vendredi 31 octobre 2014

Et si le chocolat...disparaissait ? #6

Quel plaisir de déguster son carreau de chocolat avec un bon café ! Que vous soyez adepte ou pas de cette pratique, que vous préfériez le moelleux au chocolat, il va peut-être falloir revoir vos habitudes. 


Je commencerai par deux informations issues d'un excellent article publié par les Echos cette semaine et qui permettront de bien se plaçer dans le contexte:
- D'ici à 2020, la demande de Cacao excèdera de 1 million de tonnes la production mondiale
- La consommation agroalimentaire va doubler d'ici 2050

Dès lors, on comprend bien quels sont les enjeux: d'un côté la population mondiale et les besoins qui vont augmenter de manière exponentielle et de l'autre, la production et notamment agricole qui ne pourra augmenter au même rythme.

Une situation compliquée pour les producteurs

Si l'on commence à se soucier du sort des producteurs de cacao, ce n'est pas un hasard: voilà plusieurs années que la consommation est supérieure à la production ce qui commence à inquiéter certains grands groupes industriels dont le business repose sur la culture de ces fèves.
On estime qu'il a 5 à 6 millions de producteurs de cacao dans le monde et entre 40 et 50 millions de personnes qui en dépendent pour pouvoir vivre.
Seulement, même les producteurs n'arrivent pas à dégager des revenus de leur production: par comparaison, un hectare de cacaoyers rapporte 1.525€ par an contre 5.800€ pour les arbres en caoutchouc par exemple.
Les enjeux humains sont également importants puisque énormément d'enfants travaillent dans ces cultures, dans des conditions très difficiles.

Y aura-t-il un salut pour le cacao ?

Les grands groupes commencent à se saisir du problème et les consommateurs finaux deviennent mieux informés. Si il y aura besoin d'investir beaucoup pour pouvoir pérenniser la culture de cacao, il n'est cependant pas envisageable de faire correspondre production et demande: ce serait à un prix très élevé avec des dégâts environnementaux qui déjà à ce jour sont importants.
Cela nécessiterait de planter par exemple une quantité astronomique d'arbres ou encore de moderniser les techniques de culture actuelles ce qui serait une bien meilleure idée.

Cette problématique de la culture du cacao pourrait être mise en perspective avec d'autres thématiques comme la production agricole qui devra elle augmenter de 70% d'ici à 2050 mais aussi avec l'écologie et le développement durable: saviez-vous que depuis le 19 Août 2014, l'humanité vit en quelque sorte à crédit puisque elle a consommé toutes les ressources naturelles que la planète pouvait produire ?

Et pour l'humanité ?

D'une certaine manière, cet exemple du cacao nous concerne tous et fait surgir des questions bien plus importantes, de l'exploitation d'hommes et de femmes (et notamment en Afrique puisque la Côte d'Ivoire et le Ghana sont les deux plus gros producteurs de Cacao), à la croissance de la population (11 milliards en 2100 contre 7,2 milliards aujourd'hui) et son impact en terme de consommation dans un monde déjà miné par les inégalités: à titre d'exemple, 750 millions de personnes n'auraient pas accès à de l'eau potable selon l'Unicef: impressionnant.

Cela doit aussi nous faire réfléchir sur la façon dont nous pourrions consommer mieux, plus intelligemment et également sur la manière dont nous allons aborder ces enjeux; pas seulement pour s'assurer que notre entreprise pourra toujours se fournir en graines de cacao et ainsi continuer son business ou que nous pourrons toujours déguster notre chocolat noir fondant mais bien parce que il s'agit de l'avenir de l'humanité.


mercredi 29 octobre 2014

Et si l'avenir de la France...nous appartenait ? #5

L'économie française en 2017, la puisse allemande à l'horizon 2030, la domination de la Chine d'ici 2050: faire des projections, aussi irréalistes soient-elles est un exercice très répandu aujourd'hui: rassurant, encourageant, cela occulte pourtant un aspect fondamental

La Halle Freyssinet, déjà un symbole
La France louée et décriée

Vous avez peut-être (ou pas) entendu parler de deux études ou articles publiés récemment dans la presse internationale.
Dans la continuité de l'annonce des "mauvais" chiffres allemands du mois d'Août, deux économistes allemands plutôt reconnus ont publié une tribune dans le "Daily Telegraph": leur constat principal ? "Dans 10ans, la France sera la première puissance de l'Europe continentale".
Ils s'appuient notamment sur la démographie française qui va être un atout de poids par rapport à l'Allemagne dont les investissements insuffisants et les inégalités croissantes risquent de précipiter sa chute.

