samedi 25 novembre 2017

Black Friday, et si nous disions "non" ? #41

Arrivant chaque année le lendemain de "Thanksgiving" qui est férié aux Etats-Unis, le "Black Friday" bat son plein avec des images impressionnantes de consommateurs se ruant dans les magasins pour y trouver des produits à prix cassés. Et si nous disions "non" à cette fuite en avant consumériste ?


Le "Black Friday" est une institution, un symbole aux Etats-Unis. Et pour cause, 3,3 milliards de dollars y ont été dépensés en ligne en 2016, chiffre qui atteint 50,9 milliards de dollars si l'on inclut le weekend qui suit, jusqu'au "Cyber Monday". Les chiffres de cette année devraient être encore plus impressionnants ! Pour ceux qui ne se rendraient pas compte, les images parlent d'elles-mêmes. 
En Chine, l'équivalent de cette journée s'est déroulé le 11 novembre, et force est de constater que les chinois ne jouent pas dans la même catégorie. Lors de cette "fête des célibataires", le géant du web Alibaba, encore méconnu en France, a réalisé 25,3 milliards de dollars de chiffre d'affaires en...24h !

Pourquoi cette fête dérange

Importée directement des Etats-Unis, le "Black Friday" est également présent en France sur la devanture de la plupart des boutiques et dans les centres commerciaux. 
Une occasion de plus pour attirer des clients exigeants avec une forte sensibilité aux prix. Mais quelque chose sonne faux dans cette fête, et si nous disions "non" ?

Partisan d'une économie libérale, d'un capitalisme entrepreneurial, je constate tout d'abord que ces évènements amplifient l'asymétrie entre grandes entreprises et petits commerçants, artisans. Amazon aura bien évidemment les moyens de faire de cette fête une réussite commerciale, quand le commerçant pourra se sentir obligé, par imitation et par pression concurrentielle, à faire de même sans en avoir forcément les moyens et l'envie. Quand la boulangerie chez qui je vais acheter mon pain ce matin propose une réduction spéciale "Black Friday Week" pour un achat d'un cornet de frites, ne touche-t-on pas le fond ? Est-ce que l'on a vraiment envie de s'identifier à cette culture ?

Cette année en France, dans cette frénésie consommatrice, un acteur est particulièrement sorti du lot. En effet, la Camif, spécialiste de l'équipement pour la maison, a décidé de fermer totalement son site de vente en ligne pour cette journée du Black Friday  :

"Le Black Friday, journée de consommation intensive importée des Etats-Unis, ne correspond pas aux valeurs de la Camif. Alors, en ce 24 novembre, nous fermons nos rayons et vous invitons, à l’instar de nos collabor’acteurs, à consommer autrement,à partager avec vos proches, tout simplement à ne pas acheter mais à donner."

La surconsommation nous coupe du réel

J'ai déjà eu l'occasion d'appeler à une responsabilité collective pour retrouver la valeur des choses. La consommation à outrance incarnée par ce Black Friday nous incite à ne pas être responsables : ô vous craquerez bien pour ces immanquables, ces destockages massifs ! 
Le consumérisme est le processus qui tend à nous réduire à des consommateurs, de telle façon que nous soyons plus concernés par nos achats que par notre rôle de citoyen. Nous nous déconnectons du réel pour vivre dans un monde virtuel où nos actes n'ont plus de conséquences ! 

Nous voyons bien d'ailleurs les effets de notre irresponsabilité sur l'environnement avec une planète que nous considérons bien souvent comme un simple consommable. La dette n'est pas seulement économique, mais bien également écologique ! 

Les mêmes maux touchent d'ailleurs la politique qui n'arrive plus à s'emparer du réel, qui préfère s'enfermer dans un entre-soi, une bulle où la contestation et la démocratie n'existent pas. Dire une chose et son contraire n'étonne d'ailleurs même plus.

Repenser notre rapport à l'écologie 

L'urgence est de nous replonger dans le réel, de retrouver le sens d'une consommation responsable. Tant que l'écologie, le rapport à l'environnement seront traités de manière idéologique, à des fins de communication comme lors des derniers sommets internationaux avec des accords très peu contraignants, nous ne gagnerons pas la bataille !
Il est d'ailleurs paradoxal d'observer qu'à l'heure où nous parlons de l'homme augmenté, principalement grâce à l'apport du numérique, l'homme se retrouve en réalité tiraillé, fragile et parfois irresponsable dans son rapport au réel, incapable de prendre soin de la nature qu'on lui a confiée. 

N'avons nous pas un problème ? Quelles sont nos priorités ? 



Des chantiers concrets

Selon le Centre Nation d'Information Indépendant sur les Déchets (CNIID), chaque français produit 354 kg d'ordures ménagères par an, et même plus si nous considérons les déchets professionnels avec un total de 13,8 tonnes par an et par habitant ! Nos achats ont bien sûr un impact sur les matières premières avec une consommation annuelle de 34 tonnes par français.

Le premier chantier est de développer le recyclage des déchets et leur élimination. Comme le dit l'adage, "le meilleur déchet est celui que l'on ne produit pas". Des initiatives comme celles de la ville de Lorient qui propose un ramassage des bio-déchets est à mettre en avant ! 

Le deuxième chantier à mener avec la grande distribution et les industriels, est de faire revenir en force la consigne des bouteilles, disparue dans les années 80 et par ailleurs très développée outre-Rhin. Outil de responsabilisation de l'ensemble des partie-prenantes, elle évite en outre de faire chauffer un four à 1500° pour obtenir à nouveau une bouteille...vide !

Pour finir, le danger est de tout attendre d'en haut, des pouvoirs publics pour être acteur. Notre responsabilité est de dire non au Black Friday, d'agir concrètement pour une consommation responsable ! 

C'est un message politique majeur que nous devons porter, la fuite en avant consumériste est l'apanage des progressistes. De notre côté nous croyons en l'homme et ses capacités, en sa conscience et en sa faculté à choisir le bien pour son environnement au sens large. 
C'est une lutte intérieure qu'il nous faut mener pour refuser la facilité et l'irresponsabilité au profit du temps long et de l'exigence du réel. 


samedi 11 novembre 2017

De la responsabilité collective #40

Le FN contre les partis traditionnels, les riches contre les pauvres, le secteur public contre le secteur privé, les progressistes contre les conservateurs. Ils sont nombreux les exemples de division et d'opposition qui minent notre pays. Nous ne devons pas céder à ces tentations et retrouver notre responsabilité collective.



