François Hollande accompagné de Jean-Yves le Drian (ministre de la Défense), Laurent Fabius (ministre des Affaires Etrangères) ainsi qu'une large délégation française vont s'envoler ce lundi à Doha, et il ne s'agit pas d'une simple visite de courtoisie. Des avions sont à l'honneur.
C'est ce Jeudi que la bonne nouvelle a été confirmée, l'Elysée publie un communiqué sur son site internet annonçant que le Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar, "a confirmé son souhait de voir son pays acquérir 24 avions de combat Rafale". Bonne nouvelle ? Mais de quoi parle-t-on ?
L'avion Rafale qui se décline en 3 versions est un avion de combat français produit par l'avionneur Dassault et dont la conception remonte à la fin des années 80 avec le lancement du programme en 1988. Inauguré lors d'un vol d'essai en 1991, il s'agit d'un appareil polyvalent pouvant se lancer depuis une base terrestre ou un porte-avion; il peut réaliser tout type de missions, de la protection à l'attaque en passant par la reconnaissance, avec une capacité d'effectuer des frappes nucléaires.
Un avion qui ne décolle pas
Ce qui devait représenter la fierté de la France, l'emblème du pays n'a en réalité pas été une grande réussite durant des années. Au début du programme, l'armée française fixe à 286 le nombre d'appareils dont elle a besoin pour mener à bien ses opérations, espérant que les exportations allaient également suivre. Malheureusement, c'est un scénario catastrophe qui se dessine avec, d'un côté des échecs successifs avec des partenaires étrangers (Singapour, Brésil, Pays-Bas, Suisse) et de l'autre des difficultés financières pour le ministère de la défense qui ont entraîné des réductions dans les commandes. Ainsi, des 286 appareils initialement prévus par l'armée à horizon 2030 ne restent qu'une commande de 225 avions (soit une économie de 6 milliards €): à ce jour 141 ont été livrés.
C'est donc un double échec pour cet avion qui non seulement ne se vend pas auprès de nos partenaires -notamment en raison de son prix élevé- mais oblige également l'Etat français à dépenser beaucoup d'argent pour soutenir ce programme à prix fort puisque ce sont surtout les clients étrangers qui négocient un prix plus faible.
Avec ces commandes, les lignes d'assemblage devraient tourner jusqu'en 2019. L'avion est actuellement produit à 60% par Dassault, à 22% par Safran et à 18% par le motoriste Snemca ainsi que par environ 500 sous-traitants pour un total de 7000 personnes employées. Si l'Aquitaine est en première ligne puisque c'est là que sont assemblés les avions, les emplois sont répartis dans toute la France.
L'armée, un secteur affecté
Avant de continuer, plongeons nous quelques instants au plein coeur de l'Armée française.
La programmation du budget alloué à l'Armée est annoncée à travers une loi de programmation militaire (LPM) dont la dernière remonte à l'année 2013, et ce pour la période 2014-2019. L'objectif principal de cette dernière LPM était de maintenir les ambitions de la France en matière militaire tout en effectuant des économies importantes: 750 millions d'euros sur le budget et 34.000 suppressions d'emplois.
Vous n'êtes pas sans ignorer que la présence française dans les opérations extérieures (OPEX) est considérable avec près de 9.000 hommes engagés principalement en Afrique et au Moyen-Orient. Outre le fait qu'il apparaisse paradoxal d'annoncer d'un côté des réductions d'effectifs tout en voulant s'engager militairement sur d'autres terrains d'opération, ces Opex sont très coûteuses: le budget inscrit dans la LPM est d'environ 500 millions d'euros pour chacune de ces opérations quand leur coût réel est plus de deux fois supérieur.
C'est donc une difficulté financière palpable à laquelle fait face l'armée, le délégué général pour l'armement déclarait ainsi il y a tout juste un mois en commission des finances que le ministère de la Défense n'arrivait plus à payer ses fournisseurs et avait cessé les paiements en Octobre 2014.