De l'autre côté de l'Atlantique, une des grandes personnalités de Wall Street ne partage pas ce constat: David Einhorn a cette semaine vivement critiqué une France "trop fière pour se réformer" avec une chargée appuyée sur des mesures emblématiques comme la taxe à 75% ou les 35 heures.
La France qui finance sa dette de manière presque gratuite avec des taux d'interêts historiquement bas compte tenu de la situation économique est assimilée à la Grèce par le gérant du fond d'investissements américain. 

Une France attentiste

Si l'on peut difficilement dire aujourd'hui quelle est la théorie qui se réalisera, il y a sûrement une part de vérité dans chacune d'entre elles.
Mais je veux surtout attirer votre attention sur les dangers de cet exercice: certes d'un côté quelques prévisions peuvent s'avérer utiles pour prendre des décisions comme l'utilisation du taux de croissance ou du taux d'inflation prévisionnels pour construire le budget de l'Etat ce qui lui permettra d'évaluer les rentrées fiscales, le niveau de production...etc
Mais quand cette pratique devient trop importante, le danger est d'oublier que NOUS sommes les acteurs du changement. Qui va décider du sort de la France pour les prochaines années, dans 15 ans, dans 50 ans sinon les français ? N'est pas du bon sens que d'affirmer cela ?

Des symptômes...et une guérison ?

Je voudrais ici attirer l'attention sur un fait qui me parait plutôt grave: la France ne croit plus en elle-même. Denis Payre, vice-président de Nous Citoyens, utilise à juste titre cette formule: "La France est une surdouée qui s'ignore".
Notre pays regorge de talents, d'énergies nouvelles, d'atouts mais nourrit une défiance sans précédent vis-à-vis de la classe politique qui trouve son origine dans le manque de vision et de courage de nos dirigeants, et ce depuis 30 ans ! 
Les projets audacieux sont laissés dans les tiroirs, le décalage entre les paroles et les actes devient parfois abyssal au point que l'on ne s'intéresse même plus à ce qui se passe dans notre pays.

Difficile de pouvoir se résigner à une telle situation, non ?
Qui n'a pas envie de vivre dans une France qui encourage la prise d'initiative, où chaque réussite est valorisée, encouragée, où l'on a plus peur d'aller de l'avant et de croire en l'avenir, où la complexité n'est plus la norme ?
Qui n'a pas envie de voir se réaliser des projets faisant consensus au nom de l'intérêt général, de voir un gouvernement apporter une vision claire, cohérente avec des objectifs et des moyens pour y arriver ?

Le changement, c'est (vraiment) maintenant

Je suis de ceux qui pensent que le changement viendra aussi de nos territoires, d'initiatives lancées par des citoyens. Non la France n'est pas morte et Xavier Niel PDG d'Illiad (Free) pourrait en être le parfait exemple: cet entrepreneur à succès vient d'inaugurer cette semaine le plus grand incubateur du monde (voir photo) qui accueillera à partir de 2016 plus de 1.000 entreprises dans ses 30.000m2 à Paris.
Tout cela pour un coût de 200 millions d'euros financé...à 90% par Xavier Niel lui même !
Comment ne pas se réjouir d'une telle initiative, comme il y en a beaucoup à tous les niveaux dans notre pays ?

Je concluerai donc en partageant l'optimisme de Xavier Niel: "La France morte ? Il y a peu de pays où il se passe tant de choses". 
Croire en la France, c'est croire en chacun d'entre nous: alors allons de l'avant !




dimanche 26 octobre 2014

FNAC, un modèle pour Amazon ? #4

Cette semaine, deux entreprises ont retenu mon attention: l'une est française et spécialisée dans les biens culturels et électroniques, l'autre est américaine et leader mondial du e-commerce.




