mercredi 13 septembre 2017

Intelligence artificielle, ou quand l'économie devient politique #39

La révolution numérique et l'intelligence artificielle sont au coeur de toutes les questions d'actualité, concernant l'économie notamment mais pas seulement. Elles ont le mérite de réveiller les passions, avec il est vrai, des enjeux aux conséquences majeures. Mais est-on branché sur le bon débat ?


Elles sont rares, très rares les personnes qui entretiennent un avis mesuré sur les évolutions technologiques que nous connaissons. 
Entre ceux qui pensent et affirment que l'emploi va disparaitre, et que l'on doit immédiatement préparer le monde de demain en versant un revenu minimum universel inconditionnel, et ceux qui voient simplement les opportunités de "business", une capacité à rendre la société plus fluide et l'avènement de progrès scientifiques.

N'y aurait-il pas de voie intermédiaire ? Sommes-nous condamnés à choisir entre la techno-béatitude et le repli sur soi ? Bien évidemment, il est possible de trouver un terrain fertile à l'épanouissement de l'homme par la technologie et ses évolutions rapides qui nous désarçonnent parfois.
Encore faut-il laisser le dogmatisme, et accepter de prendre un recul critique pour aller dans le fond des choses. Pourquoi ces révolutions ont-elles lieu ? Quelle est leur visée ? Pour quel avenir, quel progrès voulons nous construire, pour les générations futures ? Qu'est ce qui est pour nous fondamental à conserver ?
C'est uniquement en croisant ces deux séries de questions que pourra se déterminer (ou non) le cadre d'une entente et d'une collaboration bienveillante entre l'homme et la technologie.

Le progrès dû au hasard ?

Au risque de vous décevoir, il me semble évident que le progrès...n'est pas dû au hasard. Du moins dans son orientation globale. L'intelligence artificielle a une portée philosophique, civilisationnelle. Elle participe au rapprochement entre le silicium et le neurone, rapprochement qui sera matérialisé par des implants cérébraux comme le propose par exemple Elon Musk.
Ce dernier argue que ces implants constitueront notre unique recours avant d'être marginalisé par une intelligence artificielle qui bientôt nous dépassera. C'est l'avènement de l'homme augmenté.

Une attention particulière doit néanmoins être portée aux "visionnaires" qui, comme Elon Musk, alertent contre le risque "fondamental" que court l'humanité avec l'intelligence artificielle et qui...en font une source colossale de "business" à côté (ici Neuralink). On peut donc légitimement se demander "à qui profite le crime ?".

Ne pas se tromper de cible


Nous pouvons tout à fait appréhender cette révolution technologique de façon technique, en essayant de réfléchir à l'encadrement de ces évolutions, à leurs développements et aux acteurs qui y prennent part. Mais n'est-ce pas artificiel ?
Comment analyser un changement de civilisation à la lumière d'une analyse purement technique ? Non pas que cette dernière soit superflue, mais bien parce qu'elle ne prend en considération que la pointe émergée de l'iceberg de l'intelligence artificielle.


Que sous-tend l'intelligence artificielle ?

L'intelligence artificielle a une portée civilisationnelle puisqu'elle diffuse une certain vision de l'homme et du monde. Elle procède avec la révolution technologique d'une logique d'efficacité, de productivité alors que l'homme (être fini) est bien souvent limité dans ses capacités. Vision théorique me direz-vous ? Regardez le marché du travail, et observez à quel point les moins qualifiés (compétences et formation), les plus âgés sont précisément ceux qui sont hors de l'emploi, en "marge" de nos sociétés. Et bien souvent se développe en sus un cercle vicieux pour ces "outsiders" au profit d'insiders qui eux sont dans le système. Les conséquences sont immédiates pour ces outsiders en terme de lien social, d'accès aux biens de première nécessité, au crédit bancaire ou au logement par exemple.
Les évolutions technologiques et l'automatisation des processus ne semblent pas renverser ce processus mais bel et bien l'accélérer. En effet, ce sont d'abord les outsiders qui seront touchés, avec l'automatisation des emplois peu qualifiés, à "faible valeur ajoutée". Ou quand la valeur d'un homme ou d'une femme est jugée sous le seul prisme de l'efficacité économique !

L'humanité affectée dans son essence 

Ces mutations affectent la nature de l'humanité, puisque sont écartés de fait ceux dont la contribution jugée à l'aune de la productivité, coûte plus qu'elle ne rapporte. Nous penchons ainsi vers, non pas une économie et un développement technologique au service de l'homme et de l'humanité, mais au profit d'un certain type d'individu. Cette distinction est fondamentale ! 
Ceci n'est d'ailleurs pas sans conséquence puisque le culte de l'individu, renforcé par une consommation exacerbée, rend difficile la recherche d'un intérêt autre que le sien, et de facto le détourne de la recherche de l’intérêt général, et donc de celui de tous les hommes.

Cette analyse pourrait s'avérer très subjective et partielle si elle n'était pas confirmée par les "progrès bioéthiques". En effet, la recherche sur l'embryon et son évolution laissent actuellement la porte ouverte à une modification de l'ADN des cellules, et à une élimination des profils jugés "non performants" ou "non satisfaisants". Ceci n'est pas acceptable dans une société qui s'intéresse à la préservation de l'humanité, mais peut tout à fait se concevoir si l'individu et son utilisation devient une fin en soi. 

De plus, d'autres développements tels que la quantification du réel par toutes sortes de capteurs, le transhumanisme qui vise la mort de la mort, participent à la même idéologie décrite ci-dessus. 

Avènement de l'économie politique

Cette mise en cohérence des différents phénomènes et explications sous-tendues par la perspective d'une intelligence artificielle s'avère nécessaire pour ne pas rester dans une analyse parcellaire.
Vous l'aurez compris, la technologie n'est pas visée dans son essence, mais bien dans son orientation. Nous ne développerons pas toutes les potentialités déjà exploitées par la technologie notamment dans le domaine de la médecine. Il faut s'en réjouir et accompagner ce mouvement. 

Il est donc nécessaire de ne pas réduire ces transformations à des vagues purement technologiques, et cela nous fait prendre conscience que l'avenir de l'humanité (long terme) est en train de se dessiner en même temps que notre monde est déjà façonné par ces évolutions (court terme). Nous devons consentir à cet effort de réfléchir à l'homme et son évolution pour pouvoir affronter ces enjeux civilisations. Si la politique s'intéresse bien souvent à la prochaine élection, n'avons-nous pas le devoir de penser la prochaine génération ?

Le risque est sinon de voir l'économie se substituer à la politique pour proposer cette vision de long-terme, avec des contre-pouvoirs et des gardes-fou difficiles à mettre en place compte tenu de la puissance des acteurs tels que les GAFA aujourd'hui. 
Pour conclure, nous pouvons dresser le constat suivant ; nous, politiques et citoyens, nous sommes de manière collective désengagés du long terme, et c'est une faute lourde car nous sommes actuellement condamnés à nous adapter. S'adapter à des évolutions qui sont de l'ordre du progrès technique est tout à fait naturel et les entreprises vivent cela au quotidien. Mais s'adapter à une vision de l'homme et du monde propagée par certains et décrite dans cet article sans y prendre part et parfois même sans y consentir relève d'un manque de responsabilité.

Tout cela doit nous interroger sur notre capacité à faire société, à vivre dans la cité, à faire de la politique ensemble, dans une époque où l'individu est roi. L'économie est-elle une fin ? Je ne le crois pas. L'individu est-il une fin ? Je ne le crois pas. Saisissons-nous de ces sujets, pour les orienter vers le bien de l'humanité dans son ensemble. Il est faux d'affirmer que le bien de mon voisin ne concerne que lui, il nous faut retrouver le sens du collectif pour faire société, ensemble. 

La technologie doit nous pousser à nous humaniser. C'est paradoxal, mais tel est le sens de l'histoire.