dimanche 8 novembre 2015

Chine, cette décision qui pourrait (presque) tout changer #31

Le 11 Décembre 2001, la Chine fait son entrée à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en tant que 143ème pays membre de l'organisation. Presque 15 ans plus tard, une promesse faite à l'époque pourrait bien avoir des conséquences importantes sur la paysage économique.


Lors de son entrée à l'OMC en 2001, la Chine s'était vue promettre l'octroi automatique du titre d'économie de marché après quinze années, et ce sous réserve de réformes intérieures dans un pays jugé trop étatisé. Si ce dernier lui a été attribué par des pays comme la Nouvelle-Zélande, Singapour ou encore la Malaisie, les grandes puissances parmi lesquelles les Etats-Unis et l'Union Européenne ont jusque là passé leur tour. Cette information est revenue au devant de la scène avec la publication d'une étude américaine chiffrant les conséquences d'une telle décision sur l'emploi au sein de l'UE.  

La transition chinoise

La Chine, parlons en justement : le pays est actuellement dans une phase de transition comme il en a rarement connu sur le plan économique. Si les dix dernières années l'ont consacrée en tant que "atelier du monde" avec des exportations et une croissance à deux chiffres qui ont tiré le reste du monde et accompagné notamment l'essor des pays émergeants, le pays est en train de vivre une transition spectaculaire dont les contours commencent à être identifiés. 
L'augmentation des salaires des ouvriers (plus de 10% sur les dix dernières années) qui rend l'économie chinoise bien moins compétitive aux dépens de ses voisins d'Asie du sud-est, l'instabilité des bourses de Shanghai et de Shenzhen, l'exode rural massif (environ 20 millions de chinois émigrent chaque année vers la ville) qui rend les ressources humaines plus rares que par le passé, la surcapacité de production dans des secteurs comme l'acier et l'automobile (investissements massifs alors que la demande faiblit) et le facteur exogène du ralentissement du commerce mondial ont participé à la chute spectaculaire des importations et des exportations chinoises avec une baisse combinée de 8,1 % sur les neuf premiers mois de l'année. Ces chiffres se sont répercutés dans la croissance du pays qui s'est affichée au plus bas depuis 2009, atteignant en rythme annualisé 6,9 % au troisième trimestre selon les sources officielles mais plutôt entre 2 et 4 % selon la plupart des analystes.
Le pays vit une transformation de son modèle, en partie voulue, passant d'une économie tirée par les exportations à une économie plus équilibrée s'appuyant sur la consommation intérieure avec une classe moyenne en pleine expansion qui devrait atteindre 109 millions de personnes à la fin de l'année. Cependant, cette consommation intérieure ne représente aujourd'hui en Chine que 36 % de la création de richesse contre 55 à 70 % dans les pays occidentaux : il y a encore du chemin à parcourir.

Ces transformations ne sont pas neutres pour le reste du monde : le prix des matières premières a lourdement chuté (après avoir commencé à décliner en 2012) devant la faiblesse des importations de celui qui est le premier pays importateur de matières premières au monde avec des niveaux assez hallucinants sur certaines d'entre elles (50 % sur l'aluminium, le cuivre par exemple), le pétrole n'ayant pas échappé à cette règle avec une baisse des cours de 60 % sur un an, à $45 le baril.
Ces répercussions séparent le monde en deux catégories de pays, celle des pays qui importent principalement ces matières premières comme la France et dont la facture est fortement allégée et celle des producteurs et exportateurs, dont la plupart des pays émergeants et qui se retrouvent dans une situation très difficile en voyant le principal moteur de leur économie affecté. L'époque d'une Chine qui produit pour le reste du monde qui lui consomme en s'endettant de manière massive semble avoir fait son temps.

Xi Jinping, véritable ambassadeur de la Chine s'est rendu au Royaume-Uni le mois dernier

Une crise en vue ?

