés et aspire à les dominer ; avec l'avènement de l'ère numérique, la multiplication des objets connectés qui atteindront le nombre de 50 milliards en 2020, le développement exponentiel des technologies qui permettent des progrès considérables dans bien des domaines (médecine notamment), cette influence se veut grandissante dans des proportions que l'on ne peut même pas imaginer.
Le simple fait que Google ait accès à nos mails (Gmail), à nos préférences, désirs, recherches via son moteur de recherche, position via Android et son service Google Maps lui confère un pouvoir sans précédent qu'il va falloir contrôler d'une manière ou d'une autre. C'est la raison pour laquelle le régulateur s'est penché sur son cas. Il fait en ce moment l'objet d'une procédure de la Commission Européenne qui après avoir mené une enquête pendant plusieurs années l'accuse d'être en situation de "position dominante" sur son activité de moteur de recherche. En clair, Google favoriserait ses propres résultats à travers son service de comparaison "Google Shopping" au détriment d'autres acteurs : l'entreprise à jusqu'au 31 Août pour répondre de ces accusations. Elle risque en plus d'une amende équivalant à 10% de son chiffre d'affaires devoir changer ses pratiques en la matière et cela par une éventuelle séparation de son service de recherche et de ses activités commerciales pour plus de clarté.
Aux Etats-Unis, Google est également inquiété par la "Federal Trade Commission" qui a mené une enquête sur ses pratiques anti-concurrentielles sans donner de suite.
Google se voit aussi régulièrement attaqué pour ses pratiques d'optimisation fiscale, il n'a l'année dernière par exemple presque pas payé d'impôts en France compte tenu de son activité. Il lui suffit de facturer ses services de publicité en Irlande ou dans un autre pays a fiscalité avantageuse pour réduire de facto son chiffre d'affaires réalisé dans l'hexagone. Facile (et légal).

Il faut bien avoir compris tous ces éléments pour saisir les enjeux de la création de la holding (ou maison mère) "Alphabet" qui chapeautera les différentes entités que nous avons citées.
Alphabet sera désormais dirigé par les deux co-fondateurs de Google, Larry Page et Sergey Brin tandis que Sundar Pichai aura la responsabilité de Google.

Les différentes entités
Cette différenciation des activités permet une clarification de la stratégie du groupe et notamment financièrement vis-à-vis des investisseurs, rendant ses entités plus autonomes et donc plus indépendantes avec pour chacune un nouveau dirigeant désigné : une réponse indirecte aux accusations dont il était régulièrement la cible.
Si c'est son activité de moteur de recherche qui tire le groupe financièrement avec 90% de son chiffre d'affaires réalisé par la publicité (et une part de marché de plus de 30%), les dirigeants du groupe sont désormais bien plus attirés par des projets que l'on pourrait qualifier de "futuristes".

L'alpha et l'omega ?

Futuristes ? Oui, comme je le disais plus tôt, l'objectif de Larry Page et Sergey Brin est bel et bien de transformer l'humanité et pas moins. A cet égard, le nom "Alphabet" n'a rien d'anodin : le groupe veut simplement se positionner comme l'alpha et l'omega, le début et la fin d'un nouveau monde en créant un nouveau langage, numérique et universel. Pas convaincu ? Pourquoi selon vous le nouveau site de Alphabet se prénomme-t-il donc abc.xyz ?
Cette analyse de la stratégie du groupe n'est pas nouvelle et est portée par les plus grands experts comme le docteur Laurent Alexandre, régulièrement cité lorsque l'on parle de Google.
Bruno Teboul, directeur scientifique du groupe Keyrus faisait cette semaine une analyse lucide :
"C'est une volonté philosophique portée par les dirigeants de Google de transformer l'humanité par Google. C'est un vrai dessin messianique"
Comme je l'ai rappelé un peu plus tôt, Google investit massivement dans les nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives plus connues sous l'acronyme NBIC. Objets connectés, robotique mais également intelligence artificielle, la stratégie de Google en la matière a pour spécificité qu'elle n'a pas de limites.
L'idée est simple, utiliser toutes les potentialités des technologies pour modifier l'homme et augmenter ses capacités physiques ou mentales. En ligne de mire, un homme hybride avec des systèmes électroniques intégrés, la fusion du cerveau et de l'informatique, et le mythe de l'homme surpuissant, immortel qui prend le contrôle de son existence jusqu'à détruire la mort. Vous avez tous les ingrédients du transhumanisme.

Ces projets aux allures futuristes sont en réalité plus proches que nous ne pourrions l'imaginer. Ray Kurzweil directeur de l'ingénieurie de Google faisait le mois dernier la prédiction que dès 2030 la pensée humaine serait un modèle "hybride de pensées biologiques et non biologiques". Au rayon des évolutions, Google ambitionne sérieusement d'augmenter l'espérance de vie de 20 ans à l'horizon…2035 !
De manière concrète, ces projets sont gérés à travers :
- Calico (California Life Company), entité qui s'attaque aux maladies dégénératives et donc à l'allongement de l'espérance de vie.
- X Labs qui est le laboratoire scientifique secret de Google et qui s'occupe de différents projets avant-gardistes.
Ces deux entités sont assez controversées aux Etats-Unis notamment et la création de "Alphabet" va permettre de mieux les dissocier des autres activités plus classiques du groupe. Cela signifiera aussi que ils pourront être arrêtés de manière bien plus faciles si ils n'obtiennent pas la réussite escomptée.

