Il faut combattre en profondeur aux maux dont la France souffre: si ce constat est de plus en plus partagé dans notre société, les façons de l'aborder divergent largement.
Nous utilisons actuellement du doliprane pour soulager une maladie chronique qui nécessiterait un traitement bien plus complet: décryptage.
On le sait, tout le monde le sait, la France fait face à des enjeux sans précédent avec des comptes publiques à la dérive, un déficit abyssal, une compétitivité plombée par un niveau de charges trop élevé, un chômage sans précédent, une défiance à de nombreux égards de nos concitoyens.
Mais il y a un problème dont on parle trop peu, la non qualification des employés français et ses conséquences, ce qui nous conduira directement à évoquer le système éducatif.
SMIC et chômage
Commençons en évoquant deux variables. Tout d'abord le salaire minimum interprofessionnel de croissance, plus connu sous le nom de SMIC: il s'élève actuellement à 1 457,52€ par mois en France ce qui nous place dans le peloton de tête des pays qui possèdent le salaire minimum le plus élevé au monde, à la 5ème place pour être précis (voir page 49). Entre 1990 et 2010, le salaire minimum en France a augmenté de 28% quand le salaire net moyen gagnait 10%.
Il s'agit d'un sujet assez sensible il faut le dire, et je ne suis pas là pour dire qu'il est trop élevé; il ne l'est jamais pour ceux qui le touchent: selon le dernier rapport de l'ONPES, une personne active seule a actuellement besoin d'un budget de référence de 1 424€ par mois pour vivre décemment: l'équation est donc compliquée.
La deuxième variable est le niveau de chômage en France: il a atteint fin 2014 10% de la population active au sens du BIT malgré une "embellie" de janvier dont on aurait tort de tirer des conclusions: dramatique.
Une dernière étude de l'Institut Montaigne a essayé d'analyser la fracture du marché de travail en France. Il en ressort que ce problème du chômage est fortement corrélé aux bas salaires: en effet, au delà de 1,5 SMIC, le taux de chômage s'élève à seulement 5% de la population active, soit presque un niveau de plein emploi !
Il y a donc un lien étroit entre ces deux variables.
S'occuper du SMIC
Le coût du SMIC pour l'employeur français demeure toujours trop élevé puisque il s'élève à 1 630€ quand le salarié touchera lui 1 128€ net par mois. Si des efforts ont déjà été consentis lors des dernières décennies sur les charges sociales notamment, il faut donc les accentuer pour rendre l'embauche plus facile à ce niveau sans pour autant affecter le pouvoir d'achat des ménages.
Il s'agit toujours du dilemme lorsque des réductions de charge sont accordées: faut-il cibler plutôt les bas salaires ou plutôt les salaires plus élevés qui génèrent plus de compétitivité et qui permettent à la France d'exporter ou d'attirer des talents par exemple ? Un arbitrage nécessaire mais bien compliqué.
Plusieurs réformes du salaire minimum sont ainsi évoquées bien que cela entraine de nombreuses questions tabous.
- Un SMIC régional: comment peut-on imaginer que un seul SMIC national puisse correspondre au coût de la vie à Paris et dans une ville en province ? L'idée d'un SMIC régional émergerait même si là encore il peut y avoir de nombreuses disparités au sein d'une même région.
- Un SMIC par branche: c'est ainsi que l'on pourrait envisager un salaire minimum par branche d'activité comme ce qui est pratiqué chez nos voisins allemands.
- Un SMIC jeune: bien plus polémique, l'idée relancée par le président du MEDEF Pierre Gataz l'année dernière est loin de faire l'unanimité.
A défaut, le gouvernement a récemment annoncé la fusion de la Prime Pour l'Emploi (PPE) avec le RSA afin de créer un unique dispositif: la prime d'activité à partir de Janvier 2016. Une nouvelle mesure de simplification qui, on l'espère, ne sera pas source de nouvelles complications comme le législateur français sait très bien en produire.
L'éducation, une priorité
Pour revenir à la genèse d'un problème plus large que le seul salaire minimum, il faut aussi s'intéresser à la formation de ces travailleurs qui peinent à intégrer le marché de l'emploi: l'éducation est donc prioritaire et plusieurs constats peuvent être dressés:
- La faible performance du système: quand la France recule dans les classements internationaux (notamment PISA) étant qualifiée de "championne des inégalités", quand chaque année 150 000 élèves sortent du système scolaire sans qualification, quand le salaire moyen d'un professeur des écoles est inférieur de 17% à la moyenne de l'OCDE et que l'écart entre le salaire d'un professeur de lycée français et allemand culmine à... 54%, quand l'éducation dans les zones dites plus sensibles n'a jamais été aussi délicate à gérer, alors oui peut-être faut-il se poser les bonnes questions.