L'empire du milieu vit donc une réelle transition, et voit se former des bulles immobilières et financières laissant craindre un atterrissage brutal (hard landing) qui aurait des conséquences désastreuses pour le reste du monde. C'était la signification du mini-krach boursier de cet été qui a vu les indices boursiers chinois baisser de manière très brutale devant le manque de confiance des investisseurs quant à la capacité du pays à faire face à ce changement de modèle : la bourse de Shanghai a perdu en un jour 8,49 % soit la baisse la plus forte depuis 8 ans. En trois semaines, ce sont ainsi $2,4 trillons qui se sont volatilisés, ce qui représente tout de même en valeur 10 fois le PIB de la Grèce !

Les marchés financiers ont été mis en avant par le pouvoir communiste au cours de la dernière décennie ou 75 millions de chinois (comme vous et moi) ont été incités à s'endetter pour acheter des actions (part de sociétés) qui leur accorderaient un retour sur investissement intéressant, ce qui ne s'est toujours pas produit. Au total, la Chine compte 90 millions d'investisseurs en bourse dont…99 % de particuliers ! Un spécialiste du domaine expliquait que ces chinois investissaient toutes leurs économies en bourse comme il le feraient "au casino", sans réelle notion du risque mais plutôt considérant cela comme un jeu qui pourrait rapporter gros. On aurait plutôt tendance à nommer cela la roulette russe.
L'accumulation de ces dettes contribue a l'exposition globale (privée et publique) de la dette chinoise qui a atteint l'année dernière 283 % de son PIB, devant les Etats-Unis (269 % de leur PIB) et la France (215 % du PIB). Ce n'est pas simplement le montant mais également le rythme d'évolution qui devient alarmant avec une augmentation de cette dette qui s'est faite trois fois plus rapidement que celle du PIB (et donc que la création de richesse) sur les quinze dernières années.

On parle donc de bulle financière mais également de bulle immobilière puisque pendant des années, le pays a fait construire des infrastructures importantes (routes, ponts, aéroports) et a beaucoup investi dans l'immobilier en injectant massivement de l'argent pour soutenir ces projets. Si cela a fonctionné pendant quelques temps, on remarque aujourd'hui que la demande intérieure ne peut plus absorber l'offre, constituant la définition parfaite du création de bulle. Cela se traduit très concrètement par une surcapacité de production et des industries qui tournent à blanc ou encore dans le secteur de la construction (15% du PIB) par un nombre de logements neufs restant vacants qui s'élève à 20 % ! 

Toute ces bulles (crédit, immobilier, investissement) risquent bel et bien d'exploser et d'entrainer l'effondrement de ces secteurs qui sera seul capable de réajuster l'équilibre du marché entre l'offre et la demande.

L'atout de la Chine

Bien sûr, la république populaire de Chine reste sur le plan économique une puissance majeure (18 % du PIB mondial) et un des principaux partenaires des autres grandes nations. Evidemment, la puissance exportatrice du pays reste impressionnante même si les chiffres de 2015 viennent ternir ce tableau.
Ceci étant, les excédants cumulés de la balance commerciale chinoise (exportations > importations) leur a permis de constituer une réserve de changes qui atteint des sommets ; après un passage à près de $4 000 milliards l'année dernière, cette dernière se situe actuellement autour de $3 500 milliards. Ces réserves de devises étrangères permettent à un pays de jouer sur son taux de change et de rassurer sur sa solidité. 
Prenons l'exemple de la Chine qui a une balance courante (constituée principalement de la balance commerciale) très positive du fait de ses exportations importantes ; ces dernières sont réalisées en Yuan (puis converties) ce qui augmente la demande en monnaie locale (Yuan) qui s'apprécie automatiquement. Hors une appréciation signifie que votre monnaie coûte plus cher qu'auparavant ce qui va pénaliser vos exportations. Pour éviter cela, la Chine utilise ses réserves de change (principalement libellées en dollar) pour racheter des bons du trésor américain par exemple et ainsi augmenter la demande de cette monnaie (le dollar) : l'effet est ainsi inverse, le Yuan est en proportion moins demandé que le dollar et il se déprécie. La banque centrale de Chine peut également imprimer des Yuan, les vendre pour acheter des dollars et ainsi augmenter la demande de la devise américaine, c'est le même principe ! C'est au passage la raison pour laquelle la dette américaine est principalement détenue par la Chine. Complexe mais au combien essentiel et intéressant ! 