Des craintes exprimées

Vous aurez du mal à trouver une telle lecture des évènements dans la presse qui n'évoque que de manière parcellaire la signification d'une telle restructuration et la symbolique qu'elle sous-tend, sans prendre en compte à mon sens la logique implacable de la stratégie de Google et son objectif.
On entend également très peu les autorités, dirigeants nous parler de tout cela. Est-ce par manque de clairvoyance, manque du sens de réalité ou de courage je ne sais pas mais en tout état de cause je trouve cela dommage.
Il ne s'agit pas de bâtir le camp des anti et celui des pro-Google mais d'offrir une lecture globale de ce qui est bien plus qu'une entreprise, bien plus qu'un projet ordinaire et qui pourrait nous concerner plus vite que l'on ne le croit. Tous ces projets n'ont de futuristes que le nom et d'éminentes personnes commencent à prendre publiquement position pour avertir des potentiels dangers qu'ils comportent.
Le fondateur de DeepMind, société d'intelligence artificielle rachetée par Google a ainsi déclaré que "l'intelligence artificielle peut menacer l'humanité dès le 21ème siècle". Elon Musk, l'un des patrons les plus influents de la planète à la tête de SpaceX (fusées) et Tesla (voitures électriques) investit plusieurs millions de dollars dans des projets visant à contrer l'intelligence artificielle qui est pour lui "la plus grosse menace de notre existence […] potentiellement plus dangereuse que les bombes nucléaires". On ne peut pas dire que le multimilliardaire américain soit le premier venu !

Google a la particularité de fasciner et d'inquiéter. Du projet "Loon" consistant à envoyer des ballons dans l'atmosphère afin de relier les zones les plus reculées à internet à celui de créer un bracelet anti-cancer qui détruirait les cellules cancéreuses, Google représente un réel espoir pour l'avenir et il ne cesse d'investir dans de nouvelles activités avec 13% de son chiffre d'affaires réinvesti chaque année dans la recherche et développement.
De l'autre côté, on est en droit de se demander qu'est ce qui va pouvoir empêcher l'entreprise américaine de mettre en place sa vision du monde telle que nous l'avons décrite.

Google est à lui seul révélateur des défis auxquels nous allons faire face : 2035 c'est demain, c'est déjà aujourd'hui, on ne se trouve pas dans des problématiques comme la concurrence entre les taxis et uber qui n'existeront de toute façon plus quand la voiture autonome sera la norme, on fait état d'enjeux bien plus importants. Il serait souhaitable que l'avenir de l'humanité ne se passe pas sans nous.

[L'anecdote du jour]

Peu après l'annonce de la création de la holding "Alphabet", on a alors remarqué une chose assez amusante : le compte Twitter @alphabet dont on pouvait penser qu'il allait revenir à la néo-entreprise était en réalité…déjà attribué ! Il s'agit du compte d'un père de famille américain, Chris Andrikanich que l'on avait il y a quelques années surnommé "Alphabet", quelle drôle d'idée !
L'internaute s'est demandé ce qui se passait lorsqu'il a reçu des centaines de notification suite à l'annonce de la création du groupe ce lundi. Pour lui, ce pourrait être le pactole, une journée pas comme les autres qui pourrait lui rapporter gros. Reste à bien négocier le rachat de son compte !

samedi 25 juillet 2015

Et si la politique était à son tour uberisée ? #27

L'uberisation de l'économie est au coeur de tous les débats actuels. Le conflit du mois dernier entre les taxis et Uber a mis au jour un phénomène qui est en train de transformer radicalement notre économie, notre époque. 
La politique peut-elle être à son tour uberisée comme le souhaite Rafik Smati ? Décryptages.


Bien cerner l'affaire "Uber"

Vous avez sûrement eu vent du conflit qui a semé la pagaille à Paris avec des manifestations de taxis  parfois très brutales contre les chauffeurs "Uber". Uber, c'est tout simplement le nom d'une start-up américaine créée en 2009 et qui met en relation des individus et des véhicules de tourisme avec chauffeur (communément appelés VTC) via un application mobile.
Ces VTC sont tout à fait légaux en France puisque les chauffeurs sont des professionnels et on compte déjà beaucoup de sociétés dans le secteur (Le Cab, Chauffeur Privé). Cependant, si ils ne détiennent pas la fameuse licence de taxi (qui coûte entre 200 000 et 230 000 euros à Paris), les chauffeurs de VTC ne sont pas autorisés à "marauder", c'est à dire à attendre leurs clients sur la voie publique et sont ainsi dans l'obligation de passer par une plate-forme : en l'occurrence, une application mobile ou un site internet.
Ces sociétés sont en concurrence directe avec les compagnies de Taxi dont G7 qui a quasiment le monopole du marché à Paris ; en effet, elles proposent un service plus flexible, de meilleure qualité à un prix souvent équivalent voire moins cher.
Il ne faut pas confondre ces VTC dont fait partie Uber et le service "UberPop" émanant de la même entreprise et qui lui a été interdit. Il consistait à mettre en relation des clients avec des particuliers qui, possédant une voiture l'utilisaient pour faire du transport de personnes et ainsi réaliser un complément de revenus.