- Apprentissage: très peu mis en valeur dans notre pays, l'apprentissage est en recul (-3,2% de 2013 à 2014) malgré une volonté de l'exécutif de promouvoir le système. Je ne vous ferai pas subir une énième comparaison avec l'Allemagne où il est si performant.
On pourrait également évoquer la formation professionnelle, un système universitaire qui a force de ne pas pratiquer de selection est en train de s'auto-détruire: la liste pourrait être longue mais cet article n'a pas vocation à disséquer le système éducatif français.
Quelles solutions ?
Je n'ai ni la légitimité, ni les compétences pour proposer quoi que ce soit en matière d'éducation mais les experts semblent s'accorder sur plusieurs points et notamment un constat: notre système n'est plus adapté. François Taddei qui dirige le CRI et travaille sur les questions d'innovation dans l'éducation a ainsi essayé pendant des années de trouver le montant du budget de R&D du ministère de l'Education Nationale en vain; il commentait récemment: "Si tu n'investis pas dans ta capacité à te remettre en question, il ne faut pas s'étonner d'être en décalage avec une société qui elle évolue très vite."
Le système français encourage ainsi la compétition, l'émergence de talents au détriment de ceux qui seraient "moins bons ou performants". Qu'en est-il de l'épanouissement à l'école puisque le plus important est semble être de se fondre dans le moule afin de correspondre à des critères ? Les parents ont-ils vraiment toujours confiance en l'école ?
Le bilan ? Chaque année, 40% d'enfants soit 300 000 élèves sortent du CM2 avec de graves lacunes selon un rapport du Haut Conseil de l'Education en 2012.
Alors oui il y a des idées, des initiatives: on citera encore une fois François Taddei qui insiste sur les 5 dimensions suivantes: "Confiance, Créativité, Coopération, Communication, Critique constructive" dans une vision horizontale de l'école par opposition au système français très (trop) vertical.
Les initiatives de rupture menées par Céline Alvarez ces dernières années ne manquent pas non plus de faire référence dans le milieu: ses expérimentations menées dans des classes de primaire ont apporté des résultats stupéfiants.
Un objectif prioritaire ? Créer la confiance en donnant tout d'abord les moyens aux enseignants d'agir sur le système et en encourageant notamment les enfants à prendre plus d'initiatives. C'est dès le plus jeune âge qu'il faut réfléchir autrement le système; on le sait bien c'est à cet âge là (entre 0 et 6 ans) que les inégalités sont déterminantes.
A cet égard, c'est un véritable crime que de ne pas repenser le système éducatif dans son ensemble.
Concluons, décidons
On voit bien la corrélation directe entre éducation, qualification et taux de chômage et tous ces dysfonctionnements ont peut-être la même racine. Une statistique vient confirmer tout cela puisque d'après l'étude de l'Institut Montaigne, les actifs qui ont un niveau d'études inférieur au baccalauréat représentent en France 61% des chômeurs et 45% des personnes ayant un emploi. Alors, convaincu ?
Nous sommes donc face à deux paradoxes: premièrement, l'éducation devient le facteur numéro un d'inégalités face au chômage puisque le marché de l'emploi tend à se dualiser avec ce que l'on appelle deux catégories de population face à l'emploi: les insiders et les outsiders. Pour caricaturer, un élève sorti d'une grande école décrochera son CDI quand le salarié peu qualifié enchaînera les jobs à temps partiel faiblement rémunérés.
Ensuite, on observe que le SMIC qui avait pour but de lutter contre la pauvreté et les inégalités ne remplit plus ses fonctions: il constitue même ce que l'on appelle une "trappe à chômage".
Vous l'aurez compris, les enjeux sont énormes et le décalage avec ce qui est vraiment entrepris pour corriger la trajectoire dérisoire. Cette analyse ne se prétend pas être exhaustive, il y a également d'autres facteurs qui rentrent en compte pour expliquer les difficultés actuellement rencontrées.
La France est un gros paquebot très lourd à manoeuvrer, chaque changement de direction est très long à mettre en oeuvre: il faudra pourtant que le commandant décide à changer de cap, sans quoi tous les passagers pourraient définitivement sombrer.