mercredi 22 octobre 2014

Ecotaxe: la mort symbolique d'une taxe #2

C'est un des feuilletons de la rentrée, l'Ecotaxe a été suspendue "Sine Die" par la ministre de l'écologie Ségolène Royal le 9 Octobre. Une décision dont les niveaux de lecture peuvent être multiples: décryptage.

Les fameux portiques "Ecotaxe": un symbole

De quoi parle-t-on ?

La fameuse "Ecotaxe" trouve son origine dans la "Loi Grenelle de l'environnement" adoptée en 2009 sous le gouvernement Fillon. A l'époque, c'est une mesure qui fait plutôt consensus (votée à la quasi-unanimité) et qui vise à développer des solutions de transport plus propres et plus durables pour une mise en place prévue en 2011.
Après différentes tentatives, cette mesure prend finalement la forme d'une taxe écologique visant les véhicules de plus de 3,5 tonnes.
Il s'agit d'un contrat lié entre l'Etat et la société Ecomouv: on parle alors de PPP (partenariat public-privé) qui permet de choisir une société privée qui sera chargée de la mise en place et de l'exécution du dispositif. En effet, nous avons affaire à un système complexe et coûteux à mettre en place.
De manière générale, ces "Partenariats Public-Privé" sont de plus en plus répandus aujourd'hui car ils présentent notamment l'avantage d'apporter un financement privé quand l'Etat n'a plus forcément les moyens d'apporter son financement.

De la contestation à l'annulation

Ce dispositif de l'Ecotaxe fait l'objet de nombreuses critiques venues autant de la droite que de la gauche notamment à cause d'un contrat jugé trop coûteux ; elle a ensuite été reportée d'années en années.
Mais c'est en 2013 que la contestation se fait de plus en plus importante et visible avec l'émergence du mouvement des "Bonnets Rouges" en Bretagne avec la destruction de nombreux radars et portiques d'Ecotaxe pour un coût de plusieurs millions d'euros.

Au début du mois d'octobre 2014 commence alors une vague de mobilisation des routiers qui menacent de bloquer le pays via un mouvement de grande ampleur: 

Ils contestent la dernière version de l'écotaxe désormais connue sous le nom de"Péage de transit poids lourds" qui devait s'appliquer au 1er Janvier 2015.
Arguant un dispositif devenu "incompréhensible", le gouvernement de Manuel Valls décide alors de suspendre l'Ecotaxe, pour de bon.

Conséquences économiques

Bien sûr, une telle décision est lourde de conséquences et notamment économiquement. En effet, il existe une clause dans le contrat qui stipule qu'en cas de rupture, l'Etat devra immédiatement verser 800 millions d'euros à Ecomouv: colossal.
De plus on estime que le manque à gagner résultant de la non-application de cette taxe s'élève à presque 1,5 milliards pour l'Etat: gigantesque quand on sait que le budget de l'Ecologie, en baisse de 5,8% en 2015 s'élève à 6,7 milliards d'euros.
Enfin, l’Agence de financement des infrastructures de transport en France (AFITF) se retrouve de fait privée de 400 millions d'euros pour effectuer des projets d'investissement sur les infrastructures: ennuyant.
De plus, on a peu parlé des 120 salariés d'Ecomouv et des 130 douaniers qui travaillaient jusqu'à présent sur le dossier et qui se retrouvent sans emploi.


Un signal désastreux

La décision de stopper l'ecotaxe relève d'une improvisation politique malheureusement de plus en plus récurrente. Il a fallut une (menace de) manifestation des routiers pour faire plier le gouvernement comme il l'avait déjà fait en accordant par exemple des dérogations à certaines grandes métropoles pour l'encadrement des loyers en Septembre.
Plus grave encore, Ségolène Royal entend bien contester les conditions du contrat avec Ecomouv afin de limiter la facture pour l'Etat (800M€): la symbolique est forte, l'Etat français songerait à remettre en cause sa parole, qui plus est sa signature via le contrat signé avec le société dans le cadre du PPP.
Où va-t-on ? Quelle crédibilité pour la parole publique et plus largement pour la parole politique si même l'Etat songe à remettre en cause ses engagements ? Quelle image envoyée à nos partenaires, aux entreprises envisageant d'investir en France ?

