samedi 26 septembre 2015

Où est passé le consentement à l'impôt ? #29

S'est-on déjà demandé à quoi ressemblerait notre société si l'impôt n'existait pas ? Ou pire, si il n'était plus recouvré par l'administration fiscale ? La manière avec laquelle il est aujourd'hui appréhendé dans notre pays pose un certain nombre de problèmes. Décryptages.


L'impôt est l'un des fondements de notre société de part la contribution qu'il représente au financement de notre pays, de nos institutions, de notre modèle social, dans la manière dont il unit les français. Seulement, il n'existe plus de réflexion globale sur l'impôt sur le revenu aujourd'hui, la taxation qui sont souvent utilisés comme des variables d'ajustements par les hommes politiques, au risque de remettre en cause leur acceptabilité par les citoyens. J'aimerais mettre en lumière mes propos avec une annonce récente du président de la République :

"La politique de baisse des impôts initiée en 2014, amplifiée cette année, sera poursuivie en 2016 : plus de 2 milliards d'euros y seront consacrés" François Hollande
François Hollande lors de sa conférence de presse, le 7 Septembre.
Il faut tout d'abord se réjouir pour les 8 millions de ménages qui vont bénéficier de cette mesure et pour le million qui va sortir de l'impôt sur le revenu. Il semble légitime dès lors d'aller un peu plus loin dans notre réflexion en se demandant par exemple dans quelle proportion cette baisse d'impôt est financée. La réponse est plutôt limpide, l'Etat français n'a pas le moindre centime pouf financer cette baisse qu'il accordera aux ménages les moins aisés. Il n'a cependant pas tardé à trouver, grâce à sa grande inventivité, deux moyens de trouver ces 2 milliards d'euros :

- report de la baisse des charges :  le pacte de responsabilité décidé par le président de la République prévoyait un allègement des charges (41 milliards au total) payées par les entreprises. Sur l'année 2016, 4,5 milliards d'euros ont été promis mais voilà que le gouvernement a subitement annoncé qu'il allait reporter les baisses de charges d'un trimestre, espérant ainsi gagner 1 milliard.
Une décision qui se fait au détriment d'une promesse qui avait été faite de ne plus toucher au pacte de responsabilité et qui fragilise un peu plus la confiance des chefs d'entreprise et leur capacité à se projeter dans un environnement stable. Dans une période où le chômage continue d'augmenter à cause d'un manque d'investissement, on ne peut pas dire que c'était la meilleure idée à sortir de son chapeau.

- la taxe télécoms : pour compenser les pertes liées à la disparition de la publicité après 20h sur France Télévision en 2009, le gouvernement de l'époque institua une "taxe télécom" ou "taxe Copé" qui ponctionne chaque année 0,9% du chiffre d'affaires des opérateurs télécoms.
Il y a quelques mois, le président s'était engagé à ne pas augmenter les prélèvements sur ces acteurs si ce n'était pas affecté à de nouveaux investissements : perdu, Fleur Pellerin a annoncé que cette taxe télécom augmenterait de 0,9 à 1,2% pour financer l'audiovisuel public, et ce sans aucune concertation avec les opérateurs. Stéphane Richard le patron d'Orange a estimé que cette augmentation de 30% aurait un coût de 100 millions pour son entreprise : "c'est le montant qu'on pensait investir pour fibrer une ville comme Nantes" a-t-il ajouté. Vous me direz, quel rapport avec le financement de la baisse de l'impôt sur le revenu ? Et bien figurez vous que seulement 1/3 des recettes de cette taxe sont destinés à financer les télécoms, le reste rentrant dans les caisses de l'Etat sans que l'on sache exactement où.
Inutile de préciser que le coût de l'augmentation de cette taxe sera in fine transféré sur le consommateur par les opérateurs télécoms qui ne manqueront pas de le mettre en évidence : la fin de la pause fiscale ?

Vous l'aurez compris, ces deux mesures qui déstabilisent un certain nombre d'acteurs et qui remettent au passage en question la parole de l'Etat devraient permettre de boucler les financement des 2 milliards promis aux ménages. Il n'est pas nécessaire d'être un grand politologue pour comprendre la visée de cette opération, 2016 étant apparemment l'année qui précède une élection politique de premier plan. Il est tout de même intéressant de remarquer à quel point on tient particulièrement à montrer que l'on baisse les impôts sur les ménages (2 milliards) alors que l'ensemble des prélèvements obligatoires pesant sur eux s'est accru de 50 à 70 milliards (soit + 40 %) depuis 2012.