Parmi les tics de langage répandus, qui habitent nos conversations quotidiennes, il y en a un qui ne me laisse plus indifférent. Ils sont de plus en plus nombreux, ceux qui évoquent "ce pays" en parlant sans la citer, de la France. Evidemment, cette expression est souvent utilisée pour pousser des jérémiades, critiquer, stigmatiser ce qui ne va pas bien, dans "ce pays". Comme si la France était un "objet" dont on pouvait se désolidariser, se débarrasser quand cela nous arrange...!

Cet exemple, ô combien symbolique doit nous interroger sur notre capacité à faire société, à être ensemble responsables de notre destin. Il est en effet si facile à tous les niveaux de ne se rendre responsable de rien, de ne pas mesurer les conséquences de ses actes, de repousser des dettes de tout ordre sur les générations futures. Il est temps de redécouvrir ensemble la responsabilité.

Responsabilité écologique

La première des responsabilités qui nous incombe est bien sûr en rapport avec l'environnement :
- l'année 2017 sera l'une des trois années les plus chaudes depuis que les relevés météorologiques existent au XIXème siècle,
- les émissions de gaz à effet de serre n'ont jamais été aussi importantes,
- le niveau des océans ne cesse de monter (20cm depuis le début du XXème siècle).

Si la responsabilité de l'homme n'est plus à démontrer, c'est surtout son irresponsabilité qu'il nous faut montrer. Folie de vouloir vivre, produire, consommer à n'importe quel prix, sans se soucier des conséquences sur notre bien le plus précieux qu'est la nature.
Les rapports alarmistes nous secouent sans nous ébranler avec des accords internationaux peu contraignants. La détermination politique doit être forte, accompagnée de tous les progrès sur les sources d'énergie "propres": solaire, éolien notamment offshore, stockage de l'énergie.
Au niveau local, les initiatives sont nombreuses (composteurs, zéro déchet) et doivent être encouragées !

Responsabilité économique

L'irresponsabilité en matière économique a consisté à accumuler depuis plusieurs décennies une dette que la France ne pourra à l'évidence jamais rembourser. Nous avons par exemple appris que le déficit de l'Etat français allait passer de 76,5 à 82,9 milliards d'euros l'année prochaine, alors que la dette publique est sur le point d'atteindre 100% du PIB en 2018. Ces niveaux insoutenables sont à mettre en parallèle avec le sentiment d'exaspération des français devant leur niveau global d'imposition. Tout cela n'est pas sans poser problème quand on sait que les rentrées fiscales constituent la première ressource de l'Etat.

Qu'est-ce que la dette sinon un impôt différé, reporté sur les générations futures ?

Là encore, les promesses, les incantations ne suffisent pas. Une simple remontée des taux d'interêt mettrait la France en grande difficulté.
La détermination politique doit être forte, et un projet de réflexion globale sur le périmètre de l'Etat (au sens large) doit être mené. Attention toutefois à éviter l'écueil qui serait de considérer toute dette ou toute dépense publique comme mauvaise car les investissements dans le temps long sont nécessaires (éducation, transition écologique). Mais on ne peut réformer à périmètre constant, sans qu'il y ait de perdants.

L'économie ne se réduisant pas à la dette publique, il incombe à chacun d'entre nous d'être responsable de nos producteurs et de nos artisans locaux, qui représentent si bien le savoir-faire français !

Responsabilité citoyenne

Enfin, il n'y aura pas de responsabilité commune sans un réveil citoyen. Il est illusoire de penser que la France retrouvera le chemin du succès par la seule politique économique, qui semble être l'alpha et l'oméga du gouvernement actuel. Retrouver une histoire et des racines communes, la fierté d'être français, de participer au rayonnement de notre pays à l'international et au bien être de nos concitoyens : c'est cela qui doit nous animer !
La rupture consistera à penser l'interêt de la France et des français avant toute autre considération. C'est ce que nous avons de plus beau, et c'est ce qui nous permettra de dépasser les clivages artificiels exposés en préambule pour enfin porter une vision pour notre pays.

Un exemple de capacité collective à retrouver le chemin de l'interêt général ? Faire en sorte que chaque français paie l'impôt sur le revenu, même si les sommes peuvent être marginales.
Pourquoi ? Le consentement à l'impôt s'étiole progressivement puisque de moins en moins de français sont soumis à une imposition directe : 42,3% des foyers fiscaux s'acquittaient de l'impôt sur le revenu en 2016 contre...50% en 2012 ! L'impôt doit être citoyen, symbolique et responsable !

Vouloir révolutionner la politique, mettre la France en marche. Tout cela est louable. Mais qu'en est-il dans les faits ? Où est la responsabilité écologique, économique et citoyenne ? Le vrai courage, il est là ! 


mercredi 13 septembre 2017

Intelligence artificielle, ou quand l'économie devient politique #39

La révolution numérique et l'intelligence artificielle sont au coeur de toutes les questions d'actualité, concernant l'économie notamment mais pas seulement. Elles ont le mérite de réveiller les passions, avec il est vrai, des enjeux aux conséquences majeures. Mais est-on branché sur le bon débat ?


Elles sont rares, très rares les personnes qui entretiennent un avis mesuré sur les évolutions technologiques que nous connaissons. 
Entre ceux qui pensent et affirment que l'emploi va disparaitre, et que l'on doit immédiatement préparer le monde de demain en versant un revenu minimum universel inconditionnel, et ceux qui voient simplement les opportunités de "business", une capacité à rendre la société plus fluide et l'avènement de progrès scientifiques.

N'y aurait-il pas de voie intermédiaire ? Sommes-nous condamnés à choisir entre la techno-béatitude et le repli sur soi ? Bien évidemment, il est possible de trouver un terrain fertile à l'épanouissement de l'homme par la technologie et ses évolutions rapides qui nous désarçonnent parfois.
Encore faut-il laisser le dogmatisme, et accepter de prendre un recul critique pour aller dans le fond des choses. Pourquoi ces révolutions ont-elles lieu ? Quelle est leur visée ? Pour quel avenir, quel progrès voulons nous construire, pour les générations futures ? Qu'est ce qui est pour nous fondamental à conserver ?
C'est uniquement en croisant ces deux séries de questions que pourra se déterminer (ou non) le cadre d'une entente et d'une collaboration bienveillante entre l'homme et la technologie.

Le progrès dû au hasard ?

Au risque de vous décevoir, il me semble évident que le progrès...n'est pas dû au hasard. Du moins dans son orientation globale. L'intelligence artificielle a une portée philosophique, civilisationnelle. Elle participe au rapprochement entre le silicium et le neurone, rapprochement qui sera matérialisé par des implants cérébraux comme le propose par exemple Elon Musk.
Ce dernier argue que ces implants constitueront notre unique recours avant d'être marginalisé par une intelligence artificielle qui bientôt nous dépassera. C'est l'avènement de l'homme augmenté.

