Toujours envisagé, jamais appliqué, la donne a-t-elle changé ?
Depuis quelques jours, une nouvelle mesure fait son chemin au sein de l'exécutif et de la majorité actuelle ; soutenu par la motion A (défendant la politique de François Hollande) qui est sortie en grand vainqueur du congrès du Parti Socialiste, le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu pourrait être une des dernières "réformes" du quinquennat.
La France en la matière fait figure d'exception: avec Singapour et la Suisse, elle est l'un des derniers pays de l'OCDE a ne pas avoir encore appliqué le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu quand ce dernier est en place depuis 1917 au Canada, 1925 en Allemagne ou encore 1943 aux Etats-Unis !
Source: PLF 2014, via le Parisien |
En France, on distingue 3 types de prélèvements obligatoires:
- Les impôts, qu'ils soient directs (Impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés...) ou indirects (TVA, droits de douane…)
- Les cotisations sociales, qui financent la sécurité sociale: elles sont salariales (pour passer du brut au net) ou patronales.
- Les taxes fiscales, versées contre la fourniture d'un service.
Le taux de prélèvement obligatoire en France est un des plus élevés des pays de l'OCDE puisque il aurait atteint 46,2% du PIB en 2013 (deuxième position derrière le Danemark).
On peut tout d'abord observer que 90% des recettes de l'Etat sont issues des recettes fiscales (voir ci-dessus).
Si l'on se concentre sur l'impôt sur le revenu qui va nous intéresser aujourd'hui, on constate que son poids dans l'économie est relativement faible (3% du PIB) par rapport à d'autres pays comme les Etats-Unis (10%) ou la Grande-Bretagne (13%).
Comme l'indiquait cette semaine l'ancien ministre Thierry Breton, 90% des français qui paient l'impôt ont un taux moyen qui s'élève entre 0 et 10% avec une moyenne à 5-6% et 70% des revenus de cet IR sont issus des 10% des contribuables aux revenus les plus élevés. Voilà pour la photo.
Qu'est ce que le prélèvement à la source ?
C'est un mode de recouvrement de l'impôt qui serait directement ponctionné par un tiers payeur (un employeur par exemple) au moment du versement des revenus.
La France est un des derniers pays à ne pas avoir appliqué ce système pour son impôt sur le revenu ; cependant, c'est déjà le cas pour la CSG, la CRDS ou encore les cotisations sociales (bien que ce ne soit pas un impôt) et qui sont directement prélevées sur votre bulletin de salaire. De ce fait, 73% des contribuables sont déjà mensualisés en France.
Si cela ne changera pas l'impôt sur le revenu que vous payez chaque année, c'est bien uniquement la modalité de prélèvement de celui-ci qui sera nouvelle: vous serez ainsi prélevé chaque mois directement sur votre salaire brut avec le seul ajout d'une ligne sur votre bulletin de salaire.
Cela a pour avantage de vous faire connaitre directement le revenu disponible et donc d'éviter cette "épargne de précaution" qui est chaque année constituée en vue du paiement annuel de l'impôt sur le revenu. En cas de baisse substantielle de votre revenu d'une année sur l'autre par exemple, la retenue à la source vous permet d'éviter ce décalage d'une année et ainsi de mieux ajuster le paiement de l'impôt en fonction du revenu perçu.
Dans la série des désavantages ou des complexités, plusieurs questions demeurent sans réponse:
- Comment mettre en place le dispositif ?
Prenons un exemple: nous sommes en 2015, vous payez votre impôt sur les revenus de l'année 2014. En janvier 2016, si le prélèvement à la source rentre en application, vous allez payer vos impôts directement sur vos revenus du mois: que fait-on des revenus 2015 qui n'auront pas été taxés ?
En clair, soit le contribuable se verra imposé deux fois la même année, soit l'Etat mettra en place ce que l'on appelle une année blanche, c'est à dire qu'il ne percevrait pas d'impôts cette année là. A l'heure de difficultés budgétaires, on imagine mal ce scénario se réaliser même si on avait estimé il y a quelques années que 25 à 30 milliards d'euros pourraient être ainsi injectés dans la consommation.
De plus, le système serait baisé car, un citoyen avisé sachant qu'il ne serait pas taxé sur ces revenus aurait facilement fait de chercher à les maximiser, à réaliser des plus-values n'ayant pas besoin de les déclarer. Le sujet est donc épineux.
- Pour quelle confidentialité ?
Vous l'aurez compris, la France fait figure d'exception dans bien des domaines et la fiscalité n'y échappe pas ! En matière d'impôt sur le revenu, le quotient familial est appliqué depuis 1945 en France et permet de diminuer ses impôts, de bénéficier de certaines aides sociales en fonction du nombre de personnes qui composent le foyer fiscal. Par exemple, un couple sans enfant dont les revenus seraient de 50.000€ par an devrait s'acquitter d'un impôt supérieur à celui d'un couple qui dispose des mêmes revenus mais avec deux enfants (et donc des parts fiscales supplémentaires). Le montant de l'impôt varie donc selon la composition du foyer fiscal, d'éventuels revenus complémentaires ou ceux du conjoint.
