samedi 25 novembre 2017

Black Friday, et si nous disions "non" ? #41

Arrivant chaque année le lendemain de "Thanksgiving" qui est férié aux Etats-Unis, le "Black Friday" bat son plein avec des images impressionnantes de consommateurs se ruant dans les magasins pour y trouver des produits à prix cassés. Et si nous disions "non" à cette fuite en avant consumériste ?


Le "Black Friday" est une institution, un symbole aux Etats-Unis. Et pour cause, 3,3 milliards de dollars y ont été dépensés en ligne en 2016, chiffre qui atteint 50,9 milliards de dollars si l'on inclut le weekend qui suit, jusqu'au "Cyber Monday". Les chiffres de cette année devraient être encore plus impressionnants ! Pour ceux qui ne se rendraient pas compte, les images parlent d'elles-mêmes. 
En Chine, l'équivalent de cette journée s'est déroulé le 11 novembre, et force est de constater que les chinois ne jouent pas dans la même catégorie. Lors de cette "fête des célibataires", le géant du web Alibaba, encore méconnu en France, a réalisé 25,3 milliards de dollars de chiffre d'affaires en...24h !

Pourquoi cette fête dérange

Importée directement des Etats-Unis, le "Black Friday" est également présent en France sur la devanture de la plupart des boutiques et dans les centres commerciaux. 
Une occasion de plus pour attirer des clients exigeants avec une forte sensibilité aux prix. Mais quelque chose sonne faux dans cette fête, et si nous disions "non" ?

Partisan d'une économie libérale, d'un capitalisme entrepreneurial, je constate tout d'abord que ces évènements amplifient l'asymétrie entre grandes entreprises et petits commerçants, artisans. Amazon aura bien évidemment les moyens de faire de cette fête une réussite commerciale, quand le commerçant pourra se sentir obligé, par imitation et par pression concurrentielle, à faire de même sans en avoir forcément les moyens et l'envie. Quand la boulangerie chez qui je vais acheter mon pain ce matin propose une réduction spéciale "Black Friday Week" pour un achat d'un cornet de frites, ne touche-t-on pas le fond ? Est-ce que l'on a vraiment envie de s'identifier à cette culture ?

Cette année en France, dans cette frénésie consommatrice, un acteur est particulièrement sorti du lot. En effet, la Camif, spécialiste de l'équipement pour la maison, a décidé de fermer totalement son site de vente en ligne pour cette journée du Black Friday  :

"Le Black Friday, journée de consommation intensive importée des Etats-Unis, ne correspond pas aux valeurs de la Camif. Alors, en ce 24 novembre, nous fermons nos rayons et vous invitons, à l’instar de nos collabor’acteurs, à consommer autrement,à partager avec vos proches, tout simplement à ne pas acheter mais à donner."

La surconsommation nous coupe du réel

J'ai déjà eu l'occasion d'appeler à une responsabilité collective pour retrouver la valeur des choses. La consommation à outrance incarnée par ce Black Friday nous incite à ne pas être responsables : ô vous craquerez bien pour ces immanquables, ces destockages massifs ! 
Le consumérisme est le processus qui tend à nous réduire à des consommateurs, de telle façon que nous soyons plus concernés par nos achats que par notre rôle de citoyen. Nous nous déconnectons du réel pour vivre dans un monde virtuel où nos actes n'ont plus de conséquences ! 

Nous voyons bien d'ailleurs les effets de notre irresponsabilité sur l'environnement avec une planète que nous considérons bien souvent comme un simple consommable. La dette n'est pas seulement économique, mais bien également écologique ! 

Les mêmes maux touchent d'ailleurs la politique qui n'arrive plus à s'emparer du réel, qui préfère s'enfermer dans un entre-soi, une bulle où la contestation et la démocratie n'existent pas. Dire une chose et son contraire n'étonne d'ailleurs même plus.

Repenser notre rapport à l'écologie 

L'urgence est de nous replonger dans le réel, de retrouver le sens d'une consommation responsable. Tant que l'écologie, le rapport à l'environnement seront traités de manière idéologique, à des fins de communication comme lors des derniers sommets internationaux avec des accords très peu contraignants, nous ne gagnerons pas la bataille !
Il est d'ailleurs paradoxal d'observer qu'à l'heure où nous parlons de l'homme augmenté, principalement grâce à l'apport du numérique, l'homme se retrouve en réalité tiraillé, fragile et parfois irresponsable dans son rapport au réel, incapable de prendre soin de la nature qu'on lui a confiée. 