L'uberisation fait donc directement référence à la société Uber et à cette nouvelle vague d'entreprises dont elle représente la face la plus émergée. On définit l'ubérisation comme un phénomène qui transforme l'économie traditionnelle en une économie digitalisée. Nicolas Colin qui est expert dans ce domaine en parle magnifiquement:
"Il s'agit d'une substitution générale d'une façon de produire et de consommer -qui correspond à l'ancienne économie- par l'économie numérique qui est déployée par des entrepreneurs qui se mettent à l'écoute des individus et qui découvrent qu'un certain nombre de besoins ne sont pas satisfaits par l'économie traditionnelle. En s'associant directement avec les eux, ils développent des nouvelles propositions de valeurs plus simples, fluides, stimulantes, pas chères et innovantes. Cela réveille les consommateurs : ils prennent conscience qu'ils peuvent être servis beaucoup mieux pour beaucoup moins cher."
Un nouveau monde à comprendre

De nouveaux entrepreneurs, de nouvelles startups viennent donc bousculer l'ordre établi utilisant toutes les possibilités offertes par le numérique.
Le concept de multitude est à ce titre très intéressant, il vous concerne, il me concerne, il concerne les milliards d'individus qui deviennent de plus en plus connectés grâce aux nouvelles technologies, reliés entre eux ; cette multitude est grâce au numérique devenue très puissante et c'est pour cette raison que la course aux données est aujourd'hui primordiale pour les entreprises qui essayent de nous connaitre au mieux, jusqu'à s'immiscer dans notre vie privée. La connaissance de cette multitude sera sans demain le levier numéro 1 de croissance pour les entreprises.
L'individu occupe déjà un rôle actif comme le montre les nombreux systèmes de notation, recommandation que l'on peut trouver chez Airbnb, TripAdvisor ou encore Uber. Concernant ce dernier, l'utilisateur va après chaque trajet pouvoir noter le chauffeur entre 1 et 5 ce qui va permettre de conserver une qualité de service optimale tout en renseignant au mieux les utilisateurs ce qui leur apportera une sécurité supplémentaire. L'investisseur Oussama Ammar disait justement:
"Une erreur classique est de penser que la valeur d'une société numérique se trouve dans sa technologie alors qu'elle se situe tout simplement dans une gestion client exceptionnelle"
Alliées à la multitude, ces entreprises peuvent renverser des situations préétablies, des monopoles en développant un service à haute valeur ajoutée comme nous le montre l'exemple d'Uber et des taxis.
Annoncer il y a quelques années qu'une société employant des chauffeurs privés allait pouvoir concurrencer les taxis pouvait relever de l'irréel, et pourtant...

Nous sommes aujourd'hui en plein coeur d'une transformation, dans une transition entre deux mondes qui ne parlent pas le même langage. L'ancien monde était composé de taxis qui n'ont jamais imaginé que l'on puisse les déloger de leur position quasi monopolistique et n'ont donc en conséquence jamais réellement améliorer leur offre en innovant. Le nouveau monde sera composé de VTC qui auront à coeur de mieux servir leurs clients et ce n'est pas le besoin qui manque. Si l'on considère le nombre de taxis+VTC à Paris, on se rend compte qu'il est 3 à 4 fois moins élevé qu'à Londres et New-York par exemple ; quant à la qualité, il suffit de lire des récits d'usagers des taxis parisiens pour s'en rendre compte.

On parlait jusqu'à présent beaucoup des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) dont la valorisation boursière ($1 675 milliards) dépasse celle de l'ensemble du CAC 40 ($1 131 milliards). Aujourd'hui, ce sont désormais les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) qui sont les symboles de cette nouvelle ère numérique.

La politique, concernée ?

Nicolas Colin : ancien inspecteur des finances
 reconverti dans l'accompagnement de startups
Pour aborder le sujet sous l'angle politique, il était nécessaire de bien saisir les contours de ce phénomène d'uberisation de l'économie. Je n'ai bien sûr fait qu'effleurer ce sujet si vaste, si passionnant et qui s'inscrit dans ce que certains nomment la troisième révolution industrielle, l'ère de la connaissance ou encore la révolution numérique.
On commence à voir et à cerner ces transformations majeures qui se déroulent sous nos yeux, et on se demande forcément quels secteurs vont être impactés.
Nicolas Colin affirme qu'il vaut mieux considérer que "tous  les secteurs seront concernés"; concernant l'énergie par exemple dont on a du mal à penser qu'elle puisse être uberisée, on peut demain imaginer que chaque individu soit en capacité de produire et de stocker l'énergie nécessaire au fonctionnement de son logement via des batteries domestiques comme celles développées par Tesla.
On peut également étendre ce type de raisonnement au tourisme, à l'assurance, à la banque bien sûr et à beaucoup de domaines d'activité.

