samedi 25 juillet 2015

Et si la politique était à son tour uberisée ? #27

L'uberisation de l'économie est au coeur de tous les débats actuels. Le conflit du mois dernier entre les taxis et Uber a mis au jour un phénomène qui est en train de transformer radicalement notre économie, notre époque. 
La politique peut-elle être à son tour uberisée comme le souhaite Rafik Smati ? Décryptages.


Bien cerner l'affaire "Uber"

Vous avez sûrement eu vent du conflit qui a semé la pagaille à Paris avec des manifestations de taxis  parfois très brutales contre les chauffeurs "Uber". Uber, c'est tout simplement le nom d'une start-up américaine créée en 2009 et qui met en relation des individus et des véhicules de tourisme avec chauffeur (communément appelés VTC) via un application mobile.
Ces VTC sont tout à fait légaux en France puisque les chauffeurs sont des professionnels et on compte déjà beaucoup de sociétés dans le secteur (Le Cab, Chauffeur Privé). Cependant, si ils ne détiennent pas la fameuse licence de taxi (qui coûte entre 200 000 et 230 000 euros à Paris), les chauffeurs de VTC ne sont pas autorisés à "marauder", c'est à dire à attendre leurs clients sur la voie publique et sont ainsi dans l'obligation de passer par une plate-forme : en l'occurrence, une application mobile ou un site internet.
Ces sociétés sont en concurrence directe avec les compagnies de Taxi dont G7 qui a quasiment le monopole du marché à Paris ; en effet, elles proposent un service plus flexible, de meilleure qualité à un prix souvent équivalent voire moins cher.
Il ne faut pas confondre ces VTC dont fait partie Uber et le service "UberPop" émanant de la même entreprise et qui lui a été interdit. Il consistait à mettre en relation des clients avec des particuliers qui, possédant une voiture l'utilisaient pour faire du transport de personnes et ainsi réaliser un complément de revenus.

L'uberisation fait donc directement référence à la société Uber et à cette nouvelle vague d'entreprises dont elle représente la face la plus émergée. On définit l'ubérisation comme un phénomène qui transforme l'économie traditionnelle en une économie digitalisée. Nicolas Colin qui est expert dans ce domaine en parle magnifiquement:
"Il s'agit d'une substitution générale d'une façon de produire et de consommer -qui correspond à l'ancienne économie- par l'économie numérique qui est déployée par des entrepreneurs qui se mettent à l'écoute des individus et qui découvrent qu'un certain nombre de besoins ne sont pas satisfaits par l'économie traditionnelle. En s'associant directement avec les eux, ils développent des nouvelles propositions de valeurs plus simples, fluides, stimulantes, pas chères et innovantes. Cela réveille les consommateurs : ils prennent conscience qu'ils peuvent être servis beaucoup mieux pour beaucoup moins cher."
Un nouveau monde à comprendre

De nouveaux entrepreneurs, de nouvelles startups viennent donc bousculer l'ordre établi utilisant toutes les possibilités offertes par le numérique.
Le concept de multitude est à ce titre très intéressant, il vous concerne, il me concerne, il concerne les milliards d'individus qui deviennent de plus en plus connectés grâce aux nouvelles technologies, reliés entre eux ; cette multitude est grâce au numérique devenue très puissante et c'est pour cette raison que la course aux données est aujourd'hui primordiale pour les entreprises qui essayent de nous connaitre au mieux, jusqu'à s'immiscer dans notre vie privée. La connaissance de cette multitude sera sans demain le levier numéro 1 de croissance pour les entreprises.
L'individu occupe déjà un rôle actif comme le montre les nombreux systèmes de notation, recommandation que l'on peut trouver chez Airbnb, TripAdvisor ou encore Uber. Concernant ce dernier, l'utilisateur va après chaque trajet pouvoir noter le chauffeur entre 1 et 5 ce qui va permettre de conserver une qualité de service optimale tout en renseignant au mieux les utilisateurs ce qui leur apportera une sécurité supplémentaire. L'investisseur Oussama Ammar disait justement:
"Une erreur classique est de penser que la valeur d'une société numérique se trouve dans sa technologie alors qu'elle se situe tout simplement dans une gestion client exceptionnelle"
Alliées à la multitude, ces entreprises peuvent renverser des situations préétablies, des monopoles en développant un service à haute valeur ajoutée comme nous le montre l'exemple d'Uber et des taxis.
Annoncer il y a quelques années qu'une société employant des chauffeurs privés allait pouvoir concurrencer les taxis pouvait relever de l'irréel, et pourtant...