Le rôle du politique

Le gouvernement chinois a dès lors un rôle crucial a jouer dans la stabilisation du pays et l'accompagnement de sa transition comme l'explique très bien Pierre Sabatier : 


"Cela fait des années qu'il y a un deal implicite entre population et gouvernement : j'assure une croissance suffisante pour que chacun sur mon territoire puisse espérer un jour en profiter en échange de la paix sociale" 
Pierre Sabatier, président de Prime View


Le président Xi Jinping essaye donc par tous les moyens de soutenir son économie qui vise bien évidemment le leadership mondial dans ce qui ressemble à une guerre à distance avec les Etats-Unis, d'autant plus que cette paix sociale promise pourrait être mise en péril si le peuple chinois ne perçoit pas les fruits des promesses faites par le parti communiste. 
Ce dernier a semblé dans un premier temps déstabilisé face à ces changements et leur traduction concrète dans les évènements boursiers de cet été et l'a manifesté en injectant sur les mois de juillet et août 900 milliards de Yuan dans l'économie. Il a également cette année par la banque centrale  (Public Bank of China ou PBOC) a plusieurs reprises dévalué sa monnaie sans vouloir l'admettre, la rendant moins chère et facilitant ainsi les exportations, abaissant également les taux d'interêt et le taux de réserves obligatoires (ex : avoir 50 Yuan en réserves pour en prêter 100) des banques afin de fluidifier l'économie.
De la même manière, la fin de la politique de l'enfant unique relayée par tous les médias occidentaux ne fait que traduire une prise de conscience du vieillissement de la population chinoise et du rapport de plus en déséquilibré entre ceux qui sont en âge de travailler et ceux qui ne le sont plus : en 2050, 30 % des chinois auront plus de 60 ans.

Et ce statut alors ?

Devant les problématiques bien complexes du développement économique chinois, on voit bien que l'attribution du titre d'économie de marché n'est pas une décision banale. Si la Commission Européenne va se pencher sur le sujet en fin d'année prochaine, elle semble estimer que la Chine ne remplit aujourd'hui qu'un des cinq critères qui caractérisent une économie de marché. Comme nous l'avons vu, il existe tout d'abord un manque de transparence évident dans l'économie chinoise avec des marchés financiers pour le moins opaque : les économistes peinent à se mettre d'accord avec précision sur les principaux indicateurs économiques, toutes les données provenant de Pékin devant être prises avec des pincettes : le chiffre du PIB est par exemple publié quelques jours après la fin du trimestre quand les Etats-Unis et les autres économies développées ont habituellement besoin de plusieurs mois pour pouvoir le déterminer de manière précise. 
De plus, l'économie reste très administrée avec des subventions importantes qui faussent forcément la comparaison et la compétition internationale. C'est le gouvernement chinois qui a injecté cet été plus de 100 milliards de dollars dans son économie, qui a interdit aux gros actionnaires de vendre leurs actions au moment du krach du mois de juillet. On rappellera que le pays est tout de même classé au 139 ème rang de l'index de la liberté économique avec des notes de 2/10 pour les droits de l'homme, de 3/10 pour la liberté financière et de 4/10 pour la corruption.
Si le gouvernement a entrepris un grand plan de lutte contre la corruption, véritable fléau, on ne peut pas dire que la liberté soit l'adjectif qui décrive le mieux l'Empire du Milieu. 

Jusqu'à présent, l'Union Européenne pouvait se prémunir faces à ces mesures de dumping de la Chine en imposant des barrières commerciales (taxes, barrières douanières), mais si cette dernière venait à obtenir le statut d'Economie de Marché, ses pratiques seraient ainsi légitimées et l'Europe serait dans l'impossibilité d'opposer quelque argument que ce soit comme elle l'a fait sur le dossier bien connu du photovoltaïque en 2013. Selon une étude du thing-thank américain Economic Policy Institute, les répercussions en terme d'emplois se monteraient entre 1,7 et 3,5 millions pour l'Europe et entre 180 000 et 360 000 pour la France ! S'il s'agit de relativiser tout de suite ces chiffres qui semblent pour le moins subjectifs et difficiles à confirmer, il semble nécessaire de regarder cette question avec beaucoup d'attention.