Une attention particulière doit néanmoins être portée aux "visionnaires" qui, comme Elon Musk, alertent contre le risque "fondamental" que court l'humanité avec l'intelligence artificielle et qui...en font une source colossale de "business" à côté (ici Neuralink). On peut donc légitimement se demander "à qui profite le crime ?".

Ne pas se tromper de cible


Nous pouvons tout à fait appréhender cette révolution technologique de façon technique, en essayant de réfléchir à l'encadrement de ces évolutions, à leurs développements et aux acteurs qui y prennent part. Mais n'est-ce pas artificiel ?
Comment analyser un changement de civilisation à la lumière d'une analyse purement technique ? Non pas que cette dernière soit superflue, mais bien parce qu'elle ne prend en considération que la pointe émergée de l'iceberg de l'intelligence artificielle.


Que sous-tend l'intelligence artificielle ?

L'intelligence artificielle a une portée civilisationnelle puisqu'elle diffuse une certain vision de l'homme et du monde. Elle procède avec la révolution technologique d'une logique d'efficacité, de productivité alors que l'homme (être fini) est bien souvent limité dans ses capacités. Vision théorique me direz-vous ? Regardez le marché du travail, et observez à quel point les moins qualifiés (compétences et formation), les plus âgés sont précisément ceux qui sont hors de l'emploi, en "marge" de nos sociétés. Et bien souvent se développe en sus un cercle vicieux pour ces "outsiders" au profit d'insiders qui eux sont dans le système. Les conséquences sont immédiates pour ces outsiders en terme de lien social, d'accès aux biens de première nécessité, au crédit bancaire ou au logement par exemple.
Les évolutions technologiques et l'automatisation des processus ne semblent pas renverser ce processus mais bel et bien l'accélérer. En effet, ce sont d'abord les outsiders qui seront touchés, avec l'automatisation des emplois peu qualifiés, à "faible valeur ajoutée". Ou quand la valeur d'un homme ou d'une femme est jugée sous le seul prisme de l'efficacité économique !

L'humanité affectée dans son essence 

Ces mutations affectent la nature de l'humanité, puisque sont écartés de fait ceux dont la contribution jugée à l'aune de la productivité, coûte plus qu'elle ne rapporte. Nous penchons ainsi vers, non pas une économie et un développement technologique au service de l'homme et de l'humanité, mais au profit d'un certain type d'individu. Cette distinction est fondamentale ! 
Ceci n'est d'ailleurs pas sans conséquence puisque le culte de l'individu, renforcé par une consommation exacerbée, rend difficile la recherche d'un intérêt autre que le sien, et de facto le détourne de la recherche de l’intérêt général, et donc de celui de tous les hommes.

Cette analyse pourrait s'avérer très subjective et partielle si elle n'était pas confirmée par les "progrès bioéthiques". En effet, la recherche sur l'embryon et son évolution laissent actuellement la porte ouverte à une modification de l'ADN des cellules, et à une élimination des profils jugés "non performants" ou "non satisfaisants". Ceci n'est pas acceptable dans une société qui s'intéresse à la préservation de l'humanité, mais peut tout à fait se concevoir si l'individu et son utilisation devient une fin en soi. 

De plus, d'autres développements tels que la quantification du réel par toutes sortes de capteurs, le transhumanisme qui vise la mort de la mort, participent à la même idéologie décrite ci-dessus. 

Avènement de l'économie politique

Cette mise en cohérence des différents phénomènes et explications sous-tendues par la perspective d'une intelligence artificielle s'avère nécessaire pour ne pas rester dans une analyse parcellaire.
Vous l'aurez compris, la technologie n'est pas visée dans son essence, mais bien dans son orientation. Nous ne développerons pas toutes les potentialités déjà exploitées par la technologie notamment dans le domaine de la médecine. Il faut s'en réjouir et accompagner ce mouvement. 

Il est donc nécessaire de ne pas réduire ces transformations à des vagues purement technologiques, et cela nous fait prendre conscience que l'avenir de l'humanité (long terme) est en train de se dessiner en même temps que notre monde est déjà façonné par ces évolutions (court terme). Nous devons consentir à cet effort de réfléchir à l'homme et son évolution pour pouvoir affronter ces enjeux civilisations. Si la politique s'intéresse bien souvent à la prochaine élection, n'avons-nous pas le devoir de penser la prochaine génération ?

Le risque est sinon de voir l'économie se substituer à la politique pour proposer cette vision de long-terme, avec des contre-pouvoirs et des gardes-fou difficiles à mettre en place compte tenu de la puissance des acteurs tels que les GAFA aujourd'hui. 
Pour conclure, nous pouvons dresser le constat suivant ; nous, politiques et citoyens, nous sommes de manière collective désengagés du long terme, et c'est une faute lourde car nous sommes actuellement condamnés à nous adapter. S'adapter à des évolutions qui sont de l'ordre du progrès technique est tout à fait naturel et les entreprises vivent cela au quotidien. Mais s'adapter à une vision de l'homme et du monde propagée par certains et décrite dans cet article sans y prendre part et parfois même sans y consentir relève d'un manque de responsabilité.

Tout cela doit nous interroger sur notre capacité à faire société, à vivre dans la cité, à faire de la politique ensemble, dans une époque où l'individu est roi. L'économie est-elle une fin ? Je ne le crois pas. L'individu est-il une fin ? Je ne le crois pas. Saisissons-nous de ces sujets, pour les orienter vers le bien de l'humanité dans son ensemble. Il est faux d'affirmer que le bien de mon voisin ne concerne que lui, il nous faut retrouver le sens du collectif pour faire société, ensemble. 

La technologie doit nous pousser à nous humaniser. C'est paradoxal, mais tel est le sens de l'histoire.



jeudi 13 juillet 2017

De la responsabilité de l'individu et du politique #38

Avec la révolution numérique, le monde avance à une vitesse exponentielle. Mais qui le pense aujourd'hui dans ses évolutions ? Agents économiques, gouvernements, individus : il est urgent de redéfinir ensemble le rôle de chacun de ces acteurs. 


Nous l'avons souvent rappelé ici, l'économique et le politique sont étroitement liés et ils participent avec le social à la construction de nos sociétés. Les derniers mois ont confirmé la sortie d'un certain monde avec les élections de Donald Trump et d'Emmanuel Macron, la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne, les négociations compliquées sur le climat.