N'avons nous pas un problème ? Quelles sont nos priorités ? 



Des chantiers concrets

Selon le Centre Nation d'Information Indépendant sur les Déchets (CNIID), chaque français produit 354 kg d'ordures ménagères par an, et même plus si nous considérons les déchets professionnels avec un total de 13,8 tonnes par an et par habitant ! Nos achats ont bien sûr un impact sur les matières premières avec une consommation annuelle de 34 tonnes par français.

Le premier chantier est de développer le recyclage des déchets et leur élimination. Comme le dit l'adage, "le meilleur déchet est celui que l'on ne produit pas". Des initiatives comme celles de la ville de Lorient qui propose un ramassage des bio-déchets est à mettre en avant ! 

Le deuxième chantier à mener avec la grande distribution et les industriels, est de faire revenir en force la consigne des bouteilles, disparue dans les années 80 et par ailleurs très développée outre-Rhin. Outil de responsabilisation de l'ensemble des partie-prenantes, elle évite en outre de faire chauffer un four à 1500° pour obtenir à nouveau une bouteille...vide !

Pour finir, le danger est de tout attendre d'en haut, des pouvoirs publics pour être acteur. Notre responsabilité est de dire non au Black Friday, d'agir concrètement pour une consommation responsable ! 

C'est un message politique majeur que nous devons porter, la fuite en avant consumériste est l'apanage des progressistes. De notre côté nous croyons en l'homme et ses capacités, en sa conscience et en sa faculté à choisir le bien pour son environnement au sens large. 
C'est une lutte intérieure qu'il nous faut mener pour refuser la facilité et l'irresponsabilité au profit du temps long et de l'exigence du réel. 


samedi 11 novembre 2017

De la responsabilité collective #40

Le FN contre les partis traditionnels, les riches contre les pauvres, le secteur public contre le secteur privé, les progressistes contre les conservateurs. Ils sont nombreux les exemples de division et d'opposition qui minent notre pays. Nous ne devons pas céder à ces tentations et retrouver notre responsabilité collective.



Parmi les tics de langage répandus, qui habitent nos conversations quotidiennes, il y en a un qui ne me laisse plus indifférent. Ils sont de plus en plus nombreux, ceux qui évoquent "ce pays" en parlant sans la citer, de la France. Evidemment, cette expression est souvent utilisée pour pousser des jérémiades, critiquer, stigmatiser ce qui ne va pas bien, dans "ce pays". Comme si la France était un "objet" dont on pouvait se désolidariser, se débarrasser quand cela nous arrange...!

Cet exemple, ô combien symbolique doit nous interroger sur notre capacité à faire société, à être ensemble responsables de notre destin. Il est en effet si facile à tous les niveaux de ne se rendre responsable de rien, de ne pas mesurer les conséquences de ses actes, de repousser des dettes de tout ordre sur les générations futures. Il est temps de redécouvrir ensemble la responsabilité.

Responsabilité écologique

La première des responsabilités qui nous incombe est bien sûr en rapport avec l'environnement :
- l'année 2017 sera l'une des trois années les plus chaudes depuis que les relevés météorologiques existent au XIXème siècle,
- les émissions de gaz à effet de serre n'ont jamais été aussi importantes,
- le niveau des océans ne cesse de monter (20cm depuis le début du XXème siècle).

Si la responsabilité de l'homme n'est plus à démontrer, c'est surtout son irresponsabilité qu'il nous faut montrer. Folie de vouloir vivre, produire, consommer à n'importe quel prix, sans se soucier des conséquences sur notre bien le plus précieux qu'est la nature.
Les rapports alarmistes nous secouent sans nous ébranler avec des accords internationaux peu contraignants. La détermination politique doit être forte, accompagnée de tous les progrès sur les sources d'énergie "propres": solaire, éolien notamment offshore, stockage de l'énergie.
Au niveau local, les initiatives sont nombreuses (composteurs, zéro déchet) et doivent être encouragées !

