mardi 8 novembre 2016

Les 3 questions fondamentales sur le travail #37

Le travail. A l'évocation de ce mot, les poils se hérissent, les craintes, les enthousiasmes également. Quelle est donc cette notion qui divise profondément, sur son objectif, ses formes et ses développements futurs ? Décryptages autour de trois points clés.


Quel sens pour le travail ?

L'exemple français des 35h qui ont été adoptées dans les années 2000 révèle de manière sous-jacente deux visions du sens du travail. La première consiste à considérer le travail comme une aliénation, ce qui n'est pas sans faire écho à la théorie marxiste. L'homme subit son travail et il faut donc absolument qu'il sen libère. Il est compliqué de nier le caractère difficile de certaines tâches et l'économie actuelle qui est source de précarité pour certains travailleurs ne semble pas nous aider à contrer cet argument ! Elle a donc le vent en poupe.
De l'autre côté, il y a ceux qui pensent que l'être humain s'accomplit par son travail. D'une part cela lui donne (normalement) la capacité de subvenir à ses besoins, mais également de s'insérer dans la société en ayant des relations sociales, une reconnaissance, une dignité. Il suffit de voir les ravages du chômage compte tenu de ces caractéristiques pour s'en assurer. C'est d'ailleurs frappant de voir certaines personnes qui étaient jusque là dans le "système" changer totalement d'orientation, comme Jean Moreau que j'ai découvert récemment, ou encore des personnes qui, la quarantaine passée décident de quitter leur métier pour lancer leur activité, s'occuper d'une ferme. 

N'est-ce pas symptomatique d'une recherche de sens dans le travail ? N'a-t-on d'ailleurs pas tous au fond de nous cette aspiration quelque soit la réalité du monde du travail ? La financiarisation de l'économie, son expression dans des indicateurs de tous genres censés décrire des réalités ne nous éloigne-t-elle pas du véritable travail ? Comment comprendre que l'économie se développe mais que ceux qui nous nourrissent, travaillent la terre n'arrivent plus à subvenir à leurs besoins ? Sommes-nous vraiment différents de la machine quand notre seul objectif (ou celui qui nous est imposé) est, non pas un sens, mais un résultat, une productivité ? Rechercher un sens en dehors du travail est louable, mais n'est-ce pas refuser d'appréhender cette réalité ?

Dans le débat français sur les 35h (voire 32h pour certains maintenant) et la durée du temps de travail, on pose de manière évidente la question de la quantité de travail disponible qui obligerait à le partager mais on oublie de répondre à une aspiration plus profonde de l'homme, sur le sens de son travail. Alors oui, une argumentation répandue consiste à penser que puisqu'un système ne fonctionne pas parfaitement il faut le changer complètement. Le libre échange à des effets pervers alors enfermons nous dans le protectionnisme ! 

Comme le dit très bien Pierre-Yves Gomez (économiste et président de l'Institut Français de Gouvernement des Entreprises) :  
"Il faut distinguer le travail et la condition du travailleur. Le travail rend libre, émancipe par essence. [...] Mais autre chose est la question du travailleur. Les mêmes raisons qui font que le travail libère peuvent conduire le travail à devenir au contraire un facteur d'aliénation, selon la façon dont il est exercé. Le travailleur est aliéné quand il est mis dans des conditions telles qu'il n'agit pas sur son environnement, qu'il est soumis à lui, qu'il en est totalement dépendant. Aliéné aussi quand, au lieu de développer ses talents, le travailleur doit les ignorer ou les détruire. Aliéné encore si la condition de travailleur rend dépendant d'un petit chef, d'une structure, d'un résultat, d''exigence sur lesquelles on a aucune prise et qui sont telles qu'au lieu d'être dans une relation d'interdépendance on est soumis aux normes. Aliéné enfin et surtout quand le travailleur perd la capacité à donner du sens à son travail, qu'il n'en voit pas la finalité. Quand il n'en a plus l'intelligence.."

Quel périmètre pour le travail ?