Amazon, résultats décevants

Le géant américain du e-commerce, considéré comme une des plus grosses entreprises de la planète avec Google, Apple et Facebook a annoncé par la voie de son PDG Jeff Bezos des résultats mitigés pour le troisième semestre 2014.
Malgré des ventes en augmentation de 20% sur ce semestre, ce qui est plutôt notable, Amazon ne gagne plus d'argent: un constat inquiétant qui a fait immédiatement chuter le titre de 10% en bourse !
Les pertes nettes de l'entreprise s'élèvent à 437 millions de dollars au T3: pour faire simple, les coûts sont supérieurs aux recettes: embêtant.
Pire, les prévisions pour la période des fêtes de fin d'année qui est stratégique pour ce type d'entreprise sont très en deçà des attentes et les pertes pourraient s'élever jusqu'à 570 millions pour le dernier trimestre.

Fnac, un rebond inattendu (et bienvenu)

Du côté de la FNAC, on respire mieux: pour la première fois en 4 ans, l'entreprise a vu ses ventes augmenter ce trimestre (+2,2%), boostées par les bons résultats de ses magasins en France (+4,7%).
On est certes loin des 20% de Amazon, d'autant plus que la marge de l'enseigne est toujours en chute même si celle-ci s'est atténuée au 3ème semestre.
Ces chiffres ont un goût de victoire pour la FNAC; depuis des années, le groupe est en délicatesse sur un marché moins porteur avec des concurrents comme Amazon qui rendent la tâche de Alexandre Bompard (PDG du groupe) bien difficile.
Il y a quelques années, ce dernier a entamé une stratégie de diversification avec l'apparition de nouvelles catégories de produits, du petit électroménager à la téléphonie en passant par les cafetières: nouveau positionnement dont l'issue était incertaine mais qui laisse, avec ces chiffres, entrevoir un peu de lumière dans le fameux cadre jaunâtre du logo de la FNAC.

Amazon, Fnac: deux visions opposées

Au delà de ces chiffres qui montrent deux réalités et dynamiques différentes, il est intéressant de s'intéresser aux stratégies de ces deux entreprises en essayant (peut-être) de les rapprocher.
Chez Amazon, on pratique la vente à distance avec des tarifs défiant parfois toute concurrence: l'exemple parfait est la pratique des frais de port gratuits qui menace notamment les libraires: pourquoi se déplacer en magasin quand Amazon vous envoie votre livre chez vous, sous 1 ou 2 jours avec un tarif plus attractif ?
On a bien essayé de contrer cette pratique en interdisant la gratuité des frais de port; qu'à cela ne tienne, l'enseigne américaine les a fait passer à 0,01€: astucieux.
Mais cette course au meilleur prix peut s'avérer dangereuse surtout quand elle entraine des conditions d'emploi très difficiles pour les salariés du groupe, les récits ne manquent pas chez Amazon: un modèle qui touche à sa fin.

A côté de cela, la FNAC a continué dans sa stratégie avec ses points de vente comme atout principal, avec des véritables conseillers au service des clients: une stratégie qui peut paraitre un peu anachronique à l'heure des nouvelles technologies et de l'internet: mais si c'était la bonne ?
En voulant impliquer les salariés et créer une réelle adhésion à la marque, Alexandre Bompard a réussi à faire revenir ses clients plus souvent au magasin.
Un chiffre détonne: 36% du chiffre d'affaires de "laFnac.com" est réalisé par le biais d'un contact physique dans un magasin, contre 4,5% en 2011 !

Et... alors ?

Certes ce ne sont que deux résultats trimestriels mais ils me semble que les enseignements sont très intéressants: au delà de la puissance financière de Amazon, la FNAC est là pour nous rappeler que un acte d'achat est et restera une relation entre deux parties: on aura beau investir dans les systèmes les plus sophistiqués pour obtenir des produits toujours plus vite, de meilleure qualité et moins cher, rien ne remplacera le contact humain seul capable de créer une relation de confiance, d'orienter les choix, rien ne remplacera une entreprise dont le projet implique et valorise l'ensemble des salariés.

Difficile de prédire à quoi ressemblera le commerce de demain mais il risque bien d'être global avec un alliage des deux modèles, c'est en tout cas la conviction du PDG de la FNAC.