Alors pourquoi pas la politique ? On observe une certaine défiance vis-à-vis des hommes politiques et de leur capacité porter un projet pour notre pays, à apporter des réponses concrètes aux problèmes des français et notamment au chômage. La classe politique ressemble étrangement à la description de ces entreprises de l'ancien monde, à ces modèles qui appartiennent déjà au passé ; elle ne semble guère s'intéresser aux individus que nous sommes essayant d'amadouer la masse du peuple afin de remporter le prochain suffrage. Tout comme les taxis, elle n'a jamais été vraiment remise en cause et a donc campé sur ses positions.
On peut réellement s'interroger sur (1) la capacité des hommes politiques à comprendre cette entrée dans un nouveau monde et sur (2) leur volonté d'y rentrer réellement. Leur rôle est pourtant essentiel dans la mesure où ils doivent accompagner ce changement au risque de voir des cassures apparaitre dans la société, de voir une France dépassée dans la compétition mondiale, de vivre tout simplement des lendemains difficiles.

Dans une ère où les individus sont au coeur des préoccupations des entreprises, où des innovations constantes sont réalisées afin de leur créer de la valeur, où la rapidité d'exécution prime sur la complexité et la quantité, les citoyens vont-ils accepter longtemps un système inerte dans lequel ils ne se reconnaissent pas ?
Dans l'ancien monde, on pouvait promettre quelque chose et réaliser une autre ; désormais, on ne s'intéresse plus aux effets de communication des hommes politiques, on n'écoute plus le président parler dans ses allocutions télévisées pluriannuelles, on désire juste la réalisation d'un mieux, dans les actes comme on exigerait qu'une entreprise nous délivre une prestation. Hier les consommateurs, les individus, les citoyens que nous sommes étaient passifs : aujourd'hui ils se rendent compte qu'ils peuvent obtenir des meilleurs services à un prix inférieur et redoublent logiquement d'exigence.

Et si la politique était à son tour uberisée ? Beaucoup le souhaitent, quelques uns l'expriment mais trop peu y croient vraiment. La clé du sursaut de notre pays viendra pourtant certainement de son ouverture politique.

[L'anecdote du jour]
Il est toujours assez amusant de rappeler que c'est à Paris qu'est née l'idée d'Uber. Son créateur et dirigeant Travis Kalanik se rendait à une conférence des acteurs du Web mais ne trouva aucun taxi pour l'y conduire. Devant cette situation plutôt inconfortable et dans la fraîcheur de l'hiver parisien, le jeune homme eu l'idée de créer une application mettant en relation des utilisateurs et des chauffeurs de taxi, la géolocalisation de l'individu permettant d'optimiser le système.

samedi 18 juillet 2015

Livret A, un retour à la normale ? #26

Après une petite interruption estivale mon blog reprend des couleurs. Je ne vais pas me risquer à évoquer le cas Grec (bientôt!) qui évolue chaque jour mais plutôt celui du Livret A, le placement préféré des français et donc probablement le vôtre !


Tout le monde a déjà entendu parler du Livret A mais sait-on précisément de quoi il s'agit ? Figurez-vous qu'il faut remonter à 1818 pour voir sa création que l'on peut lier à celle de la Caisse d'Epargne à Paris: à l'époque, son objectif était de financer les dommages des guerres napoléoniennes…!
Il s'agit selon la définition d'un "compte d'épargne à taux réglementé, dont le revenu est défiscalisé" ; concrètement, toute personne peut ouvrir un (et seulement un) livret A avec un plafond de 22 900€ pour les particuliers. Il s'agit en langage financier d'un placement liquide ce qui permet à son détenteur de rapidement disposer de son argent s'il le désire. Ce ne sera donc pas le placement le plus rémunérateur que l'on pourra trouver sur le marché mais on dit souvent qu'il constitue une épargne de précaution : on ne touche que rarement à l'argent de son livret A ; de plus, comme tous les livrets d'épargne, il n'est pas soumis à l'imposition ce qui n'est pas sans avantage.
Jusqu'à la loi de modernisation de l'économie de 2008 (LME), on pouvait uniquement posséder un livret A dans une caisse d'épargne ou à la Banque Postale avant que la Commission Européenne demande à la France de l'ouvrir à la concurrence et donc aux autres établissements bancaires.