Des pistes à l'étude

Dans les pistes actées, l'Etat va augmenter à partir du 1er Janvier 2015 de 2 centimes d'euros par litre la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) sur le diesel: une façon de limiter les dégats en ramenant 800 millions d'euros dans les caisses. Une deuxième augmentation du prix de l'essence sera également à prévoir en Avril 2015 dans le cadre de la taxe carbone. 
Si ces mesures permettront des rentrées fiscales supplémentaires, elles ne règlent en rien les problèmes. 
Un transporteur pourra par exemple "faire son plein en Belgique, traverser toute la France pour arriver en Espagne sans avoir payé la taxe sur le gazole" comme le soulignait la ministre de l'écologie.

Sur un plein de 50 litres, le consommateur paiera 1€ en plus pour l'essence et 2€40 pour le diesel compte tenu de ces deux hausses. Ces augmentations pourraient être compensées par la diminution impressionnante du prix du baril de pétrole qui a chuté de 115 à 85$ en 3 mois !

L'écologie, variable d'ajustement

La situation est également préoccupante pour l'Ecologie: si les Verts n'ont pas forcément apprécié l'abandon de l'Ecotaxe  (c'est un euphémisme), Ségolène Royal a essayé de redresser la barre en évoquant le prélèvement des sociétés d'autoroute, la gratuité de celles-ci le weekend où encore un système de vignettes pour les poids-lourds étrangers. 
Si la première piste est envisageable quoique difficilement applicable, la deuxième a été écartée par le premier ministre et la troisième n'est pas compatible avec le droit européen: pas gagné.

Le constat ? L'écologie politisée ne marche pas, l'écologie ne devrait pas être l'affaire d'un parti politique mais l'engagement de toute une société, d'une génération pour préparer le future et être à la hauteur des enjeux; au même titre que l'éducation, la santé et beaucoup d'autres thématiques.
Sans vision il n'y aura pas de salut et l'écologie sera réduite à des compromis entre partis politiques, avec des mesurettes sans ambition: quel gâchis.
Quand on voit que Ségolène Royal se disait jusqu'à 2011 favorable à une Ecotaxe et qu'elle la juge désormais "absurde", on est en droit de se poser des questions. 

La parole politique est censée donner des orientations et pas seulement produire des réactions à chaud qui n'ont que le court terme pour objectif et qui seront de toute façon remises en cause une semaine plus tard. Elle permet de créer la confiance, d'impulser une dynamique au delà même du contenu même des mesures, de donner du sens.

Attention, il ne s'agit pas de faire un réquisitoire contre ce gouvernement, le constat pouvant être élargi dans le temps et à d'autres familles politiques mais le feuilleton de l'Ecotaxe me semble assez révélateur du mal français.

Des raisons d'espérer

Heureusement il y a d'autres signaux plus positifs notamment au niveau européen avec un sommet qui se tient ce jeudi à Bruxelles; l'Europe est le chef de file concernant la transition énergétique et aura un rôle important à jouer pour entrainer les Etats-Unis et la Chine. L'objectif d'ici à 2020 est le fameux 3x20: 20% de baisses d'émissions de CO2, 20% d'énergies renouvelables et 20% d'économies d'énergie. Les objectifs pourraient même être revus à la hausse à l'issu de négociations qui s'annoncent serrées.

En France, l'écologie est comme beaucoup de sujets trop centrée sur des questions idéologiques et manque de pragmatisme et de courage: l'Ecotaxe en est la preuve: absence de stratégie, Etat fébrile sans vision claire à même de créer un consensus dans la société: le bien triste tableau d'une taxe qui avait tout pour plaire.



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