Si les cartes sont rebattues avec un leadership à prendre au niveau européen et mondial, et que la révolution technologique bat son plein, la réalité de la "vraie vie des vrais gens" est parfois toute autre. Derrière l'engouement pour le projet Macronien et ses revirements hebdomadaires, subsiste une France qui va un peu moins bien, cette France des déclassés, des territoires perdus de la République, cette France du chômage qui demeure un drame humain, cette France des emplois peu qualifiés et des fins de mois difficiles, cette France des non formés. Qui s'occupe d'elle ?

Tout cela doit nous interroger sur notre capacité à nous projeter dans ce monde nouveau aux repères incertains, et qui semble laisser de côté ceux qui ne peuvent suivre. Certains affirmeront qu'il s'agit d'une énième révolution, avec ses ajustements nécessaires, le temps que les créations d'emplois du nouveau monde remplacent ceux de l'ancien monde. Mais à quel prix pour les outsiders ?

Quand l'économique reprend le dessus


Nous constatons aujourd'hui qu'au delà des mots et des sommets internationaux, le politique et le citoyen peinent à exister aux côtés de l'économique, qui prend une place grandissante. Deux exemples. 

La France est aujourd'hui tributaire des marchés financiers sur lesquels elle emprunte à hauteur de 200 milliards d'euros chaque année. Fort heureusement, elle profite actuellement de taux anormalement faibles sur cette dette, du fait de sa proximité avec l'Allemagne. La France est donc dépendante de l'économique, et c'est pourquoi une réduction de sa dette aurait comme effet le retour à une plus grande souveraineté. Cette dépendance récemment soulignée par le 1er ministre doit désormais s'accompagner d'actes concrets engageant des transformations profondes.

Dans un autre domaine, Google qui est ultra-dominant dans son activité de moteur de recherche a par son système de référencement un pouvoir économique et politique sans précédent, et des millions d'individus sont dépendants de l'entreprise californienne. Elle possède $86 milliards de cash qu'elle investit dans des secteurs d'avenir, dont certains sont clairement à visées politique et philosophique comme l'intelligence artificielle.

L'économique est d'autant plus puissant que la donnée (data) devient actuellement le pétrole du 21ème siècle, avec une course effrénée visant la collecte et l'exploitation d'informations personnelles. Rappelons ici que nous consentons à cette opération en disposant des informations sur les réseaux sociaux, sur les sites marchands et à travers tous nos objets numériques et connectés. 
Mais qui maîtrise ces données ? Comment ces nouvelles activités, plus difficilement localisables, financent-elles nos systèmes sociaux ? A quel point le politique et le citoyen ont-ils prise sur ces phénomènes ?

Chômage et révolution technologique

Pour revenir à des considérations qui nous semblent moins éloignées, il apparait probable que la révolution technologique amplifie les situations de fragilité du marché de l'emploi, et notamment en France. Le chômage dans notre pays est principalement lié au problème de la non-qualification. Des chiffres récents montrent que le taux de chômage est de 6% à Bac +5 quand plus d'un chômeur sur deux n'a pas le bac ! 
Le fait est qu'il est difficile de s'insérer sur le marché du travail sans qualification et qu'il est très compliqué de s'y maintenir au delà d'un certain âge. Les séniors subissent à la fois un niveau d'employabilité peu élevé et les effets des réformes des retraites successives qui ont repoussé l'âge de départ à la retraite.

Ces personnes seront les premières affectées par l'automatisation des processus qui débutera par les tâches les plus élémentaires. La question de la formation professionnelle est donc centrale, ainsi que les investissements dans le système scolaire et ce dès le plus jeune âge. 

Des citoyens à part entière

Il est essentiel de se positionner en tant que citoyens face à ces problématiques complexes. Citoyens ? Oui, car nous devons réconcilier le consommateur et le travailleur. Ce dernier refuse souvent d'être une simple variable d'ajustement du "système" mais entend bien profiter des moindres avantages de la mondialisation quand il redevient consommateur. Une asymétrie qui nous fait parfois confondre le réel et le virtuel, quand nous attendons par exemple d'un employé de supermarché qu'il délivre un service aussi performant et rapide qu'Amazon. Quelle cohérence et quelle responsabilité ?
Nous devons nous réinvestir pour équilibrer les relations avec l'économique en utilisant le puissant levier qu'est la politique, seule capable de réunir les énergies, de prendre le meilleur pour dessiner une société que nous voulons. 

Le politique est donc responsable des enjeux globaux, et doit pouvoir être capable de placer l'individu au centre de ses préoccupations. Le citoyen, quant à lui ne doit pas se limiter à un "rôle de consommateur" car il rentrerait alors dans une dynamique dangereuse pour sa propre survie. C'est en utilisant pleinement son intelligence qu'il pourra continuer à être acteur dans un monde où la performance tend à se substituer à l'existence.
Laurent Alexandre, un des spécialistes dans ce domaine alertait récemment sur la nécessité de ne pas faire l'impasse sur l'intelligence au 21ème siècle :

"L'intelligence est tabou, parce que les élites intellectuelles ne souhaitent pas qu'on en parle [...] pour garder le monopole de l'intelligence" 


Faire du lien plutôt que de diviser

C'est donc conscients que le monde change et nécessite d'adapter ses compétences, ses structures,  notre système institutionnel que nous devons avancer. Cette compréhension doit être celle des individus et de la société dans son ensemble.

Cependant, il nous faut éviter un écueil important : regarder le monde évoluer (sans nous) et avoir une confiance aveugle dans le progrès. Bien au contraire, il nous faut poser un jugement critique sur notre rapport à la technologie, au travail, à l'environnement en s'appuyant sur l'homme et ses ressources abondantes !
C'est en assumant de défendre ce qui nous parait essentiel, la dignité de l'être humain, la défense de l'environnement, la protection de notre territoire, une histoire riche, une économie libérale favorisant l'initiative, et en investissant ces sujets en tant que citoyens, que nous parlerons au "vrais gens", ceux qui ne font guère de bruit, mais qui sont la France ! 





mardi 8 novembre 2016

Les 3 questions fondamentales sur le travail #37

Le travail. A l'évocation de ce mot, les poils se hérissent, les craintes, les enthousiasmes également. Quelle est donc cette notion qui divise profondément, sur son objectif, ses formes et ses développements futurs ? Décryptages autour de trois points clés.


Quel sens pour le travail ?