Responsabilité économique

L'irresponsabilité en matière économique a consisté à accumuler depuis plusieurs décennies une dette que la France ne pourra à l'évidence jamais rembourser. Nous avons par exemple appris que le déficit de l'Etat français allait passer de 76,5 à 82,9 milliards d'euros l'année prochaine, alors que la dette publique est sur le point d'atteindre 100% du PIB en 2018. Ces niveaux insoutenables sont à mettre en parallèle avec le sentiment d'exaspération des français devant leur niveau global d'imposition. Tout cela n'est pas sans poser problème quand on sait que les rentrées fiscales constituent la première ressource de l'Etat.

Qu'est-ce que la dette sinon un impôt différé, reporté sur les générations futures ?

Là encore, les promesses, les incantations ne suffisent pas. Une simple remontée des taux d'interêt mettrait la France en grande difficulté.
La détermination politique doit être forte, et un projet de réflexion globale sur le périmètre de l'Etat (au sens large) doit être mené. Attention toutefois à éviter l'écueil qui serait de considérer toute dette ou toute dépense publique comme mauvaise car les investissements dans le temps long sont nécessaires (éducation, transition écologique). Mais on ne peut réformer à périmètre constant, sans qu'il y ait de perdants.

L'économie ne se réduisant pas à la dette publique, il incombe à chacun d'entre nous d'être responsable de nos producteurs et de nos artisans locaux, qui représentent si bien le savoir-faire français !

Responsabilité citoyenne

Enfin, il n'y aura pas de responsabilité commune sans un réveil citoyen. Il est illusoire de penser que la France retrouvera le chemin du succès par la seule politique économique, qui semble être l'alpha et l'oméga du gouvernement actuel. Retrouver une histoire et des racines communes, la fierté d'être français, de participer au rayonnement de notre pays à l'international et au bien être de nos concitoyens : c'est cela qui doit nous animer !
La rupture consistera à penser l'interêt de la France et des français avant toute autre considération. C'est ce que nous avons de plus beau, et c'est ce qui nous permettra de dépasser les clivages artificiels exposés en préambule pour enfin porter une vision pour notre pays.

Un exemple de capacité collective à retrouver le chemin de l'interêt général ? Faire en sorte que chaque français paie l'impôt sur le revenu, même si les sommes peuvent être marginales.
Pourquoi ? Le consentement à l'impôt s'étiole progressivement puisque de moins en moins de français sont soumis à une imposition directe : 42,3% des foyers fiscaux s'acquittaient de l'impôt sur le revenu en 2016 contre...50% en 2012 ! L'impôt doit être citoyen, symbolique et responsable !

Vouloir révolutionner la politique, mettre la France en marche. Tout cela est louable. Mais qu'en est-il dans les faits ? Où est la responsabilité écologique, économique et citoyenne ? Le vrai courage, il est là ! 


mercredi 13 septembre 2017

Intelligence artificielle, ou quand l'économie devient politique #39

La révolution numérique et l'intelligence artificielle sont au coeur de toutes les questions d'actualité, concernant l'économie notamment mais pas seulement. Elles ont le mérite de réveiller les passions, avec il est vrai, des enjeux aux conséquences majeures. Mais est-on branché sur le bon débat ?


Elles sont rares, très rares les personnes qui entretiennent un avis mesuré sur les évolutions technologiques que nous connaissons. 
Entre ceux qui pensent et affirment que l'emploi va disparaitre, et que l'on doit immédiatement préparer le monde de demain en versant un revenu minimum universel inconditionnel, et ceux qui voient simplement les opportunités de "business", une capacité à rendre la société plus fluide et l'avènement de progrès scientifiques.

N'y aurait-il pas de voie intermédiaire ? Sommes-nous condamnés à choisir entre la techno-béatitude et le repli sur soi ? Bien évidemment, il est possible de trouver un terrain fertile à l'épanouissement de l'homme par la technologie et ses évolutions rapides qui nous désarçonnent parfois.
Encore faut-il laisser le dogmatisme, et accepter de prendre un recul critique pour aller dans le fond des choses. Pourquoi ces révolutions ont-elles lieu ? Quelle est leur visée ? Pour quel avenir, quel progrès voulons nous construire, pour les générations futures ? Qu'est ce qui est pour nous fondamental à conserver ?
C'est uniquement en croisant ces deux séries de questions que pourra se déterminer (ou non) le cadre d'une entente et d'une collaboration bienveillante entre l'homme et la technologie.

Le progrès dû au hasard ?

