vendredi 22 mai 2015

Apprentissage, le bon remède ? #22

La question du chômage est brûlante en France. Années après années, aucun gouvernement ne semble avoir trouvé la solution. Faut-il se résigner ? François Mitterrand avait-il vu juste en déclarant en 1993: "Dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé" ?



D'emblée je vais vous apporter la réponse: non le chômage n'a rien d'une fatalité ! Vous ne me croyez pas ? Laissez moi vous convaincre ! Vous êtes rassurés ? Continuons à dérouler l'histoire.
Il s'agit maintenant de la regarder avec lucidité et courage et vous l'aurez compris, ce ne sont pas les qualités que l'on prêterait instinctivement à nos gouvernants, spécialement sur ces questions.
Le fait est que le chômage en France peut revêtir un aspect volontaire ; il ne s'agit pas de provocation mais d'un constat partagé par de plus en plus d'analystes et d'économistes: oui, la France aurait une préférence pour le chômage !
Nicolas Bouzou expliquait dans une récente tribune que l'on "préfère supporter les inconvénients du chômage de masse plutôt qu’accepter les réformes qui permettraient de revenir au plein-emploi". Cette analyse se vérifie d'année en année avec une incapacité structurelle de nos gouvernements à prendre, non pas seulement des mesures conjoncturelles mais aussi des mesures structurelles visant à faire sauter durablement les freins à l'emploi: la loi Macron, le pacte de Responsabilité, le CICE vont certes dans le bon sens mais jamais cela ne remettra durablement la France sur le chemin de l'emploi, de la croissance, du bien-être des français et tout le monde le sait. 

Quels sont les maux français ?

Est-il possible d'identifier quels sont les maux dont souffre la France ? Ils peuvent être détaillés en quatre ensembles :
- Rupture et complexité : les entrepreneurs français expriment une peur d'embaucher à cause notamment de contraintes liées au contrat de travail (complexité, lourdeur administrative), à la difficulté de licencier: 70% d'entre eux se trouvent dans cette situation selon un sondage Opinion Way.
- Coût du travail : il est trop lourd en France où le coût horaire est globalement 10% plus élevé qu'en Allemagne; un niveau de charges patronales qui réduit le salaire net du travailleur et augmente celui que paye l'employeur. Si certaines politiques sont allées dans le bon sens (CICE..), il faudrait baisser massivement ce niveau de prélèvements. La question du SMIC mériterait elle-aussi d'être abordée puisque par son niveau relativement élevé pour les non-qualifiés constitue une barrière à l'entrée du marché du travail. Cela renvoie à la question plus large du contrat de travail.
- Formation professionnelle : elle a pour mérite de faire l'unanimité mais pas forcément pour des raisons très louables: les 32 milliards alloués à la formation professionnelle sont un gâchis considérable: ils sont très mal orientés (10% seulement bénéficient aux chômeurs) et loin d'être efficaces, particulièrement quand on considère les chiffres de l'emploi.
- Indemnités chômages : c'est un débat que le gouvernement a tenté d'ouvrir au début d'année: faut-il rendre ces allocations dégressives en fonction du temps ? La France a le vilain défaut de ne pas s'intéresser à ce qui se passe (et réussit) chez ses voisins: on touchera ainsi le chômage si l'on a travaillé 4 mois au cours des 28 derniers en France contre 1 an au cours des 24 derniers en Allemagne, où les indemnités sont plafonnées à 2215€ contre 6165€ ici. Des pistes intéressantes ?

L'alternance en solution ?

Vous comprendrez qu'après avoir dressé ces constats, difficile de croire qu'on ne peut rien faire pour améliorer la situation de l'emploi !
Un coup de marteau est venu enfoncer un peu plus l'enclume que représente l'échec de ces politiques d'emploi en France : en effet, la semaine dernière ont été publiées les entrées en apprentissage: elles ont plongé de 13,2% au premier trimestre par rapport à la même période en 2014.
Certes la fin d'année est plus susceptible de voir le nombre de contrats signés augmenter mais c'est un véritable signal d'alarme, d'autant plus que ces entrées sont en baisse depuis plusieurs années (-8% en 2013, -3% en 2014) et la perspective d'atteindre l'objectif du gouvernement (500.000 apprentis en 2017) semble bien lointaine.

Pourquoi parler de l'alternance ? Parce que le principal problème aujourd'hui est celui de la qualification, et les débats sur le projet de réforme du collège le montrent bien : au delà de 1,5 SMIC (le salaire moyen), le taux de chômage en France est de 5% soit presque le plein emploi !
Oui mais voilà, 10% à 15% des jeunes arrivent en 6ème sans savoir lire (on ne parle même pas des autres fondamentaux) et ils sont 150.000 à sortir chaque année du système scolaire…sans rien.
A cet égard, nul doute qu'il y a besoin de mener une réflexion sur l'école au sens large, pas seulement sur le collège: une étude du collège de France a montré que à la fin de la maternelle, on sait déjà à 80% quels sont les élèves qui vont lâcher plus tard. Dans cette perspective, l'alternance constitue la voie royale pour permettre à ces jeunes d'acquérir des compétences afin de pouvoir mieux intégrer le marché de l'emploi.