Alors nous pouvons, en lien avec cette première question, nous interroger sur ce qu'est le travail. De quoi parlons-nous ? 
Aujourd'hui, le concept de travail vit des heures difficiles, avec les différentes formes qui se développent, le travail indépendant, la dématérialisation de l'économie. Nous considérons que seul le travail marchand est véritablement pertinent, et constitue la richesse de nos économies ; si votre activité ne produit pas de résultats, de capacité à dégager un salaire, à quoi bon la continuer ?
Hors, d'une part le travail couvre désormais des réalités plus diverses, mais il va devenir de plus en plus rare avec l'automatisation des processus, même si nous ignorons l'échelle de grandeur.
Partant de ce postulat, pourquoi l'homme devrait s'adapter au travail et pas l'inverse ? Pourquoi le travail devrait se résumer au travail rémunéré en organisation ? Pourquoi ne pourrions nous pas imaginer valoriser certaines activités, comme le travail associatif, d'interêt général qui permettraient de faire rentrer les gens dans l'activité et de créer de la valeur ? En quoi le travail domestique (qui est rémunéré quand il est effectué par des professionnels) ne pourrait pas devenir une forme d'activité valorisée demain ? A ce titre, Pierre-Yves Gomez ajoutait récemment une analyse très pertinente : 

"Une des thèses que j'essaie de défendre dans mon livre, c'est qu'il ne faut pas considérer le travail uniquement sous l'angle du travail en organisation ou du travail rémunéré. Une part très importante du travail que nous effectuons est non rémunérée, sans doute la moitié du travail que nous effectuons. Ça commence par le travail domestique, le plus capital pour construire une société, celui de la maison, qui se dit oikonomia en grec (oikos, maison et nomos, la règle) et qui a donné le mot économie. L'économie, c'est essentiellement la gestion de la maison! Heureusement qu'il y a du travail domestique qui fabrique des communautés familiales, crée des solidarités."
Quel futur pour le travail ?

A l'heure de la transformation numérique, le travail comme nous le connaissons et le considérons risque d'être fortement impacté, dans sa forme et son volume. Je pense qu'il s'agit d'une opportunité fantastique de réfléchir sur les deux points précédemment expliqués, compte tenu également de le véritable crise qu'il traverse actuellement. Quel sens et quel périmètre voulons nous donner au travail ? En quoi permet-il de faire communauté et donc société ? Quel est la place du travail dans notre projet collectif ? Quel est la place de l'humain ? 

Ces réflexions ne seront pas veines quand il s'agira d'affronter frontalement la question du transhumanisme.

Pour cela il faut repenser le travail de manière globale quand aujourd'hui notre horizon se limite à considérer le consommateur et le producteur, avec comme conséquence une schizophrénie absolue quand le premier demande flexibilité, prix bas, rapidité et que le deuxième (qui peut être la même personne!) quand il est travailleur ne supporte pas ces trois caractéristiques qui le rendraient "aliéné".

Sommes nous prêts à repenser le travail ? Il y a urgence, il permet à l'être humain de trouver un sens à sa vie, au monde, sa dignité également. En France par exemple, le travail permet de financer notre système social : entend-on dans les débats politiques la présence d'une réflexion sur le travail (quand on connait la transformation de l'économie) et de son impact sur notre niveau de prestations sociales par exemple ? On peut dérouler ainsi le fil, la réalité est que des questions d'ordre philosophique se posent, et qu'elles doivent faire l'objet de débats de société. A quoi servons-nous si nous ne pensons plus le monde ?
On ne peut pas dire que le système dans lequel nous évoluons mette l'humain à la première place, et c'est un drame. C'est plus la question de savoir à quel point l'être humain, doté d'un sens critique hors norme, d'une capacité d'appréciation, est capable d'affirmer que le sens donné au travail aujourd'hui ne le satisfait pas. Un citoyen engagé, un employé engagé parce qu'ils trouvent du sens dans ce qu'ils font, dans leur capacité à transformer la réalité, n'est-ce pas ce qu'il y a de plus beau et de plus noble ? 
En ne pensant pas le travail, le risque est que nous nous aliénions nous-mêmes.

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