La réalité du terrain est encore plus compliquée avec un matériel vieillissant, inadapté et largement insuffisant comme me le confiait récemment un militaire. La situation est donc tendue comme le déclarait le chef d'Etat major l'année dernière: "Il n'y a plus de gras dans nos armées, on attaque le muscle. C'est mon devoir de vous le dire" et cela a un impact sur le moral des troupes.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si on surnomme l'armée "La grande muette"; avec ce devoir de réserve auquel sont soumis les militaires et qui les transforme parfois, contre leur gré, en variables d'ajustement des économies budgétaires que le gouvernement doit réaliser.
Une actualité récente
Dernièrement, ce sont évidemment les attentats qui ont eu lieu en Janvier à Paris qui ont affecté le secteur de la Défense avec un déploiement sans précédent de militaires, 10.000 hommes et femmes au total mobilisés en 48h sur tout le pays. Une prouesse qui a pour objectif de protéger la population dans le cadre du plan vigipirate et de l'opération "Sentinelles" qui coûte 1 million d'euros par jour.
Cette semaine, François Hollande a également dû réaliser un arbitrage lors d'un conseil de Défense extraordinaire. Malgré les contraintes budgétaires importantes, il a décidé d'allouer une enveloppe supplémentaire de 3,8 milliards d'euros à l'Armée sur la période 2016-2018 pour faire face aux besoins urgents rencontrés. De la même manière, 18.500 des 34.000 emplois qui devaient initialement être supprimés vont être finalement sauvegardés.
La bonne nouvelle des rafales
D'après la dernière loi de programmation militaire, la France devait réussir à vendre 40 avions Rafale d'ici 2019 afin de ne pas mettre en danger les revenus du ministère. Ce n'était pas un mince objectif puisque l'avion n'avait jamais encore été vendu à l'export jusque là.
Il faut croire que le travail du ministère de la défense emmené par un Jean-Yves le Drian a porté ses fruits puisque depuis le début de l'année, pas moins de 3 contrats ont été conclus, après…30 ans de disette !
C'est l'Egypte qui a débloqué le compteur en commandant 24 avions en début d'année suivie par l'Inde qui a annoncé une commande de 36 rafales (avant des négociations ultérieures) et enfin le Qatar cette semaine qui a annoncé un accord autour de 24 appareils pour un contrat de 6,4 milliards d'euros. Une réussite inouïe pour un avion qui est (forcément) présenté comme le meilleur du marché par le patron de Dassault Eric Trappier.
Liée aux besoins respectifs de ces pays, la réussite actuelle du Rafale est aussi due aux bonnes relations diplomatiques entretenues par ces nations avec la France par rapport à d'autres pays comme les Etats-Unis d'où provient le concurrent principal, Boeing avec ses modèles F-15, F-18, à la pugnacité de Jean-Yves le Drian qui a effectué pas moins d'une demi douzaine de déplacements au Qatar depuis le début de l'année. Enfin, le déclenchement du premier contrat avec l'Egypte aidé à convaincre les pays qui hésitaient encore à acquérir cet avion. Une histoire de confiance.
C'est donc une bonne nouvelle pour l'entreprise Dassault Aviation, pour le ministère de la Défense et la France en général: on estime ainsi que plusieurs milliers d'emplois vont être créés dans les années à venir afin de doubler les capacités de production pour répondre à la demande; jusqu'à présent, seulement 11 avions par an étaient assemblés. On observera donc une activité Rafale jusqu'en 2065 puisque l'avion, qui sera livré jusqu'en 2025 a une durée de vie de 40 ans.
Avec également 50 hélicoptères en voie d'être vendus en Pologne et peut-être des perspectives pour le Rafale aux Emirats ou en Malaisie, c'est une année faste pour les exportations françaises d'armement qui devraient pour la première fois dépasser les achats de matériel. Avec un total de 12 à 18 milliards d'euros de contrats, la France se rapprocherait de la Russie qui occupe la deuxième place mondiale pour la vente d'armes, à 18 milliards d'euros loin derrière les Etats-Unis qui exportent plus de 60 milliards d'euros chaque année.
Pour la France, les chiffres des contrats, les retombées économiques arriveront plus tard mais ce n'est pas le plus important. Aujourd'hui on peut dire que l'on s'arrache le rafale, ce n'était pas gagné d'avance.
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