jeudi 26 février 2015

Facebook-city: retour vers le futur ? #15

Un seul article du Daily Mail (deuxième quotidien britannique) a suffit hier a déclencher une vague d'hystérie médiatique à l'échelle mondiale. La raison ? Le projet de "Ville-Facebook" que Mark Zuckerberg serait en train de préparer.

Frank Gehry (gauche) et Marc Zuckerberg (droite) en plein discussion, ou communication ?

Qui n'a jamais entendu parler du paternalisme dans ses cours d'histoire ? Développé dans la seconde moitié du XIXème siècle en France avec des entreprises familiales comment Michelin à Clermont-Ferrand ou Peugeot à Sochaux, ce concept très populaire voyait le patron s'occuper de tous les aspects de la vie des ses salariés, du logement à l'éducation en passant par les loisirs: une révolution pour l'époque.

Un projet "all included"

A la Genèse de cette histoire, on a tout d'abord appris que pour 400 millions de dollars, l'entreprise californienne avait acquis un terrain de 22 hectares qui s'ajoute aux 60 hectares déjà détenus.
C'est sur ce terrain que le fondateur de Facebook aurait décidé de créer une véritable "ville-Facebook", déjà surnommée "Zee-town" aux Etats-Unis.
Ce projet fou estimé à plus de 200 milliards de dollars soit l'équivalent de la capitalisation boursière du groupe- même si les chiffres sont encore approximatifs - serait en marche puisque Marc Zuckerberg aurait déjà fait appel à un des architectes les plus renommés au monde avec Frank Gehry.
Ce projet s'inscrit dans la droite lignée de ce qui se fait déjà en Silicon Valley avec des entreprises comme les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) notamment qui offrent des services de très haute qualité pour le bien-être de leurs salariés, au sein de véritables campus à l'image de celui qui est en train d'être construit par Google à Mountain View.

Dans une ville vraisemblablement ultra-connectée où l'on trouvera hôtels, parcs et supermarchés, les 10.000 salariés de Facebook accompagnés de leur famille seront logés dans des villas (pour les cadres) ou dans des logements plus classiques pour les salariés et stagiaires.

La Silicon Valley, un univers à part

Située sur la baie de San Fransisco, la Silicon Valley est la région emblématique des nouvelles technologies, un écosystème de rêve, un véritable eldorado pour les jeunes entrepreneurs aujourd'hui.  Avec une concentration de talents au sein de ces entreprises, on assiste également à une inflation des prix: ainsi, le salaire moyen s'élevait en 2014 à près de 300.000$ par an !
Le marché de l'immobilier a lui aussi vu une augmentation des prix de 50% sur les 5 dernières années: vous devrez compter 1 million de dollars pour acquérir un logement…une pièce comme l'expliquait à BFM Business l'entrepreneur Loïc le Meur confirmant au passage la théorie selon laquelle plus un bien est rare, plus il devient cher.
Outre ce problème existentiel du logement, on compte également 1h30 pour traverser la Silicon Valley qui est en réalité une bande de 30 kilomètres !

En toile de fond: deux thématiques

Facebook et son fondateur veulent par ce projet être les précurseurs de la ville du futur en agissant sur deux leviers: le bien-être au travail et la ville intelligente.
Tout d'abord, le bien-être et le bonheur au travail qui sont des thématiques plus que d'actualité aujourd'hui: qui n'a pas en tête la façon dont Google s'occupe de ses salariés ou encore la manière avec laquelle Laurence Vanhée a instauré la "Happy performance" au sein du ministère Belge de la sécurité sociale avec des résultats impressionnants.
Au delà de tout cela, c'est en réalité une aspiration à redonner du sens à un travail qui est devenu invisible - comme l'explique si bien Pierre-Yves Gomez dans son livre - qui s'exprime: une envie de prendre du plaisir, d'exprimer son talent, de mener à bien des projets que des entreprises comme Facebook et Google ont a coeur d'intégrer, avec un enjeu de productivité sous-jacent.
Ensuite, on a tous entendu parler de la "Smart City", cette ville de demain, intelligente, durable et connectée grâce au numérique qui va permettre de répondre aux enjeux de croissance des populations, de performance énergétique et de qualité de vie. De nombreux voient notamment le jour en France.

"Zee-City", véritable laboratoire ?

Marc Zuckerberg désire donc combiner ces deux aspects en voulant aller plus loin ce qui rend la comparaison avec le système paternaliste assez pertinente. Personne ne s'en cache, l'objectif de ce projet est de vivre Facebook, dormir Facebook, manger et se distraire Facebook et enfin penser Facebook.
Faciliter la vie de ses salariés certes, mais aussi mener une expérimentation à taille humaine de la ville du futur pour la 16ème fortune mondiale: en effet, les réseaux de données de ces villes connectées vont être un enjeu crucial pour des entreprises comme Google ou Facebook: mettre la main sur ces données représente une manne potentielle géante pour ces géants qui pourront utiliser toutes les informations collectées pour offrir des services sur mesure, dans la lignée de ce qui se fait déjà aujourd'hui grâce à internet.

