De quoi parle-t-on ?
Le dossier qui électrise la classe politique en ce moment porte un nom: "Le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques" plus communément appelé "Loi Macron" et porté par Emmanuel Macron, ministre de l'économie.
Résumer cette loi est un exercice périlleux puisque elle couvre un nombre important de sujets mais on peut dire qu'il s'agit de stimuler et de débloquer l'économie française pour faire revenir la croissance.
Loi "fourre-tout" pour les uns, trop libérale pour les autres, elle prévoit notamment de s'attaquer à certains sujets comme l'encadrement des professions réglementées (notaires, huissiers, avocats), la déréglementation du marché des autocars, l'ouverture des magasins le dimanche, l'accélération des procédures prud'homales ou encore certaines privatisations comme celles des aéroports de Nice et Lyon.
La loi Macron en BREF: près de 200 heures de débat durant lesquelles le ministre a (et c'est un fait rare) toujours été présent, plus de 1700 amendements déposés, 200 articles.
Un chemin tortueux
Le jeune ministre de l'économie (37 ans) n'imaginait sûrement pas que sa loi qui s'inscrit dans la volonté de l'exécutif de réformer susciterait autant de réactions. En effet, elle fut critiquée de toute part (FN, Verts, UMP, PS, radicaux de gauche), la question du travail le dimanche cristallisant les tensions notamment chez les socialistes.
L'exécutif craignant que la loi soit rejetée au parlement faute d'une majorité a donc été contraint d'utiliser l'article 49 alinéa 3 de la constitution qui permet de faire valider un projet de loi…sans vote.
Manuel Valls a ainsi dû engager la responsabilité de son gouvernement en attendant de voir si la motion de censure (sorte de contre-texte) proposée par l'UMP-UDI serait acceptée par les députés.
Au final, seuls 234 députés ont voté cette motion (289 voix étaient nécessaires): la loi Macron a donc été adoptée.
Non ce n'est pas la loi du siècle
Le président de la République a clairement fait comprendre lors de sa dernière conférence de presse qu'il n'y aurait pas d'après Loi Macron signifiant la fin des réformes économiques alors que les élections départementales arrivent dès le mois de Mars.
Il s'agit ensuite d'être lucide: non, la Loi Macron n'est pas une réforme majeure, non la loi Macron ne va pas relancer l'activité économique, non la loi Macron n'est pas à la hauteur des enjeux économiques actuels dans une France qui compte près de 3,5 millions de chômeurs et une dette publique de plus de 2.000 milliards d'euros (95,2% du PIB).
D'autant plus que Emmanuel Macron a dû faire des concessions notamment envers les notaires qui se sont montrés très mécontents du texte initial, ou encore sur les ouvertures dominicales des magasins où les maires seront bien plus libres que prévu pour accorder des autorisations (ou pas).
Un triste spectacle
Au delà du contenu de cette loi, l'attitude de la classe politique dans cette affaire est à déplorer: par idéologie et absence de sens des responsabilités, la droite n'a pas voulu voter une loi qu'il aurait pu proposer quelques années plus tôt, la gauche et ses "frondeurs", eux, ont préféré se désolidariser de la majorité.
Recourir au 49-3 (qui n'avait pas été utilisé depuis 2006) pour voter une loi qui n'aura que très peu d'impact sur l'activité et qui était de surcroît soutenue par plus de 60% des français reflète les difficultés de faire bouger les lignes dans notre pays: les français lors des évènements tragiques du mois de janvier ont montré qu'ils pouvaient se lever tous ensemble et ce malgré des divergences d'opinion, qu'ils étaient prêts: la classe politique ne semble pas avoir compris le message.
Verre à moitié plein, à moitié vide
Certes cette loi n'était pas parfaite, certes on pouvait rêver de mieux de plus d'ambition, d'une vraie réforme qui apporte des réponses structurelles à des problèmes structurels: alors oui, on voit mal comment l'ouverture de lignes d'autocars peut suffire à contrer la spirale du chômage ou à relancer l'activité même si cela représente une excellente initiative. Mais cette Loi Macron a le mérite d'exister, et indiquant une volonté de réformer, commence à apporter des solutions.
Qui aurait pu, il y a quelques mois de cela, imaginer un ministre socialiste dire: "J'aime l'entreprise" comme il l'a fait aux dernières universités d'été du MEDEF ? Qui aurait pu imaginer la gauche française capable de proposer un tel texte étiqueté comme "libéral" ?
Il y a donc depuis quelques temps une dynamique très intéressante et elle mérite d'être soulignée même si il ne faut pas s'en contenter.
Pourquoi en est-on arrivé là ?
Il existe (au moins) un problème de fond à tout cela et il est lié à l'élection du Président de la République. Il ne s'agit bien évidemment pas de remettre en cause le suffrage universel mais la question suivante mérite réflexion: comment peut-on réaliser des réformes, qu'elles soient sociales, économiques quand on n'a pas été élu dessus, quand on a pas de mandat clair, précis ?
Comme l'a bien dit bien Denis Payre cette semaine, "en se faisant élire sur un programme A, on ne peut pas mettre en oeuvre un programme B situé à 180 degrés": le gouvernement actuel en fait l'expérience. Sans majorité, sans cap, avec une légitimité contestée, il est difficile de gouverner.
Contrairement au chancelier Allemand qui est élu sur un vrai programme issu d'une éventuelle négociation avec un autre parti dans le but de former une coalition, l'élection présidentielle française fonctionne bien différemment. La démagogie, l'absence de vision, d'ambition et de courage, l'opposition systématique ont pris place si bien que l'on fait désormais des réformes plus pour faire plaisir à la commission européenne que par souci de transformer en profondeur la France.
1, 2, 3 concluons
Plusieurs conclusions peuvent dès lors être tirées: tout d'abord la France a vu l'émergence d'un jeune ministre de l'économie talentueux et courageux capable de faire bouger des lignes, de porter un discours cohérent qui va dans le bon sens.
Ensuite, le gouvernement a voulu taper fort sur une réforme de second ordre comme nous l'avons dit et l'usage du 49-3 semble inquiétant: cela n'augure rien de bon pour d'autres réformes comme celles de la santé, de la formation professionnelle ou encore de la réforme territoriale qui seront autrement plus sujet à polémiques.
Enfin, compte tenu de l'alignement des planètes évoqué dans mon dernier article (chute pétrole, euro, taux faibles), la croissance va vraisemblablement revenir en France avec une prévision de 1% en 2015. Pour rappel, elle était de 0,4% en 2014, contre 1,5% pour notre voisin allemand.
Bonne nouvelle ? Pas sûr: la France n'a réglé aucun de ses problèmes structurels et bénéficiant seulement de ces facteurs exogènes pourrait être tentée de dire: "Regardez, nous avons fait les réformes et la croissance revient". Une incitation à ne pas réformer ?
"Nous continuerons sans relâche à réformer avec tous les moyens que donne la Constitution. Sans faiblir, nous continuerons à avancer" Manuel Valls
Utilisable une seule fois par session parlementaire (hors texte budgétaire), l'article 49 alinéa 3 de la constitution ne pourra plus être utilisé mais l'exécutif dispose d'autres outils comme le vote bloqué (Article 44-3) en cas de difficultés à faire consensus au Parlement.
Le discours volontaire de Manuel Valls sera-t-il suivi d'effet ? Monsieur le Premier Ministre, montre-nous un cap et engagez ces réformes: la France, elle, est prête depuis un moment: elle vous suivra.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire