L'uberisation de l'économie est au coeur de tous les débats actuels. Le conflit du mois dernier entre les taxis et Uber a mis au jour un phénomène qui est en train de transformer radicalement notre économie, notre époque.
La politique peut-elle être à son tour uberisée comme le souhaite Rafik Smati ? Décryptages.
La politique peut-elle être à son tour uberisée comme le souhaite Rafik Smati ? Décryptages.
Bien cerner l'affaire "Uber"
Vous avez sûrement eu vent du conflit qui a semé la pagaille à Paris avec des manifestations de taxis parfois très brutales contre les chauffeurs "Uber". Uber, c'est tout simplement le nom d'une start-up américaine créée en 2009 et qui met en relation des individus et des véhicules de tourisme avec chauffeur (communément appelés VTC) via un application mobile.
Ces VTC sont tout à fait légaux en France puisque les chauffeurs sont des professionnels et on compte déjà beaucoup de sociétés dans le secteur (Le Cab, Chauffeur Privé). Cependant, si ils ne détiennent pas la fameuse licence de taxi (qui coûte entre 200 000 et 230 000 euros à Paris), les chauffeurs de VTC ne sont pas autorisés à "marauder", c'est à dire à attendre leurs clients sur la voie publique et sont ainsi dans l'obligation de passer par une plate-forme : en l'occurrence, une application mobile ou un site internet.
Ces sociétés sont en concurrence directe avec les compagnies de Taxi dont G7 qui a quasiment le monopole du marché à Paris ; en effet, elles proposent un service plus flexible, de meilleure qualité à un prix souvent équivalent voire moins cher.
Il ne faut pas confondre ces VTC dont fait partie Uber et le service "UberPop" émanant de la même entreprise et qui lui a été interdit. Il consistait à mettre en relation des clients avec des particuliers qui, possédant une voiture l'utilisaient pour faire du transport de personnes et ainsi réaliser un complément de revenus.
L'uberisation fait donc directement référence à la société Uber et à cette nouvelle vague d'entreprises dont elle représente la face la plus émergée. On définit l'ubérisation comme un phénomène qui transforme l'économie traditionnelle en une économie digitalisée. Nicolas Colin qui est expert dans ce domaine en parle magnifiquement:
"Il s'agit d'une substitution générale d'une façon de produire et de consommer -qui correspond à l'ancienne économie- par l'économie numérique qui est déployée par des entrepreneurs qui se mettent à l'écoute des individus et qui découvrent qu'un certain nombre de besoins ne sont pas satisfaits par l'économie traditionnelle. En s'associant directement avec les eux, ils développent des nouvelles propositions de valeurs plus simples, fluides, stimulantes, pas chères et innovantes. Cela réveille les consommateurs : ils prennent conscience qu'ils peuvent être servis beaucoup mieux pour beaucoup moins cher."
Un nouveau monde à comprendre
De nouveaux entrepreneurs, de nouvelles startups viennent donc bousculer l'ordre établi utilisant toutes les possibilités offertes par le numérique.
Le concept de multitude est à ce titre très intéressant, il vous concerne, il me concerne, il concerne les milliards d'individus qui deviennent de plus en plus connectés grâce aux nouvelles technologies, reliés entre eux ; cette multitude est grâce au numérique devenue très puissante et c'est pour cette raison que la course aux données est aujourd'hui primordiale pour les entreprises qui essayent de nous connaitre au mieux, jusqu'à s'immiscer dans notre vie privée. La connaissance de cette multitude sera sans demain le levier numéro 1 de croissance pour les entreprises.
L'individu occupe déjà un rôle actif comme le montre les nombreux systèmes de notation, recommandation que l'on peut trouver chez Airbnb, TripAdvisor ou encore Uber. Concernant ce dernier, l'utilisateur va après chaque trajet pouvoir noter le chauffeur entre 1 et 5 ce qui va permettre de conserver une qualité de service optimale tout en renseignant au mieux les utilisateurs ce qui leur apportera une sécurité supplémentaire. L'investisseur Oussama Ammar disait justement:
"Une erreur classique est de penser que la valeur d'une société numérique se trouve dans sa technologie alors qu'elle se situe tout simplement dans une gestion client exceptionnelle"
Alliées à la multitude, ces entreprises peuvent renverser des situations préétablies, des monopoles en développant un service à haute valeur ajoutée comme nous le montre l'exemple d'Uber et des taxis.
Annoncer il y a quelques années qu'une société employant des chauffeurs privés allait pouvoir concurrencer les taxis pouvait relever de l'irréel, et pourtant...