Marc Zuckerberg déteste que l'on s'intéresse à sa vie privée: il ne manque pourtant pas d'ambitions pour ce projet

Le paradoxe d'un projet sans commune mesure

Cette "Ville-Facebook" revêt un caractère fascinant, c'est indéniable: projet disruptif par excellence, il peut représenter un idéal pour des générations qui baignent dans l'univers des nouvelles technologies, qui ont grandi avec Facebook, Twitter et Apple et & Cie.
Cependant, il s'agit de ne pas être naïf: des entreprises comme Facebook ou Google font figure de "Big Brother" disposant à ce jour d'une quantité d'informations impressionnante sur nous: le risque d'une atteinte à la vie privée, aux droits fondamentaux des personnes est réel et il ne faut pas le négliger. Derrière le mirage, l'hypnose il s'agit de garder une certaine dose de lucidité.
En effet, à quel point Facebook aura-t-il le contrôle sur ses employés avec cette nouvelle ville ? Ne risque-t-on pas d'arriver à un niveau d'aliénation inquiétant, à un point de non retour ? Ce projet marque-t-il la mort définitive du concept de vie privée à l'heure ou il est déjà bien mis à mal ? Doit-on laisser des entreprises comme Facebook ou Google être bien plus puissantes que certains Etats ?

Nous voyons bien que derrière ce projet séduisant surgissent des questions importantes et intéressantes. On peut se demander si ce projet engagé par Marc Zuckerberg n'est pas en train de définitivement marquer une nouvelle ère des relations employeurs employés dans une sorte de paternalisme du XXIème siècle.
En tout cas ce projet et toutes les avancées tant sur le point des conditions de travail que de l'invention des villes de demain qu'il sous-tend sont vraiment passionnants et, comme souvent, l'entrepreneur est au coeur de la transformation de l'éco-système.

samedi 21 février 2015

La Loi Macron: le paradoxe Français #14

Si l'on ne sait toujours pas vraiment quoi mettre derrière l'esprit du 11 Janvier, on peut affirmer sans trop d'hésitation qu'il est déjà bien loin. Le politique et l'économique sont bien liés, la Loi Macron l'a encore démontré. La France elle reste immobile, paralysée.



De quoi parle-t-on ?

Le dossier qui électrise la classe politique en ce moment porte un nom: "Le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques" plus communément appelé  "Loi Macron" et porté par Emmanuel Macron, ministre de l'économie.
Résumer cette loi est un exercice périlleux puisque elle couvre un nombre important de sujets mais on peut dire qu'il s'agit de stimuler et de débloquer l'économie française pour faire revenir la croissance.
Loi "fourre-tout" pour les uns, trop libérale pour les autres, elle prévoit notamment de s'attaquer à certains sujets comme l'encadrement des professions réglementées (notaires, huissiers, avocats), la déréglementation du marché des autocars, l'ouverture des magasins le dimanche, l'accélération des procédures prud'homales ou encore certaines privatisations comme celles des aéroports de Nice et Lyon.

La loi Macron en BREF: près de 200 heures de débat durant lesquelles le ministre a (et c'est un fait rare) toujours été présent, plus de 1700 amendements déposés, 200 articles.

Un chemin tortueux

Le jeune ministre de l'économie (37 ans) n'imaginait sûrement pas que sa loi qui s'inscrit dans la volonté de l'exécutif de réformer susciterait autant de réactions. En effet, elle fut critiquée de toute part (FN, Verts, UMP, PS, radicaux de gauche), la question du travail le dimanche cristallisant les tensions notamment chez les socialistes.
L'exécutif craignant que la loi soit rejetée au parlement faute d'une majorité a donc été contraint d'utiliser l'article 49 alinéa 3 de la constitution qui permet de faire valider un projet de loi…sans vote.
Manuel Valls a ainsi dû engager la responsabilité de son gouvernement en attendant de voir si la motion de censure (sorte de contre-texte) proposée par l'UMP-UDI serait acceptée par les députés.
Au final, seuls 234 députés ont voté cette motion (289 voix étaient nécessaires): la loi Macron a donc été adoptée.

Non ce n'est pas la loi du siècle

Le président de la République a clairement fait comprendre lors de sa dernière conférence de presse qu'il n'y aurait pas d'après Loi Macron signifiant la fin des réformes économiques alors que les élections départementales arrivent dès le mois de Mars.
Il s'agit ensuite d'être lucide: non, la Loi Macron n'est pas une réforme majeure, non la loi Macron ne va pas relancer l'activité économique, non la loi Macron n'est pas à la hauteur des enjeux économiques actuels dans une France qui compte près de 3,5 millions de chômeurs et une dette publique de plus de 2.000 milliards d'euros (95,2% du PIB).
D'autant plus que Emmanuel Macron a dû faire des concessions notamment envers les notaires qui se sont montrés très mécontents du texte initial, ou encore sur les ouvertures dominicales des magasins où les maires seront bien plus libres que prévu pour accorder des autorisations (ou pas).

