samedi 18 juillet 2015

Livret A, un retour à la normale ? #26

Après une petite interruption estivale mon blog reprend des couleurs. Je ne vais pas me risquer à évoquer le cas Grec (bientôt!) qui évolue chaque jour mais plutôt celui du Livret A, le placement préféré des français et donc probablement le vôtre !


Tout le monde a déjà entendu parler du Livret A mais sait-on précisément de quoi il s'agit ? Figurez-vous qu'il faut remonter à 1818 pour voir sa création que l'on peut lier à celle de la Caisse d'Epargne à Paris: à l'époque, son objectif était de financer les dommages des guerres napoléoniennes…!
Il s'agit selon la définition d'un "compte d'épargne à taux réglementé, dont le revenu est défiscalisé" ; concrètement, toute personne peut ouvrir un (et seulement un) livret A avec un plafond de 22 900€ pour les particuliers. Il s'agit en langage financier d'un placement liquide ce qui permet à son détenteur de rapidement disposer de son argent s'il le désire. Ce ne sera donc pas le placement le plus rémunérateur que l'on pourra trouver sur le marché mais on dit souvent qu'il constitue une épargne de précaution : on ne touche que rarement à l'argent de son livret A ; de plus, comme tous les livrets d'épargne, il n'est pas soumis à l'imposition ce qui n'est pas sans avantage.
Jusqu'à la loi de modernisation de l'économie de 2008 (LME), on pouvait uniquement posséder un livret A dans une caisse d'épargne ou à la Banque Postale avant que la Commission Européenne demande à la France de l'ouvrir à la concurrence et donc aux autres établissements bancaires.

Le rôle de la Caisse des Dépôts

La collecte des fonds versés sur les livrets A est gérée par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) qui est une institution financière publique d'interêt général. Pour des raisons historiques, cette dernière utilise ensuite ces fonds ainsi que ceux du livret développement durable (LDD) et du livret d'épargne populaire (EPP) pour 3 usages:
- financer le logement social et la politique de la ville
- faire des prêts aux collectivités locales pour financer les infrastructures
- placer le reste sur les marchés financiers (principalement sur le marché obligataire)

Le placement préféré des français

En France, on compte 61,6 millions de livrets A ouverts pour un total de 263 milliards d'euros (-1,2% sur une année) : ce sont les encours. Il est intéressant de se plonger plus en détails sur la composition de ces encours à laquelle nous donne accès la Banque de France dans son dernier rapport. On y apprend que l'encours moyen du livret A des personnes physiques est de 4 092€, loin du plafond de  22 900€ que nous évoquions un peu plus tôt ; on observe ensuite de fortes disparités puisqu'on comptait en 2014 44,7% de livrets A avec moins de 150€.

On arrive à présent à la question qui est chaque année au coeur du débat et qui justifie l'actualité du sujet: quel doit être le taux du livret A ? La détermination de ce dernier est relativement facile puisque il existe une méthode de calcul dont la version simplifiée consiste à prendre l'inflation (hausse des prix) sur les 12 derniers mois et à y ajouter 25 points de base (soit 0,25%).
Une fois ce taux théorique calculé, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer peut soit proposer un autre taux soit s'en tenir à la méthode de calcul. Dans ce cas-là, le gouvernement qui a le dernier mot n'aura pas d'autre choix que de suivre sa recommandation ; dans l'autre cas, il sera libre de fixer un autre taux.
Ce dernier fait généralement l'objet d'une révision au début des mois d'Avril et d'Août chaque année.

Dépolitiser le livret A

Christian Noyer (photo) milite depuis quelques temps pour une baisse du taux du livret A qui est un non-sens économique, nous allons l'expliquer.
Il faut tout d'abord comprendre que le livret A n'est pas un compte d'épargne comme les autres ; son taux de rémunération constitue une valeur repère pour les autres livrets d'épargne.

On peut faire une comparaison avec les banques françaises qui se financent auprès de la banque centrale européenne : cette dernière leur prête de l'argent avec un taux directeur qui est actuellement proche de zéro (0,05% précisément). De la même manière, le taux du livret A représente le taux directeur de l'économie française indiquant le niveau d'accessibilité de l'argent auprès des institutions financières.