Nous sommes aujourd'hui en plein coeur d'une transformation, dans une transition entre deux mondes qui ne parlent pas le même langage. L'ancien monde était composé de taxis qui n'ont jamais imaginé que l'on puisse les déloger de leur position quasi monopolistique et n'ont donc en conséquence jamais réellement améliorer leur offre en innovant. Le nouveau monde sera composé de VTC qui auront à coeur de mieux servir leurs clients et ce n'est pas le besoin qui manque. Si l'on considère le nombre de taxis+VTC à Paris, on se rend compte qu'il est 3 à 4 fois moins élevé qu'à Londres et New-York par exemple ; quant à la qualité, il suffit de lire des récits d'usagers des taxis parisiens pour s'en rendre compte.
On parlait jusqu'à présent beaucoup des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) dont la valorisation boursière ($1 675 milliards) dépasse celle de l'ensemble du CAC 40 ($1 131 milliards). Aujourd'hui, ce sont désormais les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) qui sont les symboles de cette nouvelle ère numérique.
La politique, concernée ?
Nicolas Colin : ancien inspecteur des finances reconverti dans l'accompagnement de startups |
Pour aborder le sujet sous l'angle politique, il était nécessaire de bien saisir les contours de ce phénomène d'uberisation de l'économie. Je n'ai bien sûr fait qu'effleurer ce sujet si vaste, si passionnant et qui s'inscrit dans ce que certains nomment la troisième révolution industrielle, l'ère de la connaissance ou encore la révolution numérique.
On commence à voir et à cerner ces transformations majeures qui se déroulent sous nos yeux, et on se demande forcément quels secteurs vont être impactés.
Nicolas Colin affirme qu'il vaut mieux considérer que "tous les secteurs seront concernés"; concernant l'énergie par exemple dont on a du mal à penser qu'elle puisse être uberisée, on peut demain imaginer que chaque individu soit en capacité de produire et de stocker l'énergie nécessaire au fonctionnement de son logement via des batteries domestiques comme celles développées par Tesla.
On peut également étendre ce type de raisonnement au tourisme, à l'assurance, à la banque bien sûr et à beaucoup de domaines d'activité.
Alors pourquoi pas la politique ? On observe une certaine défiance vis-à-vis des hommes politiques et de leur capacité porter un projet pour notre pays, à apporter des réponses concrètes aux problèmes des français et notamment au chômage. La classe politique ressemble étrangement à la description de ces entreprises de l'ancien monde, à ces modèles qui appartiennent déjà au passé ; elle ne semble guère s'intéresser aux individus que nous sommes essayant d'amadouer la masse du peuple afin de remporter le prochain suffrage. Tout comme les taxis, elle n'a jamais été vraiment remise en cause et a donc campé sur ses positions.
On peut réellement s'interroger sur (1) la capacité des hommes politiques à comprendre cette entrée dans un nouveau monde et sur (2) leur volonté d'y rentrer réellement. Leur rôle est pourtant essentiel dans la mesure où ils doivent accompagner ce changement au risque de voir des cassures apparaitre dans la société, de voir une France dépassée dans la compétition mondiale, de vivre tout simplement des lendemains difficiles.
Dans une ère où les individus sont au coeur des préoccupations des entreprises, où des innovations constantes sont réalisées afin de leur créer de la valeur, où la rapidité d'exécution prime sur la complexité et la quantité, les citoyens vont-ils accepter longtemps un système inerte dans lequel ils ne se reconnaissent pas ?
Dans l'ancien monde, on pouvait promettre quelque chose et réaliser une autre ; désormais, on ne s'intéresse plus aux effets de communication des hommes politiques, on n'écoute plus le président parler dans ses allocutions télévisées pluriannuelles, on désire juste la réalisation d'un mieux, dans les actes comme on exigerait qu'une entreprise nous délivre une prestation. Hier les consommateurs, les individus, les citoyens que nous sommes étaient passifs : aujourd'hui ils se rendent compte qu'ils peuvent obtenir des meilleurs services à un prix inférieur et redoublent logiquement d'exigence.
Et si la politique était à son tour uberisée ? Beaucoup le souhaitent, quelques uns l'expriment mais trop peu y croient vraiment. La clé du sursaut de notre pays viendra pourtant certainement de son ouverture politique.
[L'anecdote du jour]
Il est toujours assez amusant de rappeler que c'est à Paris qu'est née l'idée d'Uber. Son créateur et dirigeant Travis Kalanik se rendait à une conférence des acteurs du Web mais ne trouva aucun taxi pour l'y conduire. Devant cette situation plutôt inconfortable et dans la fraîcheur de l'hiver parisien, le jeune homme eu l'idée de créer une application mettant en relation des utilisateurs et des chauffeurs de taxi, la géolocalisation de l'individu permettant d'optimiser le système.