Au risque de vous décevoir, il me semble évident que le progrès...n'est pas dû au hasard. Du moins dans son orientation globale. L'intelligence artificielle a une portée philosophique, civilisationnelle. Elle participe au rapprochement entre le silicium et le neurone, rapprochement qui sera matérialisé par des implants cérébraux comme le propose par exemple Elon Musk.
Ce dernier argue que ces implants constitueront notre unique recours avant d'être marginalisé par une intelligence artificielle qui bientôt nous dépassera. C'est l'avènement de l'homme augmenté.

Une attention particulière doit néanmoins être portée aux "visionnaires" qui, comme Elon Musk, alertent contre le risque "fondamental" que court l'humanité avec l'intelligence artificielle et qui...en font une source colossale de "business" à côté (ici Neuralink). On peut donc légitimement se demander "à qui profite le crime ?".

Ne pas se tromper de cible


Nous pouvons tout à fait appréhender cette révolution technologique de façon technique, en essayant de réfléchir à l'encadrement de ces évolutions, à leurs développements et aux acteurs qui y prennent part. Mais n'est-ce pas artificiel ?
Comment analyser un changement de civilisation à la lumière d'une analyse purement technique ? Non pas que cette dernière soit superflue, mais bien parce qu'elle ne prend en considération que la pointe émergée de l'iceberg de l'intelligence artificielle.


Que sous-tend l'intelligence artificielle ?

L'intelligence artificielle a une portée civilisationnelle puisqu'elle diffuse une certain vision de l'homme et du monde. Elle procède avec la révolution technologique d'une logique d'efficacité, de productivité alors que l'homme (être fini) est bien souvent limité dans ses capacités. Vision théorique me direz-vous ? Regardez le marché du travail, et observez à quel point les moins qualifiés (compétences et formation), les plus âgés sont précisément ceux qui sont hors de l'emploi, en "marge" de nos sociétés. Et bien souvent se développe en sus un cercle vicieux pour ces "outsiders" au profit d'insiders qui eux sont dans le système. Les conséquences sont immédiates pour ces outsiders en terme de lien social, d'accès aux biens de première nécessité, au crédit bancaire ou au logement par exemple.
Les évolutions technologiques et l'automatisation des processus ne semblent pas renverser ce processus mais bel et bien l'accélérer. En effet, ce sont d'abord les outsiders qui seront touchés, avec l'automatisation des emplois peu qualifiés, à "faible valeur ajoutée". Ou quand la valeur d'un homme ou d'une femme est jugée sous le seul prisme de l'efficacité économique !

L'humanité affectée dans son essence 

Ces mutations affectent la nature de l'humanité, puisque sont écartés de fait ceux dont la contribution jugée à l'aune de la productivité, coûte plus qu'elle ne rapporte. Nous penchons ainsi vers, non pas une économie et un développement technologique au service de l'homme et de l'humanité, mais au profit d'un certain type d'individu. Cette distinction est fondamentale ! 
Ceci n'est d'ailleurs pas sans conséquence puisque le culte de l'individu, renforcé par une consommation exacerbée, rend difficile la recherche d'un intérêt autre que le sien, et de facto le détourne de la recherche de l’intérêt général, et donc de celui de tous les hommes.

Cette analyse pourrait s'avérer très subjective et partielle si elle n'était pas confirmée par les "progrès bioéthiques". En effet, la recherche sur l'embryon et son évolution laissent actuellement la porte ouverte à une modification de l'ADN des cellules, et à une élimination des profils jugés "non performants" ou "non satisfaisants". Ceci n'est pas acceptable dans une société qui s'intéresse à la préservation de l'humanité, mais peut tout à fait se concevoir si l'individu et son utilisation devient une fin en soi. 

De plus, d'autres développements tels que la quantification du réel par toutes sortes de capteurs, le transhumanisme qui vise la mort de la mort, participent à la même idéologie décrite ci-dessus. 

Avènement de l'économie politique

Cette mise en cohérence des différents phénomènes et explications sous-tendues par la perspective d'une intelligence artificielle s'avère nécessaire pour ne pas rester dans une analyse parcellaire.
Vous l'aurez compris, la technologie n'est pas visée dans son essence, mais bien dans son orientation. Nous ne développerons pas toutes les potentialités déjà exploitées par la technologie notamment dans le domaine de la médecine. Il faut s'en réjouir et accompagner ce mouvement. 