Les chinois comme nous l'avons vu bénéficient d'une puissance financière hors-norme, de part notamment leurs réserves de devises, leur permettant de racheter n'importe quelle entreprise, n'importe quelle dette, de transformer des industries complètes s'ils le souhaitent. Ils disposent d'une force de frappe importante et d'un sens des négociations redoutable en vue d'aborder des discussions qui semblent bien déséquilibrées sur le papier. Réputés comme très malins et travaillant dans l'ombre, notamment par une force de lobbying importante, l'Europe fragmentée que nous connaissons devra néanmoins faire valoir ses arguments et notamment ceux de la réciprocité avec la Chine où, comme nous l'avons vu, les conditions pour faire des affaires sont loin d'être optimales et en particulier pour nos entreprises. Il faudra exiger des contreparties. 
A ce stade, les discussions officielles n'ont pas encore débuté et bien avisé celui qui pourra prévoir l'évolution des situations macro-économiques des deux mastodontes que constituent l'Union Européenne ($16 billions PIB) et la Chine ($6 billions PIB) d'ici le mois de décembre 2016, date à laquelle ce statut devra être débattu.

Un énorme chantier en prévision

Pour en revenir à la situation intérieure de la Chine, l'enjeu majeur pour elle sera donc de réussir à transférer les 48 % du PIB consacrés à l'investissement en consommation intérieure qui ne représente que 36 % de la richesse nationale comme nous l'avons vu. Cet ajustement ne se fera pas sans passer par une augmentation significative des salaires. On observe dans toutes les économies développées une corrélation entre la masse salariale (en % du PIB) et le niveau de la consommation intérieure (en % du PIB) qui sont généralement au même niveau. Si elle souhaite vraiment trouver le moteur de sa croissance chez elle, la Chine devra donc faire augmenter cette masse salariale qui se situe aujourd'hui à 40 % du PIB.
Sans cela, il n'y aura semble-t-il pas de salut d'autant plus que nous semblons nous diriger vers un monde où la croissance se fait rare, nous échappe, au plein coeur d'une révolution numérique qui peine à apporter de réels gains de productivité et des perspectives tangibles de développement, sinon technologique. Ces considérations sont également à mettre en perspective avec le changement climatique dont la Chine est un des principaux acteurs et qui constitue un problème existentiel.

Economie de marché ou non ? Cette question offre à l'Union Européenne une occasion de se fédérer et d'enfin avancer autour d'un projet commun, tellement absent depuis sa fondation. Elle devra se positionner avec force et détermination au risque de se voir réduire à jouer les seconds rôles d'une pièce dont les principaux protagonistes seront les Etats-Unis et…la Chine.


[Le point éco]

Prenons l'exemple de l'Euro (€) face au dollar ($) :
- L'euro s'apprécie face au dollar (il est plus fort) : 1€ = 1,40$ 
=> Nos exportations deviennent plus chères, nos importations deviennent moins onéreuses.
- L'euro se déprécie face au dollar (il est plus faible) : 1€ = 1,10$
=> Nos exportations deviennent moins chères, nos importations deviennent plus onéreuses.

Si une monnaie s'apprécie, cela signifie que sa demande est élevée. En ce moment, les Etats-Unis montrent des indicateurs plutôt solides par rapport à l'Union Européenne, c'est la raison pour laquelle le dollar est plus fort aujourd'hui (1€ = 1,07$) qu'il y a un an (1€ = 1,24$).

La création monétaire déprécie la valeur de la monnaie. C'est la raison pour laquelle la "planche à billet" ou la politique "non conventionnelle" de la BCE contribue à la dépréciation de l'Euro.

Les monnaies sont donc liées entre elles : si la Chine dévalue sa monnaie, les pays asiatiques se verront dans l'obligation de faire quelque chose pour aligner leur compétitivité.