Nous sommes aujourd'hui en plein coeur d'une transformation, dans une transition entre deux mondes qui ne parlent pas le même langage. L'ancien monde était composé de taxis qui n'ont jamais imaginé que l'on puisse les déloger de leur position quasi monopolistique et n'ont donc en conséquence jamais réellement améliorer leur offre en innovant. Le nouveau monde sera composé de VTC qui auront à coeur de mieux servir leurs clients et ce n'est pas le besoin qui manque. Si l'on considère le nombre de taxis+VTC à Paris, on se rend compte qu'il est 3 à 4 fois moins élevé qu'à Londres et New-York par exemple ; quant à la qualité, il suffit de lire des récits d'usagers des taxis parisiens pour s'en rendre compte.

On parlait jusqu'à présent beaucoup des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) dont la valorisation boursière ($1 675 milliards) dépasse celle de l'ensemble du CAC 40 ($1 131 milliards). Aujourd'hui, ce sont désormais les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) qui sont les symboles de cette nouvelle ère numérique.

La politique, concernée ?

Nicolas Colin : ancien inspecteur des finances
 reconverti dans l'accompagnement de startups
Pour aborder le sujet sous l'angle politique, il était nécessaire de bien saisir les contours de ce phénomène d'uberisation de l'économie. Je n'ai bien sûr fait qu'effleurer ce sujet si vaste, si passionnant et qui s'inscrit dans ce que certains nomment la troisième révolution industrielle, l'ère de la connaissance ou encore la révolution numérique.
On commence à voir et à cerner ces transformations majeures qui se déroulent sous nos yeux, et on se demande forcément quels secteurs vont être impactés.
Nicolas Colin affirme qu'il vaut mieux considérer que "tous  les secteurs seront concernés"; concernant l'énergie par exemple dont on a du mal à penser qu'elle puisse être uberisée, on peut demain imaginer que chaque individu soit en capacité de produire et de stocker l'énergie nécessaire au fonctionnement de son logement via des batteries domestiques comme celles développées par Tesla.
On peut également étendre ce type de raisonnement au tourisme, à l'assurance, à la banque bien sûr et à beaucoup de domaines d'activité.

Alors pourquoi pas la politique ? On observe une certaine défiance vis-à-vis des hommes politiques et de leur capacité porter un projet pour notre pays, à apporter des réponses concrètes aux problèmes des français et notamment au chômage. La classe politique ressemble étrangement à la description de ces entreprises de l'ancien monde, à ces modèles qui appartiennent déjà au passé ; elle ne semble guère s'intéresser aux individus que nous sommes essayant d'amadouer la masse du peuple afin de remporter le prochain suffrage. Tout comme les taxis, elle n'a jamais été vraiment remise en cause et a donc campé sur ses positions.
On peut réellement s'interroger sur (1) la capacité des hommes politiques à comprendre cette entrée dans un nouveau monde et sur (2) leur volonté d'y rentrer réellement. Leur rôle est pourtant essentiel dans la mesure où ils doivent accompagner ce changement au risque de voir des cassures apparaitre dans la société, de voir une France dépassée dans la compétition mondiale, de vivre tout simplement des lendemains difficiles.

Dans une ère où les individus sont au coeur des préoccupations des entreprises, où des innovations constantes sont réalisées afin de leur créer de la valeur, où la rapidité d'exécution prime sur la complexité et la quantité, les citoyens vont-ils accepter longtemps un système inerte dans lequel ils ne se reconnaissent pas ?
Dans l'ancien monde, on pouvait promettre quelque chose et réaliser une autre ; désormais, on ne s'intéresse plus aux effets de communication des hommes politiques, on n'écoute plus le président parler dans ses allocutions télévisées pluriannuelles, on désire juste la réalisation d'un mieux, dans les actes comme on exigerait qu'une entreprise nous délivre une prestation. Hier les consommateurs, les individus, les citoyens que nous sommes étaient passifs : aujourd'hui ils se rendent compte qu'ils peuvent obtenir des meilleurs services à un prix inférieur et redoublent logiquement d'exigence.

Et si la politique était à son tour uberisée ? Beaucoup le souhaitent, quelques uns l'expriment mais trop peu y croient vraiment. La clé du sursaut de notre pays viendra pourtant certainement de son ouverture politique.