Il est donc nécessaire de ne pas réduire ces transformations à des vagues purement technologiques, et cela nous fait prendre conscience que l'avenir de l'humanité (long terme) est en train de se dessiner en même temps que notre monde est déjà façonné par ces évolutions (court terme). Nous devons consentir à cet effort de réfléchir à l'homme et son évolution pour pouvoir affronter ces enjeux civilisations. Si la politique s'intéresse bien souvent à la prochaine élection, n'avons-nous pas le devoir de penser la prochaine génération ?

Le risque est sinon de voir l'économie se substituer à la politique pour proposer cette vision de long-terme, avec des contre-pouvoirs et des gardes-fou difficiles à mettre en place compte tenu de la puissance des acteurs tels que les GAFA aujourd'hui. 
Pour conclure, nous pouvons dresser le constat suivant ; nous, politiques et citoyens, nous sommes de manière collective désengagés du long terme, et c'est une faute lourde car nous sommes actuellement condamnés à nous adapter. S'adapter à des évolutions qui sont de l'ordre du progrès technique est tout à fait naturel et les entreprises vivent cela au quotidien. Mais s'adapter à une vision de l'homme et du monde propagée par certains et décrite dans cet article sans y prendre part et parfois même sans y consentir relève d'un manque de responsabilité.

Tout cela doit nous interroger sur notre capacité à faire société, à vivre dans la cité, à faire de la politique ensemble, dans une époque où l'individu est roi. L'économie est-elle une fin ? Je ne le crois pas. L'individu est-il une fin ? Je ne le crois pas. Saisissons-nous de ces sujets, pour les orienter vers le bien de l'humanité dans son ensemble. Il est faux d'affirmer que le bien de mon voisin ne concerne que lui, il nous faut retrouver le sens du collectif pour faire société, ensemble. 

La technologie doit nous pousser à nous humaniser. C'est paradoxal, mais tel est le sens de l'histoire.



jeudi 13 juillet 2017

De la responsabilité de l'individu et du politique #38

Avec la révolution numérique, le monde avance à une vitesse exponentielle. Mais qui le pense aujourd'hui dans ses évolutions ? Agents économiques, gouvernements, individus : il est urgent de redéfinir ensemble le rôle de chacun de ces acteurs. 


Nous l'avons souvent rappelé ici, l'économique et le politique sont étroitement liés et ils participent avec le social à la construction de nos sociétés. Les derniers mois ont confirmé la sortie d'un certain monde avec les élections de Donald Trump et d'Emmanuel Macron, la sortie du Royaume-Uni de l'Union Européenne, les négociations compliquées sur le climat.

Si les cartes sont rebattues avec un leadership à prendre au niveau européen et mondial, et que la révolution technologique bat son plein, la réalité de la "vraie vie des vrais gens" est parfois toute autre. Derrière l'engouement pour le projet Macronien et ses revirements hebdomadaires, subsiste une France qui va un peu moins bien, cette France des déclassés, des territoires perdus de la République, cette France du chômage qui demeure un drame humain, cette France des emplois peu qualifiés et des fins de mois difficiles, cette France des non formés. Qui s'occupe d'elle ?

Tout cela doit nous interroger sur notre capacité à nous projeter dans ce monde nouveau aux repères incertains, et qui semble laisser de côté ceux qui ne peuvent suivre. Certains affirmeront qu'il s'agit d'une énième révolution, avec ses ajustements nécessaires, le temps que les créations d'emplois du nouveau monde remplacent ceux de l'ancien monde. Mais à quel prix pour les outsiders ?

Quand l'économique reprend le dessus


Nous constatons aujourd'hui qu'au delà des mots et des sommets internationaux, le politique et le citoyen peinent à exister aux côtés de l'économique, qui prend une place grandissante. Deux exemples. 

La France est aujourd'hui tributaire des marchés financiers sur lesquels elle emprunte à hauteur de 200 milliards d'euros chaque année. Fort heureusement, elle profite actuellement de taux anormalement faibles sur cette dette, du fait de sa proximité avec l'Allemagne. La France est donc dépendante de l'économique, et c'est pourquoi une réduction de sa dette aurait comme effet le retour à une plus grande souveraineté. Cette dépendance récemment soulignée par le 1er ministre doit désormais s'accompagner d'actes concrets engageant des transformations profondes.