Si c'est l'administration fiscale qui jusqu'à présent connaissait ces informations, la mise en place d'un prélèvement à la source impliquerait que le tiers-payeur (et en l'occurence l'employeur) ait à sa disposition toutes ces informations puisqu'elles seraient renseignées sur le bulletin de paie pour calculer directement l'impôt. On peut donc imaginer que certains négociations (augmentations salariales) soient baisées de ce fait.
Une solution en vue ?
Il existe déjà une solution qui permettrait de répondre à ces questions et notamment celle relative à la confidentialité; elles ont été développées dans un rapport du conseil des prélèvements obligatoires établi en 2012 ; la solution est ce qu'on appelle le taux synthétique. Il s'agit pour l'administration fiscale, au lieu de laisser l'employeur procéder au calcul du montant de l'impôt, de directement lui indiquer un taux moyen d'imposition auquel serait assujetti le salarié: ainsi, il n'y aurait plus de problème de confidentialité puisque ce taux synthétique (ou taux moyen d'imposition) ne serait pas transparent, sur la composition du foyer fiscal et des revenus par exemple.
Concernant la mise en place du dispositif, la solution la plus probable demeure celle d'un lissage avec une entrée en vigueur progressive.
Voir plus large ?
Ce que l'on observe tout d'abord, c'est que cette mesure semble faire consensus dans la classe politique et chez les analystes, il faut donc s'en réjouir.
On peut néanmoins avec un peu de recul remarquer qu'il ne s'agit en aucun cas d'une réforme de fond, comme bien souvent malheureusement. En effet, quelle est aujourd'hui la priorité des français ? Est-elle de payer ses impôts différemment ou de moins en payer ?
Cette mesure pourrait être unanimement louée si elle était vraiment partie prenante d'une vision plus globale avec une réforme de la fiscalité en l'occurence !
Cette "réforme" s'inscrit donc dans la lignée de la modernisation de l'impôt sur le revenu qui est par exemple de plus en plus prélevé via une déclaration en ligne (36% de télédéclarants en 2014).
Ceci ne doit pas nous faire oublier que la fiscalité a besoin d'être réformée en France: l'impôt sur le revenu est à ce titre emblématique. Non seulement il rapporte très peu, mais il est payé par un petit nombre de personnes qui le vivent très mal: si l'on devait donner la définition d'un mauvais impôt, elle serait toute trouvée.
La logique de réduire l'assiette de l'impôt sur le revenu (de moins en moins de français le paient) tout en augmentant son taux est un non-sens absolu. Pourquoi ne pas imaginer faire payer l'impôt à tous les français, même avec un montant symbolique de 1€ ? En effet, il est difficile d'obtenir un consentement à l'impôt si ce dernier n'est payé que par moins de la moitié des foyers fiscaux.
La question principale est le sens que l'on veut donner à cet impôt: réalisons nous assez à quel point le système social français est l'un des plus généreux du monde ? Quand tout cela devient un dû, c'est que le sens de l'impôt tend à disparaitre et cela constitue une véritable bombe à retardement.
Le prélèvement à la source rend le paiement de l'impôt plus routinier, indolore, inaperçu et il peut contribuer à cette perte de sens: "Est-ce que l'on veut que les gens voient qu'ils paient l'impôt ou pas?" résumait ainsi Jean-Marc Daniel.
Avec un des taux de prélèvement obligatoire les plus élevés au monde, la France fait figure d'exception: exception quand il a été décidé de spolier les hauts revenus en les taxant à 75% avant de revenir sur cette décision idéologique, exception quand la fiscalité incite les entrepreneurs à aller développer leur business à l'étranger en n'encourageant pas la prise de risque, exception quand on affiche régulièrement l'ambition de taxer les revenus du capital à la même hauteur que les revenus du travail.
Je m'arrêterai peut-être sur cette dernière ; peu connue du "grand public", elle est assez révélatrice des non-sens économiques qui peuvent encore avoir lieu aujourd'hui: tout d'abord, le capital est un stock et le travail un flux : ils sont donc de nature différente. Ensuite, le capital (dans le sens de ressource) résulte d'une épargne et donc d'un travail déjà réalisé et taxé et ce système revient donc à une sur-taxation.
De plus, la fiscalité du capital quand elle est attractive permet de récompenser le risque: n'est ce pas normal de rémunérer l'entrepreneur qui va mettre toutes ses économies dans sa nouvelle entreprise en courant le risque de tout perdre ?
Le Ministre de l'Economie s'était à ce sujet montré comme à son habitude très lucide dans une récente interview à l'Usine Nouvelle:
"Nous avons une force : notre capacité entrepreneuriale et nos grands groupes. Ces derniers sont en train de partir, car notre politique fiscale leur est devenue inadaptée. C’est pour cela que je porte la tête haute notre réforme sur les actions de performance qui nous remet dans les standards européens. Sinon, vous n’aurez plus un comex en France, le directeur financier sera à Londres, le PDG à Hongkong… Seules resteront les façades du CAC 40, il n’y aura plus personne dans les bureaux. Et nous n’attirerons plus d’entreprises étrangères en France." Emmanuel MACRON
L'esprit d'entreprise qui est en train d'émerger de manière spectaculaire dans notre pays doit être encouragé: c'est le futur de notre pays ! La fiscalité ne doit donc plus être dissuasive mais juste. Le prélèvement à la source semble être une mesure cohérente, reste à savoir si elle ne sera pas utilisée à des fins électorales: la France ne peut plus attendre.