L'exemple français des 35h qui ont été adoptées dans les années 2000 révèle de manière sous-jacente deux visions du sens du travail. La première consiste à considérer le travail comme une aliénation, ce qui n'est pas sans faire écho à la théorie marxiste. L'homme subit son travail et il faut donc absolument qu'il sen libère. Il est compliqué de nier le caractère difficile de certaines tâches et l'économie actuelle qui est source de précarité pour certains travailleurs ne semble pas nous aider à contrer cet argument ! Elle a donc le vent en poupe.
De l'autre côté, il y a ceux qui pensent que l'être humain s'accomplit par son travail. D'une part cela lui donne (normalement) la capacité de subvenir à ses besoins, mais également de s'insérer dans la société en ayant des relations sociales, une reconnaissance, une dignité. Il suffit de voir les ravages du chômage compte tenu de ces caractéristiques pour s'en assurer. C'est d'ailleurs frappant de voir certaines personnes qui étaient jusque là dans le "système" changer totalement d'orientation, comme Jean Moreau que j'ai découvert récemment, ou encore des personnes qui, la quarantaine passée décident de quitter leur métier pour lancer leur activité, s'occuper d'une ferme. 

N'est-ce pas symptomatique d'une recherche de sens dans le travail ? N'a-t-on d'ailleurs pas tous au fond de nous cette aspiration quelque soit la réalité du monde du travail ? La financiarisation de l'économie, son expression dans des indicateurs de tous genres censés décrire des réalités ne nous éloigne-t-elle pas du véritable travail ? Comment comprendre que l'économie se développe mais que ceux qui nous nourrissent, travaillent la terre n'arrivent plus à subvenir à leurs besoins ? Sommes-nous vraiment différents de la machine quand notre seul objectif (ou celui qui nous est imposé) est, non pas un sens, mais un résultat, une productivité ? Rechercher un sens en dehors du travail est louable, mais n'est-ce pas refuser d'appréhender cette réalité ?

Dans le débat français sur les 35h (voire 32h pour certains maintenant) et la durée du temps de travail, on pose de manière évidente la question de la quantité de travail disponible qui obligerait à le partager mais on oublie de répondre à une aspiration plus profonde de l'homme, sur le sens de son travail. Alors oui, une argumentation répandue consiste à penser que puisqu'un système ne fonctionne pas parfaitement il faut le changer complètement. Le libre échange à des effets pervers alors enfermons nous dans le protectionnisme ! 

Comme le dit très bien Pierre-Yves Gomez (économiste et président de l'Institut Français de Gouvernement des Entreprises) :  
"Il faut distinguer le travail et la condition du travailleur. Le travail rend libre, émancipe par essence. [...] Mais autre chose est la question du travailleur. Les mêmes raisons qui font que le travail libère peuvent conduire le travail à devenir au contraire un facteur d'aliénation, selon la façon dont il est exercé. Le travailleur est aliéné quand il est mis dans des conditions telles qu'il n'agit pas sur son environnement, qu'il est soumis à lui, qu'il en est totalement dépendant. Aliéné aussi quand, au lieu de développer ses talents, le travailleur doit les ignorer ou les détruire. Aliéné encore si la condition de travailleur rend dépendant d'un petit chef, d'une structure, d'un résultat, d''exigence sur lesquelles on a aucune prise et qui sont telles qu'au lieu d'être dans une relation d'interdépendance on est soumis aux normes. Aliéné enfin et surtout quand le travailleur perd la capacité à donner du sens à son travail, qu'il n'en voit pas la finalité. Quand il n'en a plus l'intelligence.."

Quel périmètre pour le travail ?

Alors nous pouvons, en lien avec cette première question, nous interroger sur ce qu'est le travail. De quoi parlons-nous ? 
Aujourd'hui, le concept de travail vit des heures difficiles, avec les différentes formes qui se développent, le travail indépendant, la dématérialisation de l'économie. Nous considérons que seul le travail marchand est véritablement pertinent, et constitue la richesse de nos économies ; si votre activité ne produit pas de résultats, de capacité à dégager un salaire, à quoi bon la continuer ?
Hors, d'une part le travail couvre désormais des réalités plus diverses, mais il va devenir de plus en plus rare avec l'automatisation des processus, même si nous ignorons l'échelle de grandeur.
Partant de ce postulat, pourquoi l'homme devrait s'adapter au travail et pas l'inverse ? Pourquoi le travail devrait se résumer au travail rémunéré en organisation ? Pourquoi ne pourrions nous pas imaginer valoriser certaines activités, comme le travail associatif, d'interêt général qui permettraient de faire rentrer les gens dans l'activité et de créer de la valeur ? En quoi le travail domestique (qui est rémunéré quand il est effectué par des professionnels) ne pourrait pas devenir une forme d'activité valorisée demain ? A ce titre, Pierre-Yves Gomez ajoutait récemment une analyse très pertinente : 

"Une des thèses que j'essaie de défendre dans mon livre, c'est qu'il ne faut pas considérer le travail uniquement sous l'angle du travail en organisation ou du travail rémunéré. Une part très importante du travail que nous effectuons est non rémunérée, sans doute la moitié du travail que nous effectuons. Ça commence par le travail domestique, le plus capital pour construire une société, celui de la maison, qui se dit oikonomia en grec (oikos, maison et nomos, la règle) et qui a donné le mot économie. L'économie, c'est essentiellement la gestion de la maison! Heureusement qu'il y a du travail domestique qui fabrique des communautés familiales, crée des solidarités."
Quel futur pour le travail ?

A l'heure de la transformation numérique, le travail comme nous le connaissons et le considérons risque d'être fortement impacté, dans sa forme et son volume. Je pense qu'il s'agit d'une opportunité fantastique de réfléchir sur les deux points précédemment expliqués, compte tenu également de le véritable crise qu'il traverse actuellement. Quel sens et quel périmètre voulons nous donner au travail ? En quoi permet-il de faire communauté et donc société ? Quel est la place du travail dans notre projet collectif ? Quel est la place de l'humain ? 

Ces réflexions ne seront pas veines quand il s'agira d'affronter frontalement la question du transhumanisme.

Pour cela il faut repenser le travail de manière globale quand aujourd'hui notre horizon se limite à considérer le consommateur et le producteur, avec comme conséquence une schizophrénie absolue quand le premier demande flexibilité, prix bas, rapidité et que le deuxième (qui peut être la même personne!) quand il est travailleur ne supporte pas ces trois caractéristiques qui le rendraient "aliéné".