[L'anecdote du jour]
Il est toujours assez amusant de rappeler que c'est à Paris qu'est née l'idée d'Uber. Son créateur et dirigeant Travis Kalanik se rendait à une conférence des acteurs du Web mais ne trouva aucun taxi pour l'y conduire. Devant cette situation plutôt inconfortable et dans la fraîcheur de l'hiver parisien, le jeune homme eu l'idée de créer une application mettant en relation des utilisateurs et des chauffeurs de taxi, la géolocalisation de l'individu permettant d'optimiser le système.

samedi 18 juillet 2015

Livret A, un retour à la normale ? #26

Après une petite interruption estivale mon blog reprend des couleurs. Je ne vais pas me risquer à évoquer le cas Grec (bientôt!) qui évolue chaque jour mais plutôt celui du Livret A, le placement préféré des français et donc probablement le vôtre !


Tout le monde a déjà entendu parler du Livret A mais sait-on précisément de quoi il s'agit ? Figurez-vous qu'il faut remonter à 1818 pour voir sa création que l'on peut lier à celle de la Caisse d'Epargne à Paris: à l'époque, son objectif était de financer les dommages des guerres napoléoniennes…!
Il s'agit selon la définition d'un "compte d'épargne à taux réglementé, dont le revenu est défiscalisé" ; concrètement, toute personne peut ouvrir un (et seulement un) livret A avec un plafond de 22 900€ pour les particuliers. Il s'agit en langage financier d'un placement liquide ce qui permet à son détenteur de rapidement disposer de son argent s'il le désire. Ce ne sera donc pas le placement le plus rémunérateur que l'on pourra trouver sur le marché mais on dit souvent qu'il constitue une épargne de précaution : on ne touche que rarement à l'argent de son livret A ; de plus, comme tous les livrets d'épargne, il n'est pas soumis à l'imposition ce qui n'est pas sans avantage.
Jusqu'à la loi de modernisation de l'économie de 2008 (LME), on pouvait uniquement posséder un livret A dans une caisse d'épargne ou à la Banque Postale avant que la Commission Européenne demande à la France de l'ouvrir à la concurrence et donc aux autres établissements bancaires.

Le rôle de la Caisse des Dépôts

La collecte des fonds versés sur les livrets A est gérée par la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) qui est une institution financière publique d'interêt général. Pour des raisons historiques, cette dernière utilise ensuite ces fonds ainsi que ceux du livret développement durable (LDD) et du livret d'épargne populaire (EPP) pour 3 usages:
- financer le logement social et la politique de la ville
- faire des prêts aux collectivités locales pour financer les infrastructures
- placer le reste sur les marchés financiers (principalement sur le marché obligataire)

Le placement préféré des français

En France, on compte 61,6 millions de livrets A ouverts pour un total de 263 milliards d'euros (-1,2% sur une année) : ce sont les encours. Il est intéressant de se plonger plus en détails sur la composition de ces encours à laquelle nous donne accès la Banque de France dans son dernier rapport. On y apprend que l'encours moyen du livret A des personnes physiques est de 4 092€, loin du plafond de  22 900€ que nous évoquions un peu plus tôt ; on observe ensuite de fortes disparités puisqu'on comptait en 2014 44,7% de livrets A avec moins de 150€.

On arrive à présent à la question qui est chaque année au coeur du débat et qui justifie l'actualité du sujet: quel doit être le taux du livret A ? La détermination de ce dernier est relativement facile puisque il existe une méthode de calcul dont la version simplifiée consiste à prendre l'inflation (hausse des prix) sur les 12 derniers mois et à y ajouter 25 points de base (soit 0,25%).
Une fois ce taux théorique calculé, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer peut soit proposer un autre taux soit s'en tenir à la méthode de calcul. Dans ce cas-là, le gouvernement qui a le dernier mot n'aura pas d'autre choix que de suivre sa recommandation ; dans l'autre cas, il sera libre de fixer un autre taux.
Ce dernier fait généralement l'objet d'une révision au début des mois d'Avril et d'Août chaque année.

Dépolitiser le livret A

Christian Noyer (photo) milite depuis quelques temps pour une baisse du taux du livret A qui est un non-sens économique, nous allons l'expliquer.
Il faut tout d'abord comprendre que le livret A n'est pas un compte d'épargne comme les autres ; son taux de rémunération constitue une valeur repère pour les autres livrets d'épargne.

On peut faire une comparaison avec les banques françaises qui se financent auprès de la banque centrale européenne : cette dernière leur prête de l'argent avec un taux directeur qui est actuellement proche de zéro (0,05% précisément). De la même manière, le taux du livret A représente le taux directeur de l'économie française indiquant le niveau d'accessibilité de l'argent auprès des institutions financières.

