samedi 10 octobre 2015

Volkswagen, le serpent qui se mort la queue #30

Un séisme, Volkswagen, le premier constructeur mondial de voitures est actuellement pris dans un scandale de moteurs truqués. L'entreprise a reconnu avoir triché pour pouvoir accéder au marché américain : une affaire révélatrice des limites du système financier mondial.


Le scandale de l'année a éclaté de l'autre côté du Rhin : le groupe allemand Volkswagen qui détient notamment les marques Audi, Seat, Porsche et bien sûr Volkswagen a triché. Brisant le mythe jusque là intact de la rigueur, de la droiture allemande, l'entreprise dont le nom signifie littéralement "la voiture du peuple" a surpris son monde : elle aurait délibérément installé un logiciel dans ses modèles diesel afin de tromper les test anti-pollution aux Etats-Unis qui sont deux fois plus exigeants qu'en Europe. 

Le dilemme des constructeurs automobiles

A un moment que nous ignorons, Volkswagen s'est retrouvé devant un choix important : fabriquer des voitures qui polluent moins mais qui consomment beaucoup ou bien faire des modèles qui consomment moins mais qui polluent beaucoup. Et en la matière, le choix a été dicté par la volonté du consommateur de consommer moins (et donc de payer moins) entrainant cette décision invraisemblable de tricher. 
Si l'on sait que les tests européens sont "plus que légers" et menés dans des conditions peu en phase avec la réalité, le scandale a ici une autre ampleur puisqu'il concerne 8 millions de véhicules.

Là où l'affaire Volkswagen est tout à fait intéressante, c'est dans la stratégie qui se cache derrière cette triche. L'entreprise avait pour unique objectif de devenir le premier constructeur mondial (ce qu'elle a réalisé en Février aux dépends de Toyota) et elle a donc tout fait pour l'atteindre. 
Cette décision, elle n'émanait certainement pas des salariés qui ont d'ailleurs touché une prime de 5 900€ grâce aux bons résultats de l'entreprise en 2014, mais plus certainement de la direction ou des actionnaires du groupe : "entrez aux Etats-Unis quelqu'en soit la manière !".  
Une soif de domination, de pouvoir, de rentabilité dont on voit à quel point ses conséquences sont dommageables : 
- conséquence sur l'environnement avec des émissions réelles de CO2 bien supérieures à celles annoncées,
- conséquence sur la santé financière du groupe dont l'action a perdu 40% en deux semaines, 
- conséquence sur les 600 000 salariés de part le monde avec des plans de licenciement à venir,
conséquence sur la confiance du consommateur dans les grands groupes, 
- conséquence sur la valeur des véhiculés truqués (que personne ne voudra plus acheter) et donc in fine sur les consommateurs.

VW, plus qu'un symbole ?

A l'instar de Volkswagen, c'est le système financier global qui semble perdre les pédales, j'aimerais ici attirer votre attention sur ce capitalisme dérégulé qui sera le dépositaire de la prochaine crise mondiale qui pourrait, cette fois-ci secouer sérieusement la planète.
Mon propos n'est pas ici d'être anti-capitaliste, ni d'en faire les louanges ; à l'exemple du conflit gauche-droite sur le terrain politique français, il me semble qu'il est temps de sortir de ces cloisonnements idéologiques, de mettre des mots sur ce que d'aucuns n'osent dénoncer, particulièrement quand ils bénéficient de ce système en question. 

Philippe Dessertine,
Economiste et professeur de finance
Je partirais du constat suivant, forcément un peu provoquant : il n'y a plus de logique économique à l'échelle mondiale aujourd'hui.
On observe actuellement des éléments étrangement semblables à ceux qui ont précédé la crise de 2008 avec la formation de bulles spéculatives un peu partout dans le monde qui menacent d'éclater comme sur les marchés asiatiques cet été, avec un niveau de dette qui a explosé (actuellement $57.000 milliards supérieur à son niveau d'avant-crise) avec une injection massive d'argent des banques centrales dans le système monétaire. Avec toutes ces conditions, l'économie mondiale devient paradoxalement de plus en plus fragile, tributaire de ces injections d'argents auxquelles elle devient très dépendante, voir accro. Complètement déréglée, la finance n'arrive plus à déterminer la valeur des biens comme l'explique bien Philippe Dessertine,  :

"L'action des Banques Centrales a comme conséquence d'avoir dérégulé l'ensemble des actifs mondiaux : les actions, le marché des dettes et notamment des dettes souveraines (des Etats donc), l'immobilier, les devises et les matières premières" 
"Il n'y a plus de bon prix des actifs, de rémunération du risque. Nous ne savons plus constituer le prix de ces actifs"

On retrouve très concrètement cela avec le phénomène des taux négatifs avec lequel on vous paie pour que vous empruntiez de l'argent. C'est le cas de la France qui emprunte à ce jour à des taux inférieurs à zéro jusqu'à 2 ans ! Une situation invraisemblable quand on connait la situation économique de notre pays (chômage, croissance, dette, dépenses publiques) que nous ne rappellerons pas.

