Si les mutations de notre économie sont nombreuses, les questions du progrès réellement engendrés et de notre capacité à les intégrer demeurent.
Mesurer la valeur des choses : plus si facile que cela. |
La constitution du prix
En économie, il existe plusieurs manières de déterminer le prix d'un bien. De manière générale et dans un marché parfait, le prix est fonction de la demande, ce qui signifie qu'elle réagit aux variations de celui-ci. Plus le prix d'un bien est élevé et plus la demande sera faible, ce qui est généralement le cas pour les "biens de luxe".
De la même manière, si votre boulanger fixe le prix de sa baguette de pain à 5€, il est probable que l'effet sur sa clientèle habituelle se fasse rapidement ressentir.
Dans la réalité, le prix des biens varie en fonction d'un certain nombre d'indicateurs dont le principal est généralement le coût. Le prix d'un bien reflète en effet en grande partie la valeur de ce bien et donc ce qu'il a coûté. On nomme cela le "coût de revient" qui soustrait au prix de vente équivaut à la marge dégagée. Ce principe est néanmoins à nuancer avec la puissance des marques qui nous fait acheter bien plus que des produits ; elles nous vendent une histoire, une image comme c'est le cas d'Apple par exemple. C'est la force du marketing.
Au-delà des logiques comptables, on observe que la valeur des biens et services est également guidée par une relation de confiance. Ainsi vous n'achèterez pas un bien si vous ne croyez pas qu'il est de bonne qualité par exemple. La confiance et la stabilité sont au-delà des aspects techniques, cruciaux en économie et ce sont d'ailleurs deux paramètres qui ont du mal a être considérés comme tels par les dirigeants politiques, dont les décisions fluctuent au grès des évènements.
Un monde qui s'accélère
Il faut pour bien comprendre la problématique du prix et de la valeur des choses l'inscrire dans un contexte. Nous avons déjà évoqué le sujet dans plusieurs articles mais nous vivons une accélération sans précédent de notre éco-système (au sens large) appuyée par la révolution numérique en cours et celle des NBIC (Nano-technologies, Biologie, Informatique et Cognitive) qui ne fait que débuter. Elle est à la fois très vertueuse et déstabilisatrice tant elle remet en cause nos conceptions de la société, du rapport aux autres, du travail.
Qui pouvait imaginer il y a encore quelques années un monde qui ne trouve pas la croissance ? Une fin certes illusoire à ce jour mais annoncée du salariat pour le travail indépendant ? Une économie collaborative qui se développe de façon exponentielle ? Une automatisation des voitures qui se précise de mois en mois ?
Ces révolutions ne doivent cependant pas se faire sans une approche responsable au risque de complètement diviser les peuples en deux camps : ceux qui auront les moyens d'évoluer en compétence, de s'adapter rapidement, de payer peut-être pour profiter des progrès technologiques afin de vivre plus longtemps et ceux qui seront laissés pour compte, incapables de profiter de cette "révolution".
C'est donc inéluctable : tout s'accélère ! L'ère médiatique nous fait rentrer dans une instantanéité qui coupe bien souvent l'herbe sous le pied de ceux qui pensent encore qu'une réflexion approfondie est possible. Les débats politiques actuels en France ne sauront montrer le contraire. Aujourd'hui, on parle vite, on réagit vite, on produit vite, on construit vite, on consomme vite, on détruit vite. Mais le fait-on mieux ?
Pour l'instant, l'homme feint de suivre mais ne nous faisons pas d'illusions ; avec la révolution des NBIC à venir, sans contrôle ni réflexion éthique il sera bien loin de cet état où il semble actuellement "profiter".
La guerre des prix
C'est alors que nous revenons à la question de la valeur des choses qui ne peut être abordée qu'a l'aune de l'époque dans laquelle nous vivons. S'il peut être influencé par le niveau de la demande, par la marque comme nous l'avons vu, le prix peut également l'être par le consommateur.
Nous observons une tendance déflationniste (baisse générale des prix) assez marquée dans bon nombre de secteurs tels que la vente à distance, l'agro-alimentaire et les produits de grande consommation : la guerre des prix fait rage !
Aujourd'hui vous trouverez insupportable de payer des frais de port, un forfait de téléphone à prix coûteux, d'attendre pour recevoir une commande, bref de ne pas pouvoir faire ce que vous voulez dans le temps (souvent très court) que vous avez fixé et au prix (souvent très faible) que vous avez décidé.
Les nouvelles plate-formes, l'économie du numérique et l'internet participent à brouiller les frontières entre le payant et le gratuit.
Les nouvelles plate-formes, l'économie du numérique et l'internet participent à brouiller les frontières entre le payant et le gratuit.
Ce mode de pensée consumériste est pour moi une aberration, conséquence d'une méconnaissance économique profonde et d'un manque de cohérence. Elle procède d'une vision très "court-termite" et étroite de la réalité négligeant la totalité de la chaine de valeur. Certaines grandes organisations s'engouffrent dans ces brèches en produisant à perte comme c'est le cas d'Uber qui a perdu 1 milliard de dollars sur les six premiers mois de l'année de par son activité (mais qui bénéficie de beaucoup d'apport en capital) ou encore d'Amazon dont la rentabilité est très faible voire inexistante.
Lien entre consommateur et producteur
Alors ces évolutions sont une bonne et une mauvaise nouvelle. Une baisse des prix peut être le signe d'une concurrence saine car quand plusieurs acteurs évoluent sur un marché, le prix tend à se fixer en fonction de l'offre et de la demande. La fin des prix élevés dans la téléphonie a été rendue possible en France avec l'arrivée d'un nouvel acteur, Free, sur le marché.
De l'autre côté, la baisse des prix si elle n'est pas justifiée peut s'avérer très dangereuse, une sorte d'illusion des temps modernes qui nous fait déconsidérer, in fine, la valeur des biens et des choses !
En terme de macro-économie, on peut parler de ce sujet à propos de la création monétaire qui, dopée par les banques centrales (BOJ, FED, BCE) produit une masse d'argent sans précédent déversée dans le système monétaire (à défaut d'atteindre l'économie réelle) et qui, dans un mouvement de fuite en avant, participe à faire perdre à ces monnaies leur valeur.
La valeur des choses est également dévoyée dans le trading à haute fréquence (THF) où les traders échangent (ou spéculent) des titres toutes les microsondes, bien loin encore une fois de la réalité de l'économie que vous voyez comme moi.
L'accélération est donc avérée, mais ces réflexions visent à questionner son caractère vertueux et à regarder les choses de manière très pragmatique. Il est difficile dans le débat public de poser une réflexion qui ne va pas dans le sens du consensus sans être taxé de rétrograde. Le libéralisme s'accomoderait-il de la liberté de penser ? Regardez plutôt.
On entend souvent dire que dans la mondialisation, pour qu'il y ait un vainqueur il faut un perdant. Prenons un exemple à l'échelle nationale et donc macro-économique. Si vous avez un commerce extérieur déficitaire comme en France (à 45 milliards d'euros en 2015), cela signifie que vous importez plus que vous exportez ; pour cela il faut que quelqu'un d'autre soit excédentaire. C'est le cas de l'Allemagne qui était en excédent de...248 milliards d'euros sur la même période !
Cette comparaison a vocation à montrer que, de la même manière, la baisse des prix et la chasse aux coûts, si elle fait des vainqueurs fait aussi des perdants même si nous ne le voyons pas (naïveté) ou ne le disons pas (hypocrisie).
C'est ainsi que Nicolas Arpagian portait une analyse intéressante dans les colonnes des Echos cette semaine :
"A déconsidérer le prix, on mine la notion de valeur qui est associée au bien ou au service concerné. Cette posture est certes confortable dans la position de l'acheteur, qui semble mener la danse. Mais elle l'est moins quand on se trouve en tant qu'offreur pris dans cette spirale des enchères inversées. [...] Le salaire décent auquel chacun aspire ne peut trouver son financement dans une quasi-gratuité systématisée. En outre, la marge constitue le fondement des investissements futurs et des réserves permettant de traverser les inévitables aléas de la vie des affaires. Sans elle, l'avenir est moins préparé et la première difficulté peut s'avérer fatale." Nicolas Arpagian
Cette recherche du "low cost" à tout prix aurait-elle une conséquence directe sur nous ? Pour continuer sur cette voie qui nous pousse en tant que consommateur à rechercher le prix le moins cher en faisant parfois totalement abstraction des coûts réels, il faudra accepter qu'elle ait pour conséquence un nivellement par le bas de nos sociétés avec une stagnation des salaires due à des gains limités. Si les conséquences immédiates sont dans un premier temps pour les pays émergents, nos économies commencent à en ressentir les effets. Ainsi, le chancelier Helmut Schmidt prononçait en 1974 cette phrase désormais célèbre :
"Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain" Helmut Schmidt
A terme et dans cette logique, ce sont même les humains qui disparaitront du monde du travail comme le prévoit Uber, l'automatisation étant le moyen ultime de réduire les coûts et donc de se libérer de cette "contrainte" que représente l'homme.
Se poser les bonnes questions
Toutes ces évolutions ne peuvent pas être prises à la légère et les modes de financement de l'économie, de ses entités et donc des individus qui la composent doivent être exposés de manière claire. C'est une question d'honnêteté intellectuelle. Une chose est sûre, l'économie a un grand impact sur les systèmes politiques, sociaux et humains et nos comportements en la matière peuvent préjuger d'une perte de repères pour les individus aujourd'hui, et les générations futures. Peut-être assumons nous en conscience, aujourd'hui que d'autres "trinquent" pour nous ? Peut-être ne souhaitons nous vivre l'égalité réelle que dans notre territoire, au détriment des conséquences chez les autres, pour l'environnement au sens large ?
La question demeure de savoir quel avenir nous voulons collectivement choisir, afin que la folie du temps, du prix et la négation des effets pervers engendrés ne se fasse pas au détriment de l'homme.
Il est temps de retrouver la valeur des choses et... la raison.