Une étude intéressante sur le sujet
L'institut Montaigne a récemment publié une étude intéressante sur ce sujet de l'apprentissage.
S'intéressant particulièrement au modèle allemand, il dresse ce triple constat :
- Il y a 3 fois plus d'apprentis en Allemagne qu'en France.
- Le coût d'un apprenti est 3 fois plus élevé en France qu'en Allemagne (9000€ contre 3000€).
- Le taux de chômage des jeunes est 3 fois moins important outre-Rhin: 7,5% contre 23,8 dans l'Hexagone.

Même si les deux systèmes sont différents, ces chiffres sont relativement marquants et comme le montre le graphique ci-dessus, il est intéressant de prêter attention aux pays qui montrent des résultats convaincants; dans ces derniers, le lien entre apprentissage et emploi des jeunes semble bien établi.
Parmi les raisons du "succès" de l'apprentissage en Allemagne, Bertrand Martinot qui a conduit cette étude identifie plusieurs raisons : un système scolaire qui oriente les jeunes vers la voie professionnelle dès l'âge de 12 ans, une organisation plus claire, efficace en Allemagne avec une meilleur coopération entre acteurs.
C'est donc sans surprise que l'économiste encourage un changement en France avec des filières de pré-apprentissage dès le collège, une plus grande importance donnée aux régions et des contraintes juridiques allégées. C'est ainsi que Jean-Claude Bourrelier (PDG de Bricorama) déclarait également:  "Ainsi, non content d'augmenter chaque année les impôts, le gouvernement finit de démotiver les chefs d'entreprises avec des tracasseries administratives qui frisent la démence."

Des blocages à l'apprentissage

En France, les blocages sont plus larges et l'on peut dire que l'apprentissage est en crise: il souffre d'un problème de reconnaissance, étant considéré comme une "voie de garage" quand il est plus valorisé, au même titre que les métiers manuels en Allemagne où il représente un véritable accès à l'emploi. L'exemple de Jürgen Schrempp ancien patron de Daimler ayant commencé en tant que mécano-technicien est à ce titre assez emblématique. 
Outre ce problème culturel, il existe encore aujourd'hui une opposition entre l'école et l'entreprise, deux mondes qui n'arrivent pas à communiquer; trop de préjugés sont encore présents et l'entreprise qui est au coeur de l'économie (qui créé les emplois, la richesse, la croissance?) est souvent décriée. Un dispositif récent comme les emplois aidés développé par Francois Hollande et consistant à subventionner un emploi représente ainsi une concurrence indirecte aux contrats d'apprentissage.
Enfin, c'est aussi la responsabilité du chef d'entreprise de s'engager dans ce processus, de manière financière parce qu'il se peut que l'investissement (d'un apprenti) ne soit pas rentable mais également humainement pour former un jeune afin d'en faire un excellent collaborateur.

Il est malheureux que l'apprentissage au même titre que les politiques d'emploi soit aujourd'hui pris en otage dans des considérations politiques. On parle plus d'inverser la courbe du chômage, de commencer a avoir une ébauche de croissance, de respecter les règles de déficit pour lesquelles l'on s'est engagé que de vraiment prendre des initiatives afin d'améliorer durablement une situation plus qu'instable: on se bat sur des mots, les actions elles manquent.

Revaloriser ces métiers, les considérer comme une voie normale et non pas une voie d'excellence comme on peut souvent l'entendre dans les médias, appliquer une vraie stratégie, vision autour de cette thématique plutôt que de simplement ajuster des budgets en faisant comme si la question avait été réglée : voilà la démarche à suivre !
Une étude américaine a estimé que, d'ici 20 ans, 47% de nos métiers seront remplacés par des robots ou par une forme d'automatisation. Si l'on ajoute à cela la révolution numérique que nous sommes en train de vivre avec l'explosion du Big Data, ajuster les qualifications, nos capacités pour répondre aux besoins de l'économie et aux emplois de demain sera une nécessité. Les challenges sont énormes.

L'apprentissage sera-t-il la solution à tout cela ? Certainement pas totalement mais il contribuera largement à ajuster, à équilibrer "l'offre et la demande".
Encourager l'apprentissage, c'est donner une chance à tous quand l'école de la République est aujourd'hui championne des inégalités scolaires, c'est dire à la jeunesse que l'on croit en elle et qu'on lui fait confiance. A ce titre, le dernier ouvrage de Philippe Dessertine a vu juste : "En tout espoir de cause, le monde de demain a déjà commencé".


Note: Apprentissage ou Alternance ?
En réalité, ces notions recouvrent une même réalité: on parle d'apprentissage en général et l'on identifie deux types de contrat : le contrat d'apprentissage et le contrat de professionnalisation. Le premier relève de la formation initiale tandis que le second se déroule dans le cadre d'une formation continue. Les autres différences relèvent de considérations plus techniques.

1 commentaire:

  1. Article intéressant !
    Il parait évident que l'ignorance réciproque entre le monde de l'entreprise et le monde de l'école est la source d'une fragilité structurelle de la France. L'école forme de façon "académique" pour le bien du jeune quand le monde du travail a besoin d'agent performants et innovants. L'entreprise vise la rentabilité à travers l'efficacité et néglige le développement des personnes. Relier les deux logiques est à la fois urgent et impossible à réaliser rapidement, parce que les résistances ne sont pas techniques mais culturelles (y compris idéologiques).

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