Le rôle de la Caisse des Dépôts

La collecte des fonds versés sur les livrets A est gérée par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) qui est une institution financière publique d'interêt général. Pour des raisons historiques, cette dernière utilise ensuite ces fonds ainsi que ceux du livret développement durable (LDD) et du livret d'épargne populaire (EPP) pour 3 usages:
- financer le logement social et la politique de la ville
- faire des prêts aux collectivités locales pour financer les infrastructures
- placer le reste sur les marchés financiers (principalement sur le marché obligataire)

Le placement préféré des français

En France, on compte 61,6 millions de livrets A ouverts pour un total de 263 milliards d'euros (-1,2% sur une année) : ce sont les encours. Il est intéressant de se plonger plus en détails sur la composition de ces encours à laquelle nous donne accès la Banque de France dans son dernier rapport. On y apprend que l'encours moyen du livret A des personnes physiques est de 4 092€, loin du plafond de  22 900€ que nous évoquions un peu plus tôt ; on observe ensuite de fortes disparités puisqu'on comptait en 2014 44,7% de livrets A avec moins de 150€.

On arrive à présent à la question qui est chaque année au coeur du débat et qui justifie l'actualité du sujet: quel doit être le taux du livret A ? La détermination de ce dernier est relativement facile puisque il existe une méthode de calcul dont la version simplifiée consiste à prendre l'inflation (hausse des prix) sur les 12 derniers mois et à y ajouter 25 points de base (soit 0,25%).
Une fois ce taux théorique calculé, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer peut soit proposer un autre taux soit s'en tenir à la méthode de calcul. Dans ce cas-là, le gouvernement qui a le dernier mot n'aura pas d'autre choix que de suivre sa recommandation ; dans l'autre cas, il sera libre de fixer un autre taux.
Ce dernier fait généralement l'objet d'une révision au début des mois d'Avril et d'Août chaque année.

Dépolitiser le livret A

Christian Noyer (photo) milite depuis quelques temps pour une baisse du taux du livret A qui est un non-sens économique, nous allons l'expliquer.
Il faut tout d'abord comprendre que le livret A n'est pas un compte d'épargne comme les autres ; son taux de rémunération constitue une valeur repère pour les autres livrets d'épargne.

On peut faire une comparaison avec les banques françaises qui se financent auprès de la banque centrale européenne : cette dernière leur prête de l'argent avec un taux directeur qui est actuellement proche de zéro (0,05% précisément). De la même manière, le taux du livret A représente le taux directeur de l'économie française indiquant le niveau d'accessibilité de l'argent auprès des institutions financières.

Les derniers chiffres publiés par l'Insee font état d'une inflation de +0,3% sur un an ; si l'on ajoute à cela les 0,25% de la formule, le taux du livret A devrait donc être proche de 0,5%.
Seulement, il est aujourd'hui à 1% et il n'est jamais passé sous ce seuil depuis sa création ! Le dilemme est donc le suivant : enfin respecter une logique économique ce qui fait consensus chez les experts et auprès du gouverneur de la Banque de France ou au contraire s'en tenir à des considérations politiques.
En effet, si l'on ne connait pas le fonctionnement du livret A, un taux à 1% parait de l'extérieur bien faible : difficile d'assumer un tel acte qui irait contre le pouvoir d'achat des français les plus modestes, et particulièrement en cette période pré-électorale.

Il faut baisser le taux

Seulement, les arguments de ceux qui soutiennent qu'une baisse du taux du livret A serait néfaste ne tiennent pas debout et il faudra donc le baisser. Comme nous l'avons vu, plus de la moitié des livrets A sont dotés de moins de 150€ et seulement 30% dépassent 3 000€. Peut-on vraiment affirmer que le pouvoir d'achat des français sera touché quand on sait qu'un abaissement du taux de 1% à 0,5% représenterait une perte de…4€ par an pour une personne possédant 750€ sur son livret. Pour la tranche haute, cela s'élèverait à 150€ pour un livret A atteignant 22 900€. Ce sont plutôt les personnes aisées qui seraient donc affectées.
La baisse du taux libérerait de l'épargne qui pourrait soit être mieux placée, soit bénéficier à l'économie par la consommation ou l'investissement: c'est justement ce dont la France a aujourd'hui besoin !

Ensuite, nous avons observé que le taux de financement des banques auprès de la BCE (0,05%) était aujourd'hui très faible avec un coût de l'argent quasi nul. Nous avons également vu qu'une partie des encours du livret A était placée sur les marchés financiers afin d'obtenir un rendement ; ce dernier se retrouve de plus en plus réduit car les taux sont poussés vers le bas. Ces placements rapportent donc de moins en moins d'argent mais on devrait dans le même quand même assurer un taux de 1% pour le livret A: absurde !

Il est aussi un argument qui consiste à dire que l"on a besoin du livret A pour financer la politique du logement. On se permettra de noter que ce n'est pas l'argent qui manque en la matière puisque 46 milliards d'euros (2% du PIB) sont déversés chaque année dans le logement sans d'ailleurs que l'Etat n'ait la moindre d'idée de leur destination !