Sommes nous prêts à repenser le travail ? Il y a urgence, il permet à l'être humain de trouver un sens à sa vie, au monde, sa dignité également. En France par exemple, le travail permet de financer notre système social : entend-on dans les débats politiques la présence d'une réflexion sur le travail (quand on connait la transformation de l'économie) et de son impact sur notre niveau de prestations sociales par exemple ? On peut dérouler ainsi le fil, la réalité est que des questions d'ordre philosophique se posent, et qu'elles doivent faire l'objet de débats de société. A quoi servons-nous si nous ne pensons plus le monde ?
On ne peut pas dire que le système dans lequel nous évoluons mette l'humain à la première place, et c'est un drame. C'est plus la question de savoir à quel point l'être humain, doté d'un sens critique hors norme, d'une capacité d'appréciation, est capable d'affirmer que le sens donné au travail aujourd'hui ne le satisfait pas. Un citoyen engagé, un employé engagé parce qu'ils trouvent du sens dans ce qu'ils font, dans leur capacité à transformer la réalité, n'est-ce pas ce qu'il y a de plus beau et de plus noble ? 
En ne pensant pas le travail, le risque est que nous nous aliénions nous-mêmes.

mardi 1 novembre 2016

Ne rêvez pas, le chômage ne baissera pas ! #36

L'homme politique a un objectif, vous commercialiser son projet afin d'emporter la mise à la prochaine élection. Certaines fois, il a tendance à faire preuve d'outrecuidance, et c'est notamment le cas sur le chômage.


Le chômage justement, il est la première préoccupation des français, si vous considérez que le terrorisme arrive en deuxième position. Et si les politiques ont la capacité de tordre la réalité pour la plier dans leur sens, les chiffres et la rationalité économique n'ont que faire de leurs prétentions.

Je vais me prêter à un exercice peu répandu dans les médias, et comparer les déclarations de notre personnel politique à la réalité incarnée par ce que l'on appelle des faits. Oui parce que parfois il n'est pas forcément évident que nous vivons dans la même, réalité.
A l'origine, notre président de la République s'est toute de même permis de parier sur "l'inversion de la courbe du chômage" comme condition d'une candidature en 2017, parce que non l'élection d'après n'est pas son seul objectif, enfin si. Vous me suivez ?
Ensuite, Michel Sapin son ministre de l'économie et des finances a successivement affirmé que l'inversion de la courbe était à leur portée, avant de la confirmer en décembre 2013. Dont acte.
Enfin, le président de la République a solennellement déclaré le désormais célèbre : "ça va mieux", comme si le peuple français était suspendu à cette déclaration pour enfin s'en rendre compte. En tout cas, d'un point de vue du récit politique, j'ai envie de dire : merci pour ce moment !



Remarquez tout d'abord que les chiffres, l'information ont pris le dessus sur la réalité avec cette promesse présidentielle. Comment parler d'une réalité en employant des chiffres, et uniquement des chiffres ? Habitués à brasser des milliards, à les déplacer en bougeant des curseurs, n'ont-ils pas perdu toute notion de la "vraie vie des français" comme disait Emmanuel Macron ? Je doute qu'il existe autre chose que la vraie vie en fait, du moins jusqu'à ce que Elon Musk ait mis les pieds sur Mars..tremblez politiques !
Nous ne ferons pas ici l'offense de rappeler que..un candidat à la primaire de droite a réussi à sous-évaluer le prix d'un pain au chocolat dans une proportion de 1 à 10 ! Même si nous n'attendons pas d'eux qu'ils soient au fait de tout, cette déconnexion, cette outrecuidance nous font mieux comprendre à quel point...quelques centaines de milliers de chômeurs de plus ne sont pas un drame.

La vraie vie des vrais gens

Avant de revenir sur les chiffres du chômage, prenons quelques faits qui participeront à rétablir une vision plus prosaïque de la pauvreté et de la précarité en France :
- entre 5 et 8,8 millions de pauvres (suivant les définitions) dont 1 million de plus sur les dix dernières années,
- 1 personne sur 7 sous le seuil de pauvreté (60% du revenu médian qui est de 1 679€, chiffres INSEE),
- 1,87 million de foyers bénéficient du RSA (chiffres CAF),
- 3,8 millions de personnes souffrent de mal-logement (chiffres fondation Abbé Pierre),
- 2,8 millions de personnes sont sans emploi (chiffres INSEE).

On continue ?

Il est souvent dit dans le débat public que la France ne veut pas ressembler à l'Allemagne qui a fait baisser son niveau de chômage mais a augmenté la précarité. Et bien en France nous avons les deux !
Il n'existe pas de solutions miracles et chaque pays a ses spécificités, mais rien n'a été fait ces dernières années pour conjurer ce chômage et cette précarité de masse. Et affirmer même avec beaucoup de force "nous ne voulons pas ressembler à l'Allemagne" ne redonne pas du travail aux français, au risque de décevoir certains.

Les chiffres du chômage

Alors vous le savez sûrement (ou sinon allez voir par ici), les chiffres du chômage sont discutés, beaucoup discutés mais il en existe en réalité deux différents ! L'Insee calcule trimestriellement un taux de chômage selon le Bureau International du Travail (BIT) permettant les comparaisons internationales tandis que Pôle Emploi enregistre mensuellement les personnes sans emploi venant s'inscrire chez lui, avec des imprécisions liées au mode de calcul qui change régulièrement.

En France, les politiques s'acharnent sur ces chiffres et particulièrement sur ceux de Pôle Emploi, sacrifiant le long terme et la vue d'ensemble pour l'analyse "courtermiste" avec une absence de réelle politique de l'emploi, sinon quand il s'agit d'en subventionner une partie.
Premièrement, on fera remarquer que les dépenses (et les bénéficiaires) sont toujours faciles à annoncer (et à trouver), bien plus que les économies et deuxièmement que c'est un plaisir pour nous les citoyens, de voir le gouvernement gesticuler autour de chiffres mensuels qui peuvent d'un mois à l'autre dire tout et leur contraire (pardonnez cette formule alambiquée). L'arroseur arrosé.
Dernière innovation en date, le gouvernement souhaite mensualiser les données trimestrielles de l'Insee, ça alors. Comme si notre politique économique était trop stable et souffrait de trop peu de cour-termisme !



Que nous dit l'économie ?

Face à ce qui s'apparente à une opposition fondamentale entre une réalité qui n'a rien de rose et un personnel politique qui essaye tant bien que mal de jongler avec ses dernières cartes, l'économie a pourtant une réponse claire, qui si elle était intégrée, vous aurait fait l'économie (c'est le cas de le dire) de lire le début de mon billet.

En France, 160 000 personnes rentrent chaque année sur le marché du travail et il faut donc non seulement compenser les emplois qui se détruisent ce qui est un processus de création destructrice normal en économie mais également absorber toutes ces nouvelles entrées. Pour cela il faut que la croissance de l'activité (représentée par le PIB) soit suffisante.
De plus, si les français sont plus productifs et que la demande pour ces biens n'augmente pas, et bien il faudra dorénavant moins de travailleurs pour effectuer la même tâche : ce sont les gains de productivité.