Si la FNAC semble dans la bonne voie,  Jeff Bezos a lui peut-être vu trop grand pour Amazon en cherchant à se diversifier dans tous les domaines possibles (drones, séries, tablettes) avec parfois des résultats très mitigés comme sur les smartphones (0 part de marché).
En toile de fond, c'est bien la volonté de créer un "grand empire" à l'image d'un groupe comme Google qui oriente cette stratégie depuis quelques années. Mais les résultats ne viennent pas, la rentabilité non plus et les actionnaires s'impatientent. Il faudra pour lui convaincre de la pertinence et de la viabilité de son modèle, le temps lui est compté.


vendredi 24 octobre 2014

"Supplément familial de traitement": une petite bombe #3

C'est le sujet qui a fait beaucoup parler cette semaine: le gouvernement compte moduler les allocations familiales en fonction des revenus. L'occasion de mettre en lumière (et peut-être en question) un dispositif accordé aux fonctionnaires: le SFT.


Retour sur la modulation des allocations

La mesure concernant les allocations familiales, et qui devrait être appliquée au 1er Juillet 2015, diviserait par deux leur montant à partir de 6000€ net de revenus par foyer (avec deux enfants) et par quatre à partir de 8000€ net: elle concerne 12% des foyers. Pour un foyer gagnant 6000€ net/mois, le manque à gagner serait de 771€ par an (2 enfants) et jusqu'à 2760€ (4 enfants).
Il ne s'agit pas de défendre une catégorie de la population avec la classe moyenne supérieure en l'occurrence, surtout quand 10,2% de la population active est sans emploi et que environ 8 millions de français vivent sous le seuil de pauvreté (987€/mois).

Cependant, cette mesure est loin de faire l'unanimité. Si l'exécutif s'en défend, elle semble remettre en cause le principe d'universalité de l'impôt et des prestations sociales, principe fondateur de la République: tout cela pour...800 millions d'euros d'économie.
A côté, le coût annuel des absences pour maladie ordinaire dans la fonction publique territoriale est estimé à...1,2 milliard selon un rapport de la direction générale des collectivités locales.

Un symbole

Cette mesure est donc forte de sens tout en manquant cruellement de vision pour la politique familiale, ce qui marche de mieux dans notre pays, enviée par nos voisins avec une natalité qui est l'une de nos principales forces faut-il le rappeler !
C'est encore une fois la crainte que cette mesure soit la première d'une longue série sans que l'on puisse revenir un jour en arrière: se fera-t-on demain rembourser les médicaments en fonction de nos revenus ? Naitra-t-on désormais "enfant de riches"ou "enfant de pauvres" dans la république française ?
De plus, isoler des mesures pour une catégorie de la population (hausses d'impôts, baisse du quotient familial, baisse des allocations) sans avoir l'impression que cet effort soit partagé par tout le monde et notamment par l'Etat via des réelles réductions de dépenses pourrait avoir des effets collatéraux dangereux: expatriations, baisse de la productivité, contestations...
Peut-on se le permettre ?

Et alors le SFT dans tout ça ?

En creusant la question des allocations familiales, on s'est rendu compte qu'il existait un dispositif complémentaire pour les fonctionnaires: le "supplément familial de traitement" (SFT) qui s'ajoute aux prestations familiales de base perçues par n'importe quel foyer proportionnellement au salaire.
Versé comme un complément du salaire et non comme une prestation, il a un coût de 2,3 milliards par an pour l'Etat. Si l'on suit la logique du gouvernement, il devrait être aussi considéré afin que tout le monde participe aux efforts de réduction des dépenses.
Si la ministre de la fonction publique s'était dans un premier temps déclarée favorable à une "remise à plat du dispositif", Laurence Rossignol qui est secrétaire d'état chargée de la famille a écarté cette hypothèse expliquant que le SFT étant directement calculé sur le salaire ne pouvait pas être assimilé à une allocation.
Une façon de vite refermer un dossier qui aurait pu être difficile à gérer pour le gouvernement.

Pourtant, c'est cette impression d'une mesure (encore une fois) court-termisme sans véritable réflexion, concertation et débat préalables sur ce qu'est la politique familiale, ses enjeux, ses forces qui ressort: il me semble préférable de ne pas commenter l'hypothèse qui voudrait que cette mesure soit une contrepartie pour que la majorité continue d'avancer dans le sens des entreprises en votant certaines mesures.