Enfin, pour les organismes de logements sociaux ce taux n'est pas anodin: la dette de ces organismes est en effet indexée sur le taux du livret A quand la progression de leurs loyers est elle indexée sur l'inflation. Plus l'écart est important, plus cela leur coûte de l'argent.
On estime que la baisse du taux du livret A à 0,75% permettrait la construction de plus de 5 000 logements avec un gain de 200 millions d'euros sur le stock de la dette: négligeable ?


Ce n'est pas anodin d'avoir choisi un tel sujet: le livret A de par sa symbolique et son poids (psychologique) dans la société française n'est pas un compte d'épargne comme les autres.
Le débat actuel et qui revient chaque année montre bien les distorsions qui existent entre les réalités économiques que l'on peut expliquer avec pédagogie et les actes politiques qui souvent ne sont pas à la hauteur. Le temps n'est il pas venu de concilier les deux ?

[EDIT du 20/07]

La décision a été prise d'abaisser le taux du livret A à 0,75%. Une orientation qui semble juste et courageuse de la part de l'exécutif. Pour rappel, cela n'engendra qu'un impact de 65 centimes d'euros par mois pour un détenteur moyen.

[L'explication] 
Aujourd'hui, le décryptage porte sur l'impact de l'inflation. Elle se définit par une "hausse durable du niveau général des prix". Un produit qui vaut 100 en année N vaudra ainsi 105 en N+1 si l'inflation est de 5%.
Nous n'allons pas détailler toutes les causes et conséquences de l'inflation mais dans le cas présent, l'inflation a un impact sur la rémunération de l'argent que vous placerez sur votre livret A.
On distingue ainsi le taux nominal du taux réel: le taux nominal du livret A est de 1% mais le taux réel prend compte de l'inflation qui est déduite: ce serait ainsi actuellement 0,7% (1%-0,3%). C'est le taux réel auquel votre épargne est rémunéré.
Pendant que les prix augmentent dans l'économie du fait de l'inflation, l'argent que vous avez placé lui garde donc son "ancienne valeur" : il est donc important d'y faire attention !

mercredi 10 juin 2015

CDI, CDD: dites nous la vérité ! #25

Le contrat de travail est un thème plutôt d'actualité. Pour preuve, il fait partie intégrante des 18 mesures pour l'emploi dans les PME-TPE qu'a annoncé Manuel Valls ce mardi. 



Il existe en France différents types de contrats de travail dont les plus connus sont bien évidemment le CDI, le CDD et le contrat d'intérim mais il ne faut pas oublier les contrats d'apprentissage, de professionnalisation, les contrats à temps partiel ou encore les contrats de travail temporaire.
Bref, il existe une liste substantielle de contrats de travail qui doivent permettre à l'employeur de recruter selon ses besoins, la typologie de son entreprise, sa santé économique ou encore les perspectives qu'il a sur son activité.

Une confusion à éviter

J'aimerais commencer cet article par une simple observation: en fin d'année dernière, 86% des embauches se faisaient en France sous la forme d'un CDD comme nous le rappelait le ministère du travail.
- La première lecture de ce chiffre est certainement de dire qu'il est très élevé notamment du fait que taux était de 20 points inférieur dans les années 2000 ; un taux important d'embauches en CDD n'est pas un facteur très positif pour une économie puisqu'il peut être révélateur d'une peur des chefs d'entreprise à embaucher et donc d'une situation instable de l'environnement macro-économique: une absence d'embauche signifie presque automatiquement que les investissements n'ont pas été déclenché et que donc l'activité n'est pas en train de redémarrer.
- La seconde lecture qui est souvent réalisée consiste à conclure par un raccourci que près de 9 salariés sur 10 sont employés en CDD, et c'est évidemment faux ! Certes entre 1982 et 2012 la part des CDI dans l'emploi salarié est passé de 94% à 87% mais il n'en demeure pas moins la norme aujourd'hui encore et ce chiffre est stable depuis 10 ans. Ces 86% d'embauches en CDD traduisent certes une précarité de l'emploi mais également une explosion du nombre de contrats signés (24 millions en 2014) comme le signalait Emmanuel Lechypre cette semaine: si le nombre de contrats courts augmente significativement, la part relative des contrats longs (CDI) dans l'ensemble des contrats créés peut donc demeurer constante. Ainsi, si une personne réalise 10 CDD dans la même année, cela ne signifie pas pour autant que 10 personnes ont contracté un CDD : on parle bien d'embauches, de contrats et non de salariés !