Les derniers chiffres publiés par l'Insee font état d'une inflation de +0,3% sur un an ; si l'on ajoute à cela les 0,25% de la formule, le taux du livret A devrait donc être proche de 0,5%.
Seulement, il est aujourd'hui à 1% et il n'est jamais passé sous ce seuil depuis sa création ! Le dilemme est donc le suivant : enfin respecter une logique économique ce qui fait consensus chez les experts et auprès du gouverneur de la Banque de France ou au contraire s'en tenir à des considérations politiques.
En effet, si l'on ne connait pas le fonctionnement du livret A, un taux à 1% parait de l'extérieur bien faible : difficile d'assumer un tel acte qui irait contre le pouvoir d'achat des français les plus modestes, et particulièrement en cette période pré-électorale.

Il faut baisser le taux

Seulement, les arguments de ceux qui soutiennent qu'une baisse du taux du livret A serait néfaste ne tiennent pas debout et il faudra donc le baisser. Comme nous l'avons vu, plus de la moitié des livrets A sont dotés de moins de 150€ et seulement 30% dépassent 3 000€. Peut-on vraiment affirmer que le pouvoir d'achat des français sera touché quand on sait qu'un abaissement du taux de 1% à 0,5% représenterait une perte de…4€ par an pour une personne possédant 750€ sur son livret. Pour la tranche haute, cela s'élèverait à 150€ pour un livret A atteignant 22 900€. Ce sont plutôt les personnes aisées qui seraient donc affectées.
La baisse du taux libérerait de l'épargne qui pourrait soit être mieux placée, soit bénéficier à l'économie par la consommation ou l'investissement: c'est justement ce dont la France a aujourd'hui besoin !

Ensuite, nous avons observé que le taux de financement des banques auprès de la BCE (0,05%) était aujourd'hui très faible avec un coût de l'argent quasi nul. Nous avons également vu qu'une partie des encours du livret A était placée sur les marchés financiers afin d'obtenir un rendement ; ce dernier se retrouve de plus en plus réduit car les taux sont poussés vers le bas. Ces placements rapportent donc de moins en moins d'argent mais on devrait dans le même quand même assurer un taux de 1% pour le livret A: absurde !

Il est aussi un argument qui consiste à dire que l"on a besoin du livret A pour financer la politique du logement. On se permettra de noter que ce n'est pas l'argent qui manque en la matière puisque 46 milliards d'euros (2% du PIB) sont déversés chaque année dans le logement sans d'ailleurs que l'Etat n'ait la moindre d'idée de leur destination !

Enfin, pour les organismes de logements sociaux ce taux n'est pas anodin: la dette de ces organismes est en effet indexée sur le taux du livret A quand la progression de leurs loyers est elle indexée sur l'inflation. Plus l'écart est important, plus cela leur coûte de l'argent.
On estime que la baisse du taux du livret A à 0,75% permettrait la construction de plus de 5 000 logements avec un gain de 200 millions d'euros sur le stock de la dette: négligeable ?


Ce n'est pas anodin d'avoir choisi un tel sujet: le livret A de par sa symbolique et son poids (psychologique) dans la société française n'est pas un compte d'épargne comme les autres.
Le débat actuel et qui revient chaque année montre bien les distorsions qui existent entre les réalités économiques que l'on peut expliquer avec pédagogie et les actes politiques qui souvent ne sont pas à la hauteur. Le temps n'est il pas venu de concilier les deux ?

[EDIT du 20/07]

La décision a été prise d'abaisser le taux du livret A à 0,75%. Une orientation qui semble juste et courageuse de la part de l'exécutif. Pour rappel, cela n'engendra qu'un impact de 65 centimes d'euros par mois pour un détenteur moyen.

[L'explication] 
Aujourd'hui, le décryptage porte sur l'impact de l'inflation. Elle se définit par une "hausse durable du niveau général des prix". Un produit qui vaut 100 en année N vaudra ainsi 105 en N+1 si l'inflation est de 5%.
Nous n'allons pas détailler toutes les causes et conséquences de l'inflation mais dans le cas présent, l'inflation a un impact sur la rémunération de l'argent que vous placerez sur votre livret A.
On distingue ainsi le taux nominal du taux réel: le taux nominal du livret A est de 1% mais le taux réel prend compte de l'inflation qui est déduite: ce serait ainsi actuellement 0,7% (1%-0,3%). C'est le taux réel auquel votre épargne est rémunéré.
Pendant que les prix augmentent dans l'économie du fait de l'inflation, l'argent que vous avez placé lui garde donc son "ancienne valeur" : il est donc important d'y faire attention !