Si vous analysez ces deux informations, les économistes ont une sorte de consensus qui consiste à dire que la croissance économique doit être supérieure à de 1,5% pour que l'économie française recrée de l'emploi. Cette phrase même si elle est un peu simpliste devrait être récitée tous les jours à l'assemblée nationale et chaque semaine au conseil des ministres.
Bien sûr ce taux est spécifique à notre pays du fait de sa population active et de ses gains de productivité. En Allemagne par exemple, on estime qu'il y a chaque année 100 000 personnes de moins sur le marché du travail, et donc qu'une croissance de 1,1% suffirait à créer de l'emploi.

Que nous dit la croissance française ?

Si vous avez suivi le raisonnement, vous comprenez que nos affaires commencent à se compliquer.
Pourquoi ? L'Insee a revu à la baisse la croissance de la France qui ne devrait pas dépasser 1,3% pour l'année 2016 alors que sa dernière prévision était de 1,6%.
Bien sûr, aucun responsable politique ne vous le dira, mais dans ces conditions macro-économiques, structurelles, le chômage ne peut pas baisser ! Si quelqu'un vous annonce le contraire, regardez de plus près s'il fait des études (poussées) d'économie auquel cas il se pourrait que des théories de l'emploi n'aient pas encore été révélées rendant cette personne immédiatement "nobelisable".
Dans le cas contraire (probabilité de 9/10), oubliez son avis et intéressez-vous (ou intéressez-le) aux véritables mécanismes économiques qui permettent aux entreprises de créer de l'emploi : confiance, investissement, croissance.
Les variations mensuelles analysées avec beaucoup d'efforts par nos dirigeants ne correspondent en rien à des tendances de fond, encore moins à un recul du chômage de masse, c'est frictionnel !
Certains vous diront que le taux de chômage selon l'Insee a reculé de 10,2% à 9,9% au deuxième trimestre et que la courbe s'est donc inversée. Je leur répondrais que en toute honnêteté intellectuelle les conditions ne sont pas réunies pour faire reculer le chômage, et c'est le structurel qui nous intéresse !

On a souvent voulu décréter, du haut d'une tour d'ivoire, comment devait se comporter l'économie française. Il s'avère que, premièrement cette analyse fait fi de la réalité (parfois très dure) vécue par des millions de français, deuxièmement il n'y aura pas de salut sans une bonne dose d'humilité, de confiance dans les français et dans ceux qui créent ou peuvent potentiellement créer de l'emploi. On évoque souvent des chefs d'entreprises, mais parle-t-on de tous ceux (vous, moi?) qui pourraient demain créer de l'emploi de proximité, des startups qui ne grandissent pas, des PME qui ne deviennent pas ETI, tout cela si les charges qui pesaient sur le travail, la bureaucratie n'étaient pas des facteurs aussi lourds ? Non vous ne les verrez jamais dans le viseur, et pourtant les français débordent d'énergie et de créativité.

N'écoutons pas les vendeurs de rêve, retroussons-nous les manches, et avançons pour le bien commun, un jour nous serons en capacité de rendre aux français leur dignité, et particulièrement à ceux qui pâtissent le plus de l'irrationalité de nos politiques politiciens, sur le chômage comme sur d'autres sujets majeurs, et ce depuis des décennies.


jeudi 1 septembre 2016

De la nécessité de retrouver la valeur des choses #35

Si les mutations de notre économie sont nombreuses, les questions du progrès réellement engendrés et de notre capacité à les intégrer demeurent. 

Mesurer la valeur des choses : plus si facile que cela.
La constitution du prix

En économie, il existe plusieurs manières de déterminer le prix d'un bien. De manière générale et dans un marché parfait, le prix est fonction de la demande, ce qui signifie qu'elle réagit aux variations de celui-ci. Plus le prix d'un bien est élevé et plus la demande sera faible, ce qui est généralement le cas pour les "biens de luxe".
De la même manière, si votre boulanger fixe le prix de sa baguette de pain à 5€, il est probable que l'effet sur sa clientèle habituelle se fasse rapidement ressentir.

Dans la réalité, le prix des biens varie en fonction d'un certain nombre d'indicateurs dont le principal est généralement le coût. Le prix d'un bien reflète en effet en grande partie la valeur de ce bien et donc ce qu'il a coûté. On nomme cela le "coût de revient" qui soustrait au prix de vente équivaut à la marge dégagée. Ce principe est néanmoins à nuancer avec la puissance des marques qui nous fait acheter bien plus que des produits ; elles nous vendent une histoire, une image comme c'est le cas d'Apple par exemple. C'est la force du marketing.

Au-delà des logiques comptables, on observe que la valeur des biens et services est également guidée par une relation de confiance. Ainsi vous n'achèterez pas un bien si vous ne croyez pas qu'il est de bonne qualité par exemple. La confiance et la stabilité sont au-delà des aspects techniques, cruciaux en économie et ce sont d'ailleurs deux paramètres qui ont du mal a être considérés comme tels par les dirigeants politiques, dont les décisions fluctuent au grès des évènements. 

Un monde qui s'accélère

Il faut pour bien comprendre la problématique du prix et de la valeur des choses l'inscrire dans un contexte. Nous avons déjà évoqué le sujet dans plusieurs articles mais nous vivons une accélération sans précédent de notre éco-système (au sens large) appuyée par la révolution numérique en cours et celle des NBIC (Nano-technologies, Biologie, Informatique et Cognitive) qui ne fait que débuter. Elle est à la fois très vertueuse et déstabilisatrice tant elle remet en cause nos conceptions de la société, du rapport aux autres, du travail. 
Qui pouvait imaginer il y a encore quelques années un monde qui ne trouve pas la croissance ? Une fin certes illusoire à ce jour mais annoncée du salariat pour le travail indépendant ? Une économie collaborative qui se développe de façon exponentielle ? Une automatisation des voitures qui se précise de mois en mois ? 
Ces révolutions ne doivent cependant pas se faire sans une approche responsable au risque de complètement diviser les peuples en deux camps : ceux qui auront les moyens d'évoluer en compétence, de s'adapter rapidement, de payer peut-être pour profiter des progrès technologiques afin de vivre plus longtemps et ceux qui seront laissés pour compte, incapables de profiter de cette "révolution".

C'est donc inéluctable : tout s'accélère ! L'ère médiatique nous fait rentrer dans une instantanéité qui coupe bien souvent l'herbe sous le pied de ceux qui pensent encore qu'une réflexion approfondie est possible. Les débats politiques actuels en France ne sauront montrer le contraire. Aujourd'hui, on parle vite, on réagit vite, on produit vite, on construit vite, on consomme vite, on détruit vite. Mais le fait-on mieux ?
Pour l'instant, l'homme feint de suivre mais ne nous faisons pas d'illusions ; avec la révolution des NBIC à venir, sans contrôle ni réflexion éthique il sera bien loin de cet état où il semble actuellement "profiter".