Un triste spectacle

Au delà du contenu de cette loi, l'attitude de la classe politique dans cette affaire est à déplorer: par idéologie et absence de sens des responsabilités, la droite n'a pas voulu voter une loi qu'il aurait pu proposer quelques années plus tôt, la gauche et ses "frondeurs", eux, ont préféré se désolidariser de la majorité.
Recourir au 49-3 (qui n'avait pas été utilisé depuis 2006) pour voter une loi qui n'aura que très peu d'impact sur l'activité et qui était de surcroît soutenue par plus de 60% des français reflète les difficultés de faire bouger les lignes dans notre pays: les français lors des évènements tragiques du mois de janvier ont montré qu'ils pouvaient se lever tous ensemble et ce malgré des divergences d'opinion, qu'ils étaient prêts: la classe politique ne semble pas avoir compris le message.

Verre à moitié plein, à moitié vide

Certes cette loi n'était pas parfaite, certes on pouvait rêver de mieux de plus d'ambition, d'une vraie réforme qui apporte des réponses structurelles à des problèmes structurels: alors oui, on voit mal comment l'ouverture de lignes d'autocars peut suffire à contrer la spirale du chômage ou à relancer l'activité même si cela représente une excellente initiative. Mais cette Loi Macron a le mérite d'exister, et indiquant une volonté de réformer, commence à apporter des solutions.
Qui aurait pu, il y a quelques mois de cela, imaginer un ministre socialiste dire: "J'aime l'entreprise" comme il l'a fait aux dernières universités d'été du MEDEF ? Qui aurait pu imaginer la gauche française capable de proposer un tel texte étiqueté comme "libéral" ?
Il y a donc depuis quelques temps une dynamique très intéressante et elle mérite d'être soulignée même si il ne faut pas s'en contenter.

Pourquoi en est-on arrivé là ?

Il existe (au moins) un problème de fond à tout cela et il est lié à l'élection du Président de la République. Il ne s'agit bien évidemment pas de remettre en cause le suffrage universel mais la question suivante mérite réflexion: comment peut-on réaliser des réformes, qu'elles soient sociales, économiques quand on n'a pas été élu dessus, quand on a pas de mandat clair, précis ?
Comme l'a bien dit bien Denis Payre cette semaine, "en se faisant élire sur un programme A, on ne peut pas mettre en oeuvre un programme B situé à 180 degrés": le gouvernement actuel en fait l'expérience. Sans majorité, sans cap, avec une légitimité contestée, il est difficile de gouverner.

Contrairement au chancelier Allemand qui est élu sur un vrai programme issu d'une éventuelle négociation avec un autre parti dans le but de former une coalition, l'élection présidentielle française fonctionne bien différemment. La démagogie, l'absence de vision, d'ambition et de courage, l'opposition systématique ont pris place si bien que l'on fait désormais des réformes plus pour faire plaisir à la commission européenne que par souci de transformer en profondeur la France.

1, 2, 3 concluons

Plusieurs conclusions peuvent dès lors être tirées: tout d'abord la France a vu l'émergence d'un jeune ministre de l'économie talentueux et courageux capable de faire bouger des lignes, de porter un discours cohérent qui va dans le bon sens.
Ensuite, le gouvernement a voulu taper fort sur une réforme de second ordre comme nous l'avons dit et l'usage du 49-3 semble inquiétant: cela n'augure rien de bon pour d'autres réformes comme celles de la santé, de la formation professionnelle ou encore de la réforme territoriale qui seront autrement plus sujet à polémiques.
Enfin, compte tenu de l'alignement des planètes évoqué dans mon dernier article (chute pétrole, euro, taux faibles), la croissance va vraisemblablement revenir en France avec une prévision de 1% en 2015. Pour rappel, elle était de 0,4% en 2014, contre 1,5% pour notre voisin allemand.

Bonne nouvelle ? Pas sûr: la France n'a réglé aucun de ses problèmes structurels et bénéficiant seulement de ces facteurs exogènes pourrait être tentée de dire: "Regardez, nous avons fait les réformes et la croissance revient". Une incitation à ne pas réformer ?

"Nous continuerons sans relâche à réformer avec tous les moyens que donne la Constitution. Sans faiblir, nous continuerons à avancer" Manuel Valls 


Utilisable une seule fois par session parlementaire (hors texte budgétaire), l'article 49 alinéa 3 de la constitution ne pourra plus être utilisé mais l'exécutif dispose d'autres outils comme le vote bloqué (Article 44-3) en cas de difficultés à faire consensus au Parlement.

Le discours volontaire de Manuel Valls sera-t-il suivi d'effet ? Monsieur le Premier Ministre, montre-nous un cap et engagez ces réformes: la France, elle,  est prête depuis un moment: elle vous suivra.