Dans le même ordre d'idées, le jour de carence -premier jour d'un arrêt maladie non remboursé- dans la fonction publique (contre 3 jours dans le privé) supprimé par le gouvernement Ayrault constitue de part la question de l'absentéisme une bombe à retardement: révélateur d'une France qui s'interdit de se poser certaines questions, d'évoquer certains totems: pour information, ce fameux SFT a été instauré en 1917.
C'est la France du futur, celle du XXIème siècle qu'il s'agit d'imaginer: et il faudra apporter d'autres ingrédients pour ne pas que la bombe explose, avec tous les effets induits.



mercredi 22 octobre 2014

Ecotaxe: la mort symbolique d'une taxe #2

C'est un des feuilletons de la rentrée, l'Ecotaxe a été suspendue "Sine Die" par la ministre de l'écologie Ségolène Royal le 9 Octobre. Une décision dont les niveaux de lecture peuvent être multiples: décryptage.

Les fameux portiques "Ecotaxe": un symbole

De quoi parle-t-on ?

La fameuse "Ecotaxe" trouve son origine dans la "Loi Grenelle de l'environnement" adoptée en 2009 sous le gouvernement Fillon. A l'époque, c'est une mesure qui fait plutôt consensus (votée à la quasi-unanimité) et qui vise à développer des solutions de transport plus propres et plus durables pour une mise en place prévue en 2011.
Après différentes tentatives, cette mesure prend finalement la forme d'une taxe écologique visant les véhicules de plus de 3,5 tonnes.
Il s'agit d'un contrat lié entre l'Etat et la société Ecomouv: on parle alors de PPP (partenariat public-privé) qui permet de choisir une société privée qui sera chargée de la mise en place et de l'exécution du dispositif. En effet, nous avons affaire à un système complexe et coûteux à mettre en place.
De manière générale, ces "Partenariats Public-Privé" sont de plus en plus répandus aujourd'hui car ils présentent notamment l'avantage d'apporter un financement privé quand l'Etat n'a plus forcément les moyens d'apporter son financement.

De la contestation à l'annulation

Ce dispositif de l'Ecotaxe fait l'objet de nombreuses critiques venues autant de la droite que de la gauche notamment à cause d'un contrat jugé trop coûteux ; elle a ensuite été reportée d'années en années.
Mais c'est en 2013 que la contestation se fait de plus en plus importante et visible avec l'émergence du mouvement des "Bonnets Rouges" en Bretagne avec la destruction de nombreux radars et portiques d'Ecotaxe pour un coût de plusieurs millions d'euros.

Au début du mois d'octobre 2014 commence alors une vague de mobilisation des routiers qui menacent de bloquer le pays via un mouvement de grande ampleur: 

Ils contestent la dernière version de l'écotaxe désormais connue sous le nom de"Péage de transit poids lourds" qui devait s'appliquer au 1er Janvier 2015.
Arguant un dispositif devenu "incompréhensible", le gouvernement de Manuel Valls décide alors de suspendre l'Ecotaxe, pour de bon.

Conséquences économiques

Bien sûr, une telle décision est lourde de conséquences et notamment économiquement. En effet, il existe une clause dans le contrat qui stipule qu'en cas de rupture, l'Etat devra immédiatement verser 800 millions d'euros à Ecomouv: colossal.
De plus on estime que le manque à gagner résultant de la non-application de cette taxe s'élève à presque 1,5 milliards pour l'Etat: gigantesque quand on sait que le budget de l'Ecologie, en baisse de 5,8% en 2015 s'élève à 6,7 milliards d'euros.
Enfin, l’Agence de financement des infrastructures de transport en France (AFITF) se retrouve de fait privée de 400 millions d'euros pour effectuer des projets d'investissement sur les infrastructures: ennuyant.
De plus, on a peu parlé des 120 salariés d'Ecomouv et des 130 douaniers qui travaillaient jusqu'à présent sur le dossier et qui se retrouvent sans emploi.