La guerre des prix

C'est alors que nous revenons à la question de la valeur des choses qui ne peut être abordée qu'a l'aune de l'époque dans laquelle nous vivons. S'il peut être influencé par le niveau de la demande, par la marque comme nous l'avons vu, le prix peut également l'être par le consommateur.
Nous observons une tendance déflationniste (baisse générale des prix) assez marquée dans bon nombre de secteurs tels que la vente à distance, l'agro-alimentaire et les produits de grande consommation : la guerre des prix fait rage !
Aujourd'hui vous trouverez insupportable de payer des frais de port, un forfait de téléphone à prix coûteux, d'attendre pour recevoir une commande, bref de ne pas pouvoir faire ce que vous voulez dans le temps (souvent très court) que vous avez fixé et au prix (souvent très faible) que vous avez décidé.

Les nouvelles plate-formes, l'économie du numérique et l'internet participent à brouiller les frontières entre le payant et le gratuit.

Ce mode de pensée consumériste est pour moi une aberration, conséquence d'une méconnaissance économique profonde et d'un manque de cohérence. Elle procède d'une vision très "court-termite" et étroite de la réalité négligeant la totalité de la chaine de valeur. Certaines grandes organisations s'engouffrent dans ces brèches en produisant à perte comme c'est le cas d'Uber qui a perdu 1 milliard de dollars sur les six premiers mois de l'année de par son activité (mais qui bénéficie de beaucoup d'apport en capital) ou encore d'Amazon dont la rentabilité est très faible voire inexistante.

Lien entre consommateur et producteur

Alors ces évolutions sont une bonne et une mauvaise nouvelle. Une baisse des prix peut être le signe d'une concurrence saine car quand plusieurs acteurs évoluent sur un marché, le prix tend à se fixer en fonction de l'offre et de la demande. La fin des prix élevés dans la téléphonie a été rendue possible en France avec l'arrivée d'un nouvel acteur, Free, sur le marché.
De l'autre côté, la baisse des prix si elle n'est pas justifiée peut s'avérer très dangereuse, une sorte d'illusion des temps modernes qui nous fait déconsidérer, in fine, la valeur des biens et des choses !

En terme de macro-économie, on peut parler de ce sujet à propos de la création monétaire qui, dopée par les banques centrales (BOJ, FED, BCE) produit une masse d'argent sans précédent déversée dans le système monétaire (à défaut d'atteindre l'économie réelle) et qui, dans un mouvement de fuite en avant, participe à faire perdre à ces monnaies leur valeur.
La valeur des choses est également dévoyée dans le trading à haute fréquence (THF) où les traders échangent (ou spéculent) des titres toutes les microsondes, bien loin encore une fois de la réalité de l'économie que vous voyez comme moi.

L'accélération est donc avérée, mais ces réflexions visent à questionner son caractère vertueux et à regarder les choses de manière très pragmatique. Il est difficile dans le débat public de poser une réflexion qui ne va pas dans le sens du consensus sans être taxé de rétrograde. Le libéralisme s'accomoderait-il de la liberté de penser ? Regardez plutôt.

On entend souvent dire que dans la mondialisation, pour qu'il y ait un vainqueur il faut un perdant. Prenons un exemple à l'échelle nationale et donc macro-économique. Si vous avez un commerce extérieur déficitaire comme en France (à 45 milliards d'euros en 2015), cela signifie que vous importez plus que vous exportez ; pour cela il faut que quelqu'un d'autre soit excédentaire. C'est le cas de l'Allemagne qui était en excédent de...248 milliards d'euros sur la même période !
Cette comparaison a vocation à montrer que, de la même manière, la baisse des prix et la chasse aux coûts, si elle fait des vainqueurs fait aussi des perdants même si nous ne le voyons pas (naïveté) ou ne le disons pas (hypocrisie). 
C'est ainsi que Nicolas Arpagian portait une analyse intéressante dans les colonnes des Echos cette semaine :

"A déconsidérer le prix, on mine la notion de valeur qui est associée au bien ou au service concerné. Cette posture est certes confortable dans la position de l'acheteur, qui semble mener la danse. Mais elle l'est moins quand on se trouve en tant qu'offreur pris dans cette spirale des enchères inversées. [...] Le salaire décent auquel chacun aspire ne peut trouver son financement dans une quasi-gratuité systématisée. En outre, la marge constitue le fondement des investissements futurs et des réserves permettant de traverser les inévitables aléas de la vie des affaires. Sans elle, l'avenir est moins préparé et la première difficulté peut s'avérer fatale." Nicolas Arpagian

Cette recherche du "low cost" à tout prix aurait-elle une conséquence directe sur nous ? Pour continuer sur cette voie qui nous pousse en tant que consommateur à rechercher le prix le moins cher en faisant parfois totalement abstraction des coûts réels, il faudra accepter qu'elle ait pour conséquence un nivellement par le bas de nos sociétés avec une stagnation des salaires due à des gains limités. Si les conséquences immédiates sont dans un premier temps pour les pays émergents, nos économies commencent à en ressentir les effets. Ainsi, le chancelier Helmut Schmidt prononçait en 1974 cette phrase désormais célèbre :

"Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain"  Helmut Schmidt

A terme et dans cette logique, ce sont même les humains qui disparaitront du monde du travail comme le prévoit Uber, l'automatisation étant le moyen ultime de réduire les coûts et donc de se libérer de cette "contrainte" que représente l'homme.

Se poser les bonnes questions

Toutes ces évolutions ne peuvent pas être prises à la légère et les modes de financement de l'économie, de ses entités et donc des individus qui la composent doivent être exposés de manière claire. C'est une question d'honnêteté intellectuelle. Une chose est sûre, l'économie a un grand impact sur les systèmes politiques, sociaux et humains et nos comportements en la matière peuvent préjuger d'une perte de repères pour les individus aujourd'hui, et les générations futures. Peut-être assumons nous en conscience, aujourd'hui que d'autres "trinquent" pour nous ? Peut-être ne souhaitons nous vivre l'égalité réelle que dans notre territoire, au détriment des conséquences chez les autres, pour l'environnement au sens large ?

La question demeure de savoir quel avenir nous voulons collectivement choisir, afin que la folie du temps, du prix et la négation des effets pervers engendrés ne se fasse pas au détriment de l'homme.
Il est temps de retrouver la valeur des choses et... la raison.