Dans un autre domaine, Google qui est ultra-dominant dans son activité de moteur de recherche a par son système de référencement un pouvoir économique et politique sans précédent, et des millions d'individus sont dépendants de l'entreprise californienne. Elle possède $86 milliards de cash qu'elle investit dans des secteurs d'avenir, dont certains sont clairement à visées politique et philosophique comme l'intelligence artificielle.

L'économique est d'autant plus puissant que la donnée (data) devient actuellement le pétrole du 21ème siècle, avec une course effrénée visant la collecte et l'exploitation d'informations personnelles. Rappelons ici que nous consentons à cette opération en disposant des informations sur les réseaux sociaux, sur les sites marchands et à travers tous nos objets numériques et connectés. 
Mais qui maîtrise ces données ? Comment ces nouvelles activités, plus difficilement localisables, financent-elles nos systèmes sociaux ? A quel point le politique et le citoyen ont-ils prise sur ces phénomènes ?

Chômage et révolution technologique

Pour revenir à des considérations qui nous semblent moins éloignées, il apparait probable que la révolution technologique amplifie les situations de fragilité du marché de l'emploi, et notamment en France. Le chômage dans notre pays est principalement lié au problème de la non-qualification. Des chiffres récents montrent que le taux de chômage est de 6% à Bac +5 quand plus d'un chômeur sur deux n'a pas le bac ! 
Le fait est qu'il est difficile de s'insérer sur le marché du travail sans qualification et qu'il est très compliqué de s'y maintenir au delà d'un certain âge. Les séniors subissent à la fois un niveau d'employabilité peu élevé et les effets des réformes des retraites successives qui ont repoussé l'âge de départ à la retraite.

Ces personnes seront les premières affectées par l'automatisation des processus qui débutera par les tâches les plus élémentaires. La question de la formation professionnelle est donc centrale, ainsi que les investissements dans le système scolaire et ce dès le plus jeune âge. 

Des citoyens à part entière

Il est essentiel de se positionner en tant que citoyens face à ces problématiques complexes. Citoyens ? Oui, car nous devons réconcilier le consommateur et le travailleur. Ce dernier refuse souvent d'être une simple variable d'ajustement du "système" mais entend bien profiter des moindres avantages de la mondialisation quand il redevient consommateur. Une asymétrie qui nous fait parfois confondre le réel et le virtuel, quand nous attendons par exemple d'un employé de supermarché qu'il délivre un service aussi performant et rapide qu'Amazon. Quelle cohérence et quelle responsabilité ?
Nous devons nous réinvestir pour équilibrer les relations avec l'économique en utilisant le puissant levier qu'est la politique, seule capable de réunir les énergies, de prendre le meilleur pour dessiner une société que nous voulons. 

Le politique est donc responsable des enjeux globaux, et doit pouvoir être capable de placer l'individu au centre de ses préoccupations. Le citoyen, quant à lui ne doit pas se limiter à un "rôle de consommateur" car il rentrerait alors dans une dynamique dangereuse pour sa propre survie. C'est en utilisant pleinement son intelligence qu'il pourra continuer à être acteur dans un monde où la performance tend à se substituer à l'existence.
Laurent Alexandre, un des spécialistes dans ce domaine alertait récemment sur la nécessité de ne pas faire l'impasse sur l'intelligence au 21ème siècle :

"L'intelligence est tabou, parce que les élites intellectuelles ne souhaitent pas qu'on en parle [...] pour garder le monopole de l'intelligence" 


Faire du lien plutôt que de diviser

C'est donc conscients que le monde change et nécessite d'adapter ses compétences, ses structures,  notre système institutionnel que nous devons avancer. Cette compréhension doit être celle des individus et de la société dans son ensemble.

Cependant, il nous faut éviter un écueil important : regarder le monde évoluer (sans nous) et avoir une confiance aveugle dans le progrès. Bien au contraire, il nous faut poser un jugement critique sur notre rapport à la technologie, au travail, à l'environnement en s'appuyant sur l'homme et ses ressources abondantes !
C'est en assumant de défendre ce qui nous parait essentiel, la dignité de l'être humain, la défense de l'environnement, la protection de notre territoire, une histoire riche, une économie libérale favorisant l'initiative, et en investissant ces sujets en tant que citoyens, que nous parlerons au "vrais gens", ceux qui ne font guère de bruit, mais qui sont la France !