Edouard Tetreau
"Au-delà du mur de l'argent"
Le problème n'est donc pas un manque d'argent, celui-ci circule sur les marchés et de manière très importante ; ainsi, les 500 premières entreprises américaines cotées ont fait plus de 1 000 milliards de profits en 2014, profits dont elles ne savent même plus comment les redistribuer comme le rappelait Edouard Tetreau dans son (excellent) dernier livre. Si l'on met cela en parallèle avec les $240 milliards qui échappent chaque année aux recettes des Etats à cause des différents systèmes d'optimisation fiscale des multinationales, on est en droit de se demander si il existe encore un pilote dans l'avion.

Pour résumer et faire simple, ce qui se passe sur les marchés financiers est totalement (et de plus en plus) déconnecté de l'économie réelle et cela ne présage rien de bon.


Où est le chauffeur ?

La comparaison avec Volkswagen prend son sens dans la mesure où l'économie mondiale et les marchés financiers, tout comme les actionnaires du groupe allemand deviennent obsédés par cet argent, ces profits, ce "veau d'or" qu'ils sont prêts à aller conquérir en faisant abstraction de toute autre considération, qu'elle soit humaine, sociale, environnementale.
Evoquant le système financier mondial il y a de cela un mois, Philippe Dessertine résumait ainsi la situation :
"Nous sommes dans un régime totalement incroyable, inconnu, extraordinaire, aberrant du point de vue économique et financier"
Alors il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c'est qu'une crise mondiale se profile (très bientôt ?) et qu'elle aura un impact beaucoup plus important que les dernières. La bonne, c'est qu'elle permettra certainement de remettre les compteurs à zéro, de réfléchir au niveau mondial sur une finance qui serait moins folle, créatrice de vraies richesses distribuées, sur un ordre mondial capable de proposer une vraie vision économique : mettre enfin à bas ce serpent qui se mort la queue.

Et ce nouveau monde ?

J'aimerais enfin mettre en parallèle le développement du système financier avec l'arrivée de cette révolution numérique. Le sujet est inépuisable, cette révolution technologique qui nous fait entrer dans un nouveau monde, inconnu aura bien des aspects positifs même si les contreparties négatives ne manqueront pas. Grâce aux technologies notamment, la transmission des crises sera bien plus rapide et leur impact plus important.
Mais j'ai surtout envie d'évoquer quelque chose qui a été un peu laissé de côté depuis le début de cet article, quelque chose qui est également peut-être laissé de côté dans les réflexions des puissances financières de ce monde : l'humain.

Une bonne nouvelle tout d'abord, dans un rapport récent la Banque Mondiale a annoncé que l'extrême pauvreté était passée sous la barre des 10% : la mondialisation a indéniablement engendré beaucoup de retombées positives. Mais quand l'Oxfam nous apprend dans le même temps que 1% des plus riches posséderont plus que le reste de la population mondiale en 2016, comment s'en satisfaire ?
Ce ne sont pas les plus pauvres, les plus fragiles qui profitent des injections d'argent des banques centrales, des liquidités massives. Ce sont bien eux qui souffrent en Grèce des décisions politiques, économiques, ce sont bien eux qui vont pâtir de la prochaine crise aux Etats-Unis avec les subprimes (crédits pourris) qu'ils sont en train de souscrire, comme en 2008...
Au delà du système financier et de manière très concrète, ce sont eux qui souffrent en France, qui sont laissés de côté, ceux qui n'ont pas de qualification, pas de formation, pas d'emploi.

Alors oui, la révolution numérique va être formidable mais renforcera certainement la distance entre ceux qui ont, qui peuvent, qui maîtrisent, qui suivent et ceux qui ne peuvent pas. Il s'agit bien évidemment de voir le verre à moitié plein mais ce n'est qu'en adoptant cette "option préférentielle pour les pauvres", pour les petits que nous pourrons ensemble évoluer vers ce qui promet d'être une époque passionnante. 
Actionnaires de Volkswagen, décideurs politiques, économistes, banques centrales, ils ont tous une mission commune. Une chose est certaine, il faudra pour la mener à bien accepter ses propres limites.
Le pauvre n'est pas là où on le croit forcément.