Ce que les chefs d'entreprises veulent

Dans une situation où le taux de chômage flirte avec la barre des 10%, quoi de plus naturel que de demander directement à ceux qui créent l'emploi quels sont leurs freins ?
Justement, les chefs d'entreprise ne cessent de le marteler : tout ce dont ils ont besoin est de la stabilité, qu'elle soit fiscale ou au niveau des normes que on leur impose par exemple. Ainsi, Eric Delannoy (vice-président de Nous Citoyens) déclarait: "L'emploi, c'est une conséquence par rapport à un environnement favorable à faire du business".
Ces chefs d'entreprise souffrent souvent de la vision binaire de l'économie qui consisterait à favoriser soit les entreprises (offre) et donc indirectement les grands patrons, les actionnaires, soit les particuliers, les citoyens et donc les consommateurs (demande).
Cette vision quelque peu passéiste méconnait le fonctionnement réel de l'économie où comme le disait Helmut Schmidt, "Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain" et le gouvernement de Manuel Valls l'a bien compris en adoptant depuis quelques mois un discours plus en adéquation avec la réalité du terrain. Réaliser une politique de l'offre en aidant les entreprises ne se fait pas au détriment des salariés, des consommateurs, de vous et moi mais dans le but de créer de l'emploi, de la richesse afin de mieux la partager : c'est un cercle vertueux quand on veut bien faire l'effort de le comprendre.

CDI/CDD, comme un problème

Pour en revenir au contrat de travail, il y a quelques moi le premier ministre résumait bien la situation:

« Le fonctionnement du marché du travail n'est pas satisfaisant car il ne crée pas assez d'emplois, il génère des inégalités importantes entre, d'une part, des salariés très protégés en CDI et, d'autre part, des salariés très précaires en CDD et en intérim. » Manuel Valls



Depuis quelques mois germe l'idée de transformer le CDD et le CDI en un contrat de travail unique, solution notamment prônée par le prix Nobel d'économie Jean Tirole. L'objectif serait de faciliter l'accès à l'emploi en donnant de la sécurité aux salariés tout en permettant aux entreprises de mettre fin au contrat de travail plus facilement. Si les contours de ce nouveau contrat de travail se dessinent, plébiscité par de plus en plus d'économistes et par l'organisation patronale du MEDEF, c'est sans compter sur le refus catégorique de la plupart des syndicats et du parti au pouvoir. L'affaire n'est pas encore réglée ni engagée.

Une mesure pour contourner

Si s'attaquer de manière frontale à la question du contrat de travail est devenu presque mission impossible en France, le gouvernement emprunte des chemins de traverse pour faire tout de même avancer la situation: dans le catalogue de 18 mesures présenté mardi par le premier ministre figure ainsi une disposition visant le contrat de travail. En effet, comme mentionné dans la mesure n°4, il sera désormais possible de renouveler deux fois un CDD ou un contrat d'intérim (dans la limite de 18 mois) contre une fois jusqu'à présent. Une manière déguisée d'autoriser un chef d'entreprise à conserver un salarié même si il ne se sent pas prêt à lui offrir un contrat à durée indéterminée.

Si dans un récent sondage pour les Echos 45% des français interrogés étaient enclins à la "création d'un CDI avec facilitation de licenciement en cas de difficultés économiques de l'entreprise", ils étaient bien plus nombreux à être favorable à un allongement du CDD ou à la possibilité de le renouveler (64% dans les deux cas), une flexibilité du contrat de travail en somme.
Comme dans beaucoup de domaines, des réflexions mériteraient d'être menées. Seulement, qui dit réflexion implique un dialogue social et donc des syndicats. Le système actuel où les salariés sont très peu représentés par les syndicats et où les citoyens sont très peu représentés par les partis politiques bloque malheureusement toute tentative de réforme.

mardi 9 juin 2015

Retraites, la maison brûle #24

Dans un pré-rapport que s'est procuré les Echos, le Conseil d'orientation des retraites a  présenté un état des lieux des régimes de retraite ainsi que ses projections pour les années à venir. Tour d'horizon d'un sujet clé.


L'évocation du système des retraites français provoque généralement deux types de réactions: une indignation quand on évoque l'idée du projet d'une tentative de réforme ou alors un silence de cathédrale quand on n'a guère envie d'aborder cette question politiquement assez épineuse.
En la matière, tous les gouvernements sont passés par "leur réforme des retraites", François Fillon en 2003, Eric Woerth en 2010 ou encore Jean-Marc Ayrault en 2013.
Le problème de la réforme du système français des retraites est comme je viens de le montrer imputable à la gauche comme à la droite mais le dernier projet porté en 2013 par Marisol Touraine est assez emblématique. La ministre de la Santé (voir ci-dessous) s'est félicitée d'avoir assuré la survie du système par cette réforme qui prévoyait de passer la durée de cotisation de 41,5 ans à 43 ans à horizon 2035 tout en augmentant légèrement les cotisations patronales et salariales.
C'est en réalité surtout porté par la volonté d'assurer une retraite à 60 ans pour les personnes ayant eu une carrière longue (engagement électoral du président) que le gouvernement a réussi son coup politique.

Seulement on a appris moins d'un an après l'adoption de cette réforme que elle allait faire l'objet d'une remise à plat car son financement, bancal n'était déjà plus assuré: symptomatique de toutes les dernières "réformes" qui n'ont eu pour objectif que de repousser la question à défaut de régler vraiment la question.