Les derniers chiffres publiés par l'Insee font état d'une inflation de +0,3% sur un an ; si l'on ajoute à cela les 0,25% de la formule, le taux du livret A devrait donc être proche de 0,5%.
Seulement, il est aujourd'hui à 1% et il n'est jamais passé sous ce seuil depuis sa création ! Le dilemme est donc le suivant : enfin respecter une logique économique ce qui fait consensus chez les experts et auprès du gouverneur de la Banque de France ou au contraire s'en tenir à des considérations politiques.
En effet, si l'on ne connait pas le fonctionnement du livret A, un taux à 1% parait de l'extérieur bien faible : difficile d'assumer un tel acte qui irait contre le pouvoir d'achat des français les plus modestes, et particulièrement en cette période pré-électorale.

Il faut baisser le taux

Seulement, les arguments de ceux qui soutiennent qu'une baisse du taux du livret A serait néfaste ne tiennent pas debout et il faudra donc le baisser. Comme nous l'avons vu, plus de la moitié des livrets A sont dotés de moins de 150€ et seulement 30% dépassent 3 000€. Peut-on vraiment affirmer que le pouvoir d'achat des français sera touché quand on sait qu'un abaissement du taux de 1% à 0,5% représenterait une perte de…4€ par an pour une personne possédant 750€ sur son livret. Pour la tranche haute, cela s'élèverait à 150€ pour un livret A atteignant 22 900€. Ce sont plutôt les personnes aisées qui seraient donc affectées.
La baisse du taux libérerait de l'épargne qui pourrait soit être mieux placée, soit bénéficier à l'économie par la consommation ou l'investissement: c'est justement ce dont la France a aujourd'hui besoin !

Ensuite, nous avons observé que le taux de financement des banques auprès de la BCE (0,05%) était aujourd'hui très faible avec un coût de l'argent quasi nul. Nous avons également vu qu'une partie des encours du livret A était placée sur les marchés financiers afin d'obtenir un rendement ; ce dernier se retrouve de plus en plus réduit car les taux sont poussés vers le bas. Ces placements rapportent donc de moins en moins d'argent mais on devrait dans le même quand même assurer un taux de 1% pour le livret A: absurde !

Il est aussi un argument qui consiste à dire que l"on a besoin du livret A pour financer la politique du logement. On se permettra de noter que ce n'est pas l'argent qui manque en la matière puisque 46 milliards d'euros (2% du PIB) sont déversés chaque année dans le logement sans d'ailleurs que l'Etat n'ait la moindre d'idée de leur destination !

Enfin, pour les organismes de logements sociaux ce taux n'est pas anodin: la dette de ces organismes est en effet indexée sur le taux du livret A quand la progression de leurs loyers est elle indexée sur l'inflation. Plus l'écart est important, plus cela leur coûte de l'argent.
On estime que la baisse du taux du livret A à 0,75% permettrait la construction de plus de 5 000 logements avec un gain de 200 millions d'euros sur le stock de la dette: négligeable ?


Ce n'est pas anodin d'avoir choisi un tel sujet: le livret A de par sa symbolique et son poids (psychologique) dans la société française n'est pas un compte d'épargne comme les autres.
Le débat actuel et qui revient chaque année montre bien les distorsions qui existent entre les réalités économiques que l'on peut expliquer avec pédagogie et les actes politiques qui souvent ne sont pas à la hauteur. Le temps n'est il pas venu de concilier les deux ?

[EDIT du 20/07]

La décision a été prise d'abaisser le taux du livret A à 0,75%. Une orientation qui semble juste et courageuse de la part de l'exécutif. Pour rappel, cela n'engendra qu'un impact de 65 centimes d'euros par mois pour un détenteur moyen.

[L'explication] 
Aujourd'hui, le décryptage porte sur l'impact de l'inflation. Elle se définit par une "hausse durable du niveau général des prix". Un produit qui vaut 100 en année N vaudra ainsi 105 en N+1 si l'inflation est de 5%.
Nous n'allons pas détailler toutes les causes et conséquences de l'inflation mais dans le cas présent, l'inflation a un impact sur la rémunération de l'argent que vous placerez sur votre livret A.
On distingue ainsi le taux nominal du taux réel: le taux nominal du livret A est de 1% mais le taux réel prend compte de l'inflation qui est déduite: ce serait ainsi actuellement 0,7% (1%-0,3%). C'est le taux réel auquel votre épargne est rémunéré.
Pendant que les prix augmentent dans l'économie du fait de l'inflation, l'argent que vous avez placé lui garde donc son "ancienne valeur" : il est donc important d'y faire attention !

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