Un signal désastreux

La décision de stopper l'ecotaxe relève d'une improvisation politique malheureusement de plus en plus récurrente. Il a fallut une (menace de) manifestation des routiers pour faire plier le gouvernement comme il l'avait déjà fait en accordant par exemple des dérogations à certaines grandes métropoles pour l'encadrement des loyers en Septembre.
Plus grave encore, Ségolène Royal entend bien contester les conditions du contrat avec Ecomouv afin de limiter la facture pour l'Etat (800M€): la symbolique est forte, l'Etat français songerait à remettre en cause sa parole, qui plus est sa signature via le contrat signé avec le société dans le cadre du PPP.
Où va-t-on ? Quelle crédibilité pour la parole publique et plus largement pour la parole politique si même l'Etat songe à remettre en cause ses engagements ? Quelle image envoyée à nos partenaires, aux entreprises envisageant d'investir en France ?

Des pistes à l'étude

Dans les pistes actées, l'Etat va augmenter à partir du 1er Janvier 2015 de 2 centimes d'euros par litre la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) sur le diesel: une façon de limiter les dégats en ramenant 800 millions d'euros dans les caisses. Une deuxième augmentation du prix de l'essence sera également à prévoir en Avril 2015 dans le cadre de la taxe carbone. 
Si ces mesures permettront des rentrées fiscales supplémentaires, elles ne règlent en rien les problèmes. 
Un transporteur pourra par exemple "faire son plein en Belgique, traverser toute la France pour arriver en Espagne sans avoir payé la taxe sur le gazole" comme le soulignait la ministre de l'écologie.

Sur un plein de 50 litres, le consommateur paiera 1€ en plus pour l'essence et 2€40 pour le diesel compte tenu de ces deux hausses. Ces augmentations pourraient être compensées par la diminution impressionnante du prix du baril de pétrole qui a chuté de 115 à 85$ en 3 mois !

L'écologie, variable d'ajustement

La situation est également préoccupante pour l'Ecologie: si les Verts n'ont pas forcément apprécié l'abandon de l'Ecotaxe  (c'est un euphémisme), Ségolène Royal a essayé de redresser la barre en évoquant le prélèvement des sociétés d'autoroute, la gratuité de celles-ci le weekend où encore un système de vignettes pour les poids-lourds étrangers. 
Si la première piste est envisageable quoique difficilement applicable, la deuxième a été écartée par le premier ministre et la troisième n'est pas compatible avec le droit européen: pas gagné.

Le constat ? L'écologie politisée ne marche pas, l'écologie ne devrait pas être l'affaire d'un parti politique mais l'engagement de toute une société, d'une génération pour préparer le future et être à la hauteur des enjeux; au même titre que l'éducation, la santé et beaucoup d'autres thématiques.
Sans vision il n'y aura pas de salut et l'écologie sera réduite à des compromis entre partis politiques, avec des mesurettes sans ambition: quel gâchis.
Quand on voit que Ségolène Royal se disait jusqu'à 2011 favorable à une Ecotaxe et qu'elle la juge désormais "absurde", on est en droit de se poser des questions. 

La parole politique est censée donner des orientations et pas seulement produire des réactions à chaud qui n'ont que le court terme pour objectif et qui seront de toute façon remises en cause une semaine plus tard. Elle permet de créer la confiance, d'impulser une dynamique au delà même du contenu même des mesures, de donner du sens.

Attention, il ne s'agit pas de faire un réquisitoire contre ce gouvernement, le constat pouvant être élargi dans le temps et à d'autres familles politiques mais le feuilleton de l'Ecotaxe me semble assez révélateur du mal français.

Des raisons d'espérer

Heureusement il y a d'autres signaux plus positifs notamment au niveau européen avec un sommet qui se tient ce jeudi à Bruxelles; l'Europe est le chef de file concernant la transition énergétique et aura un rôle important à jouer pour entrainer les Etats-Unis et la Chine. L'objectif d'ici à 2020 est le fameux 3x20: 20% de baisses d'émissions de CO2, 20% d'énergies renouvelables et 20% d'économies d'énergie. Les objectifs pourraient même être revus à la hausse à l'issu de négociations qui s'annoncent serrées.

En France, l'écologie est comme beaucoup de sujets trop centrée sur des questions idéologiques et manque de pragmatisme et de courage: l'Ecotaxe en est la preuve: absence de stratégie, Etat fébrile sans vision claire à même de créer un consensus dans la société: le bien triste tableau d'une taxe qui avait tout pour plaire.



dimanche 19 octobre 2014

Artur Avila, Jean Tirole: une France qui gagne, et après ? #1

On n'arrête plus les français en ce début d'année !