Le ministère de l'économie et des finances à Bercy.

Le sens de l'impôt

Avec cette baisse de l'impôt sur le revenu prévue en 20l6, on ne fait en réalité que renforcer ses défauts.
Il est quelque chose qui est admis par tous, de droite comme de gauche mais que l'on entend que très rarement une fois arrivé aux responsabilités : le bon impôt est celui qui a l'assiette la plus large (concerne le maximum de personnes) et le taux le plus faible. En effet, plus l'impôt est large et plus il rapporte, plus son taux est bas et plus il est accepté.

Hors, nous sommes totalement en train de nous orienter dans la direction inverse, avec un taux d'imposition plus élevé concentré sur un nombre de personnes toujours plus réduit ; l'impôt sur le revenu français a toutes les caractéristiques du mauvais impôt :
   - sur 37,1 millions de contribuables, moins de la moitié (48,5%) ont payé l'impôt sur le revenu en 2014 et ce taux devrait encore baisser de deux points pour l'année en cours,
   - il rapporte très peu, 74,4 milliards d'euros (contre presque 140 milliards pour la TVA par exemple) soit l'équivalent de 3,4% du PIB quand la moyenne de l'OCDE est à 9%,
   - il est très mal vécu par ceux qui le paient : quelques chiffres, 10% des ménages paient aujourd'hui 70% de l'IR, 1% paient 30% et 0,1% paient 10%.

Attention, je ne suis pas en train de dire que tout le monde, et de surcroit les personnes gagnant le plus d'argent ne doit pas participer à sa hauteur à la contribution nationale qu'est l'impôt, bien au contraire. Seulement, ce phénomène de concentration de l'impôt sur les "CSP+" a été réalisé dans des proportions sans commune mesure et a déjà des conséquences importantes avec l'exil fiscal par exemple. En effet, le problème pour ces foyers ne réside pas uniquement dans le fait de payer beaucoup d'impôt mais dans celui de ne pas percevoir de sens dans cette action, d'observer une efficacité dans l'utilisation de cet impôt et donc dans la dépense publique. On aura du mal à leur prouver le contraire.

Pour conclure, cette simple proposition : pourquoi est-ce que chaque français ne paierait pas l'impôt sur le revenu ? A la hauteur de ses moyens certes, mais chacun devrait s'acquitter au minimum de cet euro symbolique (pour financer les frais administratifs), cette part à l'effort commun, au financement de notre si beau pays. Ne profitons nous pas tous d'un système d'éducation pour nos enfants, d'infrastructures publiques, d'une armée qui nous protège, d'un système de santé les plus performants au monde ?
Il est temps de  rendre cet impôt plus juste, de redonner du sens, de rétablir un consentement à l'impôt qui apportera une cohésion sociale à notre pays.

Retrouver du bon sens

Une chose est sûre, ce n'est pas en excluant de plus en plus les français de cet impôt que la France s'en sortira, c'est une illusion. C'est de la confiance, de l'audace, de l'inventivité dont font preuve les français au quotidien mais qui manque tant à ceux qui dirigent dont nous avons besoin.
La façon dont est gérée l'impôt est un non-sens et il a trop été utilisé comme variable d'ajustement des derniers gouvernements. La seule solution réside dans la transformation profonde de la France, dans ces réformes structurelles que l'on refuse encore d'accomplir par idéologie.

Le chômage, la pauvreté devraient être des causes nationales, des cause d'indignation. Les français ont des ressources insoupçonnées mais leurs responsables politiques sont plus des commentateurs de l'actualité que des acteurs de ce changement nécessaire. Comme le disait Raymond Barre, "la France n'est pas en déclin, elle s'accommode de sa médiocrité".


[ L'anecdote du jour ]

L'impôt sur le revenu a vu le jour en 1914 remplaçant par la même occasion quatre contributions dont l'impôt des portes et des fenêtres. A l'époque, il fait l'objet d'une grande contestation de la part de l'opposition qui le considère comme confiscatoire, décourageant le travail. En effet, son taux maximum était de…2% ! Quand on sait que la première tranche d'imposition de l'IR est aujourd'hui à 14% et que la dernière s'élève à 45%, on est en droit d'esquisser un sourire !