Un système par répartition

Pour revenir aux fondamentaux, le système français des retraites fonctionne par répartition repose sur la solidarité inter-générationnelle, les actifs cotisant pour les retraités. Cela constitue le régime de base auquel s'ajoute une retraite complémentaire pour les salariés du privé gérée par l'ARRCO (pour les salariés) et l'AGIRC (pour les salariés cadres): ces deux organismes sont au coeur de l'actualité puisque l'on a récemment évoqué leur fusion ; ils n'auront en effet plus de ressources d'ici 2018 pour le premier et 2029 pour le deuxième.

Seulement, l'équilibre financier du système des retraites français n'est pas assuré. En 2012, les ressources de l'ensemble des régimes français de retraite atteignait 13,4% du PIB tandis que les dépenses étaient de 13,9%.
Oui vous avez bien lu, il y a plus de dépenses que de ressources ce qui n'est pas sans poser problème. Un facteur déterminant est le nombre important de personnes qui partent à la retraite chaque année ce qui diminue mécaniquement le rapport cotisant/retraité : il était de 4 pour 1 en 1960 et désormais de 1,4 cotisant pour une personne à la retraite.
Des trois principaux leviers, augmenter les cotisations (et donc baisser les salaires), baisser les pensions de retraite ou allonger la durée de cotisation, c'est ce dernier qui serait certainement le plus efficace même si politiquement difficilement applicable. A la lecture de ces éléments, il est incompréhensible d'entendre des velléités (démagogiques ?) d'abaisser par exemple l'âge de départ à la retraite même si la question de la pénibilité, souvent liée, doit être posée.

Un rapport très rose 

Source: les Echos
Du pré-rapport du Conseil d'Orientation des Retraites dont nous avons pu avoir la connaissance, on peut retenir un enseignement: "Le compte n'y est pas".
Pour aller un peu plus loin, le COR établit différents scénarios qui dépendent d'une part d'une prévision de chômage et d'autre part de l'évolution des revenus d'activité (ou salaires).
On ne connait pas encore les détails du rapport final qui sera rendu prochainement mais si l'on se concentre sur le scénario central qui a donc des chances d'être retenu, il y a de quoi être étonné.
En effet, il considère que les retraites seront à l'équilibre en 2030 compte tenu d'une croissance des revenus d'activité de 1,5% et d'un taux de chômage à 4,5%, soit le plein emploi !

On peut se demander quelle est la crédibilité d'un tel scénario, même central quand le taux de chômage est actuellement de 10% (et autour de 7, 8% de manière structurelle) qu'il ne baisse pas significativement.

Un déni systématique

Depuis des années donc, on refuse de prendre des mesures courageuses dans ce domaine en déclarant que la réforme effectuée a sauvé le système (même si l'on est convaincu du contraire) avant de refaire la même chose 3 ans plus tard: une bombe à retardement, il serait temps de changer les choses.
On oppose souvent ce système de retraite par répartition au système par capitalisation (ou par points) que l'on retrouve au moins partiellement dans des pays comme la Suède ou l'Allemagne: il consiste à cotiser pour sa propre retraite et non pour celle des autres, le capital ainsi mis de côté permettant de générer des revenus supplémentaires.
Le capital sera lui confié à des fonds de pension, organismes qui gèrent ces retraites par capitalisation et qui investiront ces sommes (sur les marchés financiers par exemple): les leçons des crises financières précédentes ont semble-t-il été retenues et permettent aux épargnants de ne pas perdre leur épargne en cas de faillite du fond en question et par la mise en place d'assurances. De plus cet argent peut être placé et utilisé pour alimenter l'économie réelle et donc la croissance de son pays !

Il faudra peut-être réfléchir à passer progressivement d'un système par répartition qui souffre de la configuration de la pyramide des âges et de conditions économiques moroses à un système par capitalisation, plus transparent et qui vient d'être décrit: de plus en plus d'experts se réunissent sur ce point même si les modalités divergent encore.

Réformer les retraites

La conclusion est donc sans appel: il faut réforme le système français en profondeur, le temps presse. Nous l'avons vu, de nombreux paramètres peuvent être ajustés ; en outre, il s'agit aussi de lever certaines questions tabous : dans un pays et avec un gouvernement qui prône l'équité entre les citoyens à tout bout de champ, comment accepter que la retraite d'un fonctionnaire soit calculée sur ses 6 derniers mois quand celle de son concitoyen qui évoluera dans le privé sera elle basée sur les 25 dernières années de carrière ? Quelle est la légitimité de régimes spéciaux (SNCF, RATP, marins, mines..) qui coûteront encore cette année 6,4 milliards d'euros à l'Etat ?

Espérons que sur cette question, le Conseil d'Orientation des Retraites saura être plus réaliste devant les défis qui sont les nôtres et que les responsables politiques sauront être à la hauteur de ces enjeux. Enfin, ils pourront affirmer: nous avons réformé, bien réformé. Nous ne pourrons que les en féliciter.