Tout a commencé au mois d'Août avec l'attribution de la médaille Fields - sorte d'équivalent du prix Nobel en mathématiques-  au franco-brésilien Artur Avila directeur de recherche au CNRS.
Un peu moins mis en lumière, ce prix prestigieux récompense ses travaux "autour des systèmes dynamiques et de l'analyse".

Ensuite, c'est au début du mois d'Octobre qu'a eu lieu la remise du prix Nobel de littérature à Patrick Modiano permettant au passage à la France d'asseoir sa position de championne du monde en ce qui concerne le Nobel de littérature (15 récompenses depuis 1901).

Et enfin, le français Jean Tirole a reçu ce lundi le "prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel" plus communément appelé "Prix Nobel d'économie".
Une surprise ? Pas tellement pour les adeptes de l'économie qui connaissent les travaux du chercheur sur les marchés, la régulation et beaucoup d'autres thématiques.
Un profil atypique ? Oui, Jean Tirole qui faisait partie des économistes considérés comme nobélisables depuis longtemps (il a 61 ans) aurait pu construire sa carrière et mener ses recherches aux Etats-Unis, au MIT par exemple où il aurait certainement disposé de moyens plus importants. Mais non, ce dernier a décidé de s'installer à Toulouse à l'appel de son ami Jean-Jacques Laffont avec lequel il a travaillé pendant longtemps: si ce dernier ne nous avait pas quitté en 2004, ce sont sûrement les deux hommes qui auraient, ensemble, reçu ce prix. Un homme simple, humain, accessible.

Quelle réalité derrière ?

Le paradoxe intervient quand l'on place ces trois récompenses dans le contexte français particulièrement  agité que nous connaissons particulièrement depuis la rentrée.
Si l'on peut légitiment se réjouir de ces récompenses, peut-on pour autant s'en contenter ?

Si son rapport co-écrit avec Olivier Blanchard en 2003 sur la "protection de l'emploi et les procédures de licenciement" avait été laissé dans un tiroir, Jean Tirole fait l'objet d'une certaine attention depuis une semaine, ses prises de position sur l'économie française, sur le marché du travail étant attentivement écoutées.
Ce dernier a jugé "préoccupant" l'exode des chercheurs, pas seulement en économie notamment vers les Etats-Unis expliquant qu'il cherchait à "endiguer cet exode des cerveaux".

Artur Avila s'est lui aussi exprimé cette semaine dans les Echos avec une formule choc: "Les choses sont en train de dégénérer en France". Le lauréat de la médaille Fields se livre à une analyse sans concession du système français se disant "préoccupé par l'évolution de la recherche".
Le point commun avec Jean Tirole ? Il prône une France plus ouverte qui encourage ses chercheurs à aller voir ce qui se passe à l'étranger, qui encourage les chercheurs étrangers à s'implanter en France comme le prix Nobel d'économie le fait à la TSE de Toulouse.
Au discours qui consiste à se satisfaire de la situation actuelle de la recherche en France, Artur Avila répond: "Si on veut d'autres médailles Fields, il faudra s'en donner les moyens".

Budget stable, professionnels inquiets

Dans le budget 2015 de la France, le ministère de l'Education Nationale et de la Recherche est un des rares a voir sa dotation augmenter. Si cette augmentation est essentiellement répercutée sur l'Education nationale (+2,04%), le budget de la recherche augmente lui aussi légèrement (+0,2%) avec des créations de poste qui serviront à combler les départs à la retraite des chercheurs.
Cependant, c'est clairement la question: "Quelle recherche pour quelles ambitions ?" qui s'impose désormais: c'est en ce sens que de nombreux collectifs ont manifesté ce dimanche à Paris.
Le CNRS dénonce par exemple la suppression de 800 postes de chercheurs depuis 10 ans et le fait que la moitié des 33.000 chercheurs soit désormais des précaires.

Alors oui, ces trois prix sont une excellente nouvelle pour la France mais il s'agit d'être très vigilant avec une profession qui se crispe de plus en plus et des enjeux importants à moyen et long terme.
Bâtir la France du futur, la France de l'excellence ? Oui